En ouverture de son festival « Parigi Romantica Pop », le Palazetto Bru Zane propose un récital à quatre voix – Jennifer Courcier, Éléonore Pancrazi, Enguerrand de Hys, Philippe Estèphe – autour d’ensembles pour la plupart totalement oubliés, composés isolément ou tirés d’opéras-bouffes du XIXe siècle français, oscillant entre raffinement et gaudriole. Saluons une fois encore le passionnant travail de recherche qui nous permet d’entendre du Louis Varney, du Jean-Baptiste Croze, du Robert Planquette, du Victor Roger et de l’Etienne Rey pour les inconnus au bataillon, à coté de pièces redécouvertes d’Hervé et Delibes (étonnantes et superbes harmonies de Monsieur Griffard) ou rarement données de Messager et Offenbach. L’intérêt de ces ensembles réside dans leur vivacité dramatique autant que dans leur brio contrapuntique où chaque voix doit pouvoir se distinguer. On a particulièrement apprécié les pièces qui tournent en dérision les chanteurs eux-mêmes et celles dont l’action est assez dense pour vivre dans un simple extrait, et à ce jeu là, Offenbach est imbattable. Si l’on regrette évidemment de ne pas disposer d’un orchestre pour les récréations, ne boudons pas notre plaisir de pouvoir les entendre, d’autant qu’Emmanuel Christien au piano apporte tout le soutien et le brio nécessaire permettant aux chanteurs de se donner pleinement à leur petites mises en scène. En effet, chaque morceau n’est pas seulement bien réglé musicalement, mais empli d’esprit et de théâtre par des interprètes attachés à faire vivre cette musique au-delà du cadre imposé par le récital. Danse endiablée pour clore l’entrée des Espagnols dans Les Brigands, air gêné voir honteux du chœur quand la soprano déclame une aussi niaise que libidineuse Chanson des Canards, ou expressionisme de film muet pour la scène de Barbe-Bleue. Il faut dire que ces quatre là s’entendent tellement qu’ils font quatuor depuis 2022 (Opale).
Le premier air de Louis Varney est le moins réussi : à froid dans l’acoustique réverbérée de la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista, le texte se perd mais les éclats de rire vocalisés annoncent le ton de la soirée. Le Ténor sans engagement de Croze permet à Philippe Estèphe d’imposer immédiatement un personnage crédible sans excès, quitte à se mettre au piano lui-même. Renversement de situation, pour le Trio du baryton de Roger où il sonne avec robustesse et élégance jusqu’à un aigu volontairement raté. Il reste néanmoins le plus timide du groupe et aurait gagné à plus de lâcher-prise.
Hilarant Enguerrand de Hys qui après avoir présenté un ténor dès plus élégants chez Croze pour les moments qui auraient dû être parlés, entonne sa romance avec la voix la plus nasillarde qui soit ou vous claque un aigu antimusical et sonore avec éclat chez Rey après avoir fait assaut de virtuosité. Preuve une fois encore que chanter faux demande une technique solide !
Chez Hervé, Eléonore Pancrazi n’est pas avare de gouaille parisienne (« oui oui c’est ça envole-toi ! » pour commenter les vocalises de sa collègue dans Alice de Nevers) mais toujours à propos, sans que ces éclats ne l’autorisent à une moindre attention ailleurs : solidité du medium, tenue du souffle et clarté du texte malgré les nombreuses élisions de syllabes, jeux d’accents (Mistress dans La Romance de la Rose) et mots désuets.
Avec son faux air de Sandrine Piau, Jennifer Courcier ne ménage pas son énergie non plus, que ce soit dans les trilles infinis et les joutes cabotines du Colimaçon ou les bourdonnements amoureux d’Eurydice. Elle réussit même à chanter Hervé avec une gaminerie bourgeoise qui ferait presque oublier les facilités de l’écriture. Davantage que les suraigus, c’est surtout la classe et la légereté de l’interprête qui attirent immédiatement la sympathie.
Bien que personne n’en doute à ce niveau de qualité, notre quatuor a tout de même tenu à prouver qu’il savait aussi chanter de la musique sérieuse en donnant en second bis le Madrigal de Fauré : s’il tranche avec le reste du programme, il souligne que c’est le même esprit français empli de délicatesse qui sous-tend ces partitions.