C’est sur ce concert en forme de florilège, titré « Molière et ses musiques », que s‘achevait à l’Opéra Royal un cycle consacré au dramaturge français, commencé avec George Dandin en janvier, et poursuivi avec deux autres comédies-ballets, Le Malade imaginaire et Le Bourgeois gentilhomme. On retrouve au programme du concert des Arts florissants des extraits de ces trois œuvres, ainsi que des morceaux d’œuvres moins connues : La Pastorale comique, Le Mariage forcé, Monsieur de Pourceaugnac et Les Amants magnifiques. La plupart des compositions sont de Lully, mais Le Malade imaginaire, écrit après la brouille de Molière et Lully, est de Marc-Antoine Charpentier. Du même compositeur, on a pu également entendre des extraits rares des nouveaux intermèdes qu’il a écrit pour accompagner Le Mariage forcé en remplacement de ceux de Lully, notamment le superbe ensemble « Ô le joli concert » qui se joue des conventions harmoniques ou bien « Belle ou laide », joliment doublé au basson.
Il apparait difficile devant un programme si hétéroclite de former une unité. Vincent Boussard à la dramaturgie et Marie Lambert-Le Bihan à la mise en espace ont fait le choix judicieux du théâtre dans le théâtre : les chanteurs présents sur scène sont les acteurs de la troupe de Molière et rendent hommage à leur maître disparu. Un comédien, interprété avec entrain par Luca Besse, a pour fonction d’organiser les activités de la troupe. Il se permet au début de la représentation de déclamer lui-même un assemblage de répliques du Bourgeois gentilhomme sur le pouvoir fédérateur et pacificateur de la musique et de la danse. La seconde partie du spectacle s’ouvre sur une fausse cérémonie funéraire au cours de laquelle des épitaphes de Molière sont prononcées par les artistes. Le fil rouge qui parcourt malicieusement l’ensemble du spectacle est un accessoire : des chaussettes rouges, celles-là mêmes que portent toujours William Christie, qui servent de gants aux Turcs du Bourgeois gentilhomme, de collier au bachelierus du Malade imaginaire et de rubans aux grotesques du Mariage forcé.
Photo des répétitions (© Vincent Pontet
Malgré tout, l’ensemble du spectacle manque cruellement de rythme et les transitions paraissent forcées. On se demande même s’il n’aurait pas été préférable de donner ces extraits musicaux en version de concert, puisqu’il y a finalement assez peu de théâtre et de texte parlé de Molière dans le spectacle. Même les parties dansées déçoivent quelque peu : le niveau individuel des danseurs baroques de la Compagnie Les Corps Éloquents n’est pas à remettre en question, mais les ensembles manquent très clairement de cohésion, comme si les artistes n’avaient pas assez répété ensemble et/ou sur ce plateau…
La maîtrise stylistique de cette musique par les instrumentistes et choristes des Arts florissants n’est cependant plus à démontrer. Même si le nombre d’instruments est assez réduit, la musique de Lully et Charpentier se déploie avec rutilance et éloquence sous la direction de William Christie. Thomas Dunford amoureusement lové sur son théorbe, apporte couleurs et relief au continuo. Il se lève et rejoint le centre du plateau pour accompagner Emmanuelle de Negri et Claire Debono dans la très touchante plainte de George Dandin « Ô mortelle douleur », moment le plus émouvant de la représentation.
Emmanuelle de Negri campe également Flore avec une autorité naturelle dans le prologue du Malade imaginaire, offrant à la déesse un timbre fruité et un verbe fleuri. Claire Debono a une diction moins incisive, mais la voix est mordante et charmante. Cyril Auvity se montre quant à lui d’un enthousiasme à tout épreuve, tout comme Marc Mauillon, engagé comme quatre hommes. Ils brûlent tous deux les planches de bout en bout de la représentation et cueillent le public grâce à une projection franche et une diction d’une clarté sans pareille. Cyril Costanzo fait son entrée en passant avec facétie d’une voix de tête puissamment projetée à une voix de basse caverneuse, qu’il allège ensuite pour trouver une émission très naturelle et fait montre d’une musicalité pleine de charmes. Notons également parmi les solistes du chœur, la belle voix claire et chaude du haute-contre David Tricou.