Les vraies voix de basse sont assez rares, celles qui se consacrent au Lied le sont encore davantage.
Or c’est le cas de Günther Groissböck, chanteur autrichien né en 1976, qui a fait ses classes auprès de Robert Holl et José van Dam avant d’apprendre le métier à l’opéra de Zurich. Il avait frappé le public du festival de Bayreuth en Gurnemanz en 2011, celui de Salzbourg en chantant le Baron Ochs en 2014, ou celui de la Scala de Milan en Zarastro ; pas mal pour des débuts !
Depuis lors, il poursuit une brillante carrière internationale, tout en réservant chaque année quelques soirées à des récitals de Lieder, un genre exigeant qui, en Autriche et dans le monde germanique en général, n’a rien perdu de ses lettres de noblesse, et est même souvent considéré comme la quintessence de l’art du chant.
Le disque qu’il a enregistré l’an dernier, dont le récital d’hier porte le titre, malgré un programme un peu plus large, n’avait pas échappé à la vigilance de ForumOpera suscitant l’enthousiasme de notre confrère Thierry Verger.
Le premier contact avec la voix est extrêmement favorable : Groissböck possède un instrument fabuleux, particulièrement bien timbré, brillant, très sonore, avec des couleurs cuivrées qui conviennent magnifiquement au répertoire épique et aux grandes partitions d’opéra, une voix terrible, de celles qui font peur aux enfants ! C’est justement dans la veine épique qu’il débute son récital avec quelques lieder de Schumann, parmi lesquels Belsatzar et surtout Die beide Grenadiere, brillamment rendus avec relief et un réel sens du récit. La diction est claire, le texte parfaitement articulé, Groissböck s’entend à travers son récit à créer des atmosphères, à construire le fil d’une narration et à le dérouler avec talent.
Le récital se poursuit avec trois lieder de Hans Rott, compositeur trop tôt réduit au silence par la maladie mentale et des délires de persécution, mort à 25 ans, camarade de classe de Gustav Mahler, qui puisa dans la première symphonie de Rott quelques éléments thématiques de ses propres symphonies Titan et Résurection. Les rares lieder de ce compositeur, une dizaine au total, restent largement à découvrir, et ce n’est pas le moindre mérite de Groissböck que d’en mettre quelques uns à son programme ; il nous tarde de découvrir les autres. Abordant une veine plus poétique (notamment avec le Wandrers Nachtlied), la voix montre cependant ses limites : encombré par la taille de son instrument, le chanteur peine un peu à renouveler sa palette de couleurs ; l’allègement de la voix, la nuance piano, le ton de la confidence, le parlando qui sont autant de moyens expressifs à disposition des interprètes de lieder, font ici défaut, comme si le chanteur en avait peur…
Au piano, Malcolm Martineau relève les défis de virtuosité avec brio, mais sans réussir à susciter l’émotion cependant.
Les lieder de Bruckner, cinq partitions un peu perdues au sein d’une œuvre chorale importante, sont elles aussi des pages à découvrir, dans une veine lyrique un peu inattendue. La première partie du récital s’achève par les trois lieder d’Hugo Wolf sur des textes de Michel-Ange, pages sombres et introspectives, d’une amertume proche du désespoir, difficiles à défendre en concert. Toujours en contrôle, le chanteur peine à lâcher prise pour laisser entrevoir une part de lui-même.
Avec Strauss, qui ouvre la seconde partie, on aborde – en principe – le lyrisme pur. On admire toujours le très grand respect du texte, l’interprétation très contrôlée, une réelle sensibilité poétique, mais on se surprend à trouver la voix surdimensionnée, l’interprétation sur-investie, qui seraient plus appropriées pour un accompagnement avec orchestre. Ne serait-il pas temps de faire preuve d’un peu plus de naturel, d’un peu de spontanéité et d’explorer le sentiment d’intimité en complicité avec un pianiste qui semble prêt à tenter l’aventure ?
Le récital se termine par des extraits du Knaben Wunderhorn de Mahler, présentés quasiment enchaînés les uns aux autres, créant une magnifique tension dramatique, mais toujours en force. La concentration et l’intensité dans l’interprétation sont clairement les forces de ce chanteur, à un niveau impressionnant. Dès qu’il essaye une nuance piano, l’émission de la voix recule, elle perd de sa couleur, dévoilant une étrange vulnérabilité dont il n’a pas l’audace de faire une véritable force expressive.
Ce grand garçon sympathique à carrure d’athlète serait-il aussi un grand timide qui craint l’introspection ?
Un seul bis viendra clore la soirée, An die Musik, chanté avec ferveur et sincérité.