Après la Philharmonie de Paris et avant Aix-en-Provence le 17 juillet, les Rencontres Musicales d’Evian accueillent Jonas Kaufmann, Diana Damrau et Helmut Deutsch pour un récital consacré à Richard Strauss et Gustav Mahler.
Ce voyage en terre de Lied reflète un compagnonnage de longue date. La soprano a gravé un disque Strauss en 2020 avec le pianiste qui fut d’abord le professeur du chanteur à Munich avant de graver avec lui un disque consacré à ce même répertoire dès 2006. Voilà près de trente ans qu’ils explorent ensemble cet univers si fertile.
Dans le cadre magique de la Grange au Lac, Helmut Deutsch se révèle naturellement un merveilleux accompagnateur d’une exquise sensibilité qui conserve même à la version pour piano seul des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler l’essence de son lyrisme. Le musicien souligne sans jamais appuyer; ajoute du souffle à la ligne du chant sans jamais la déséquilibrer comme dans « Ruhe, meine Seele ». Il retient, suspend une note pour donner à entendre, de ce presque rien, le drame silencieux de la fuite du temps comme dans « Wer hat’s getan ».
Le thème du récital étant l’amour, la carte du Tendre se décline à plusieurs reprises sous nos yeux, nous donnant à entendre toute la subtilité de la valse des sentiments. Diana Damrau en particulier passe avec brio – et parfois un peu de coquetterie – de la toute jeune fille à la femme faite ; d’un frémissement du cœur au désenchantement d’une histoire qui s’achève.
Les interprètes tissent une histoire imaginaire où ils se répondent de Lied en Lied, car, alors que le spectateur s’attend à des duos, ils alternent les solis. Chacun y implique toujours le comparse dans un jeu de regards, de gestes qui tous soulignent une délicieuse complicité dans la légèreté avec « Einerlei » comme une profonde communion d’esprit avec le somptueux « Ruhe, meine Seele ». L’intimité, le naturel de la relation ainsi dessinée implique un travail de préparation, une maîtrise du sous-texte d’une remarquable précision sur le plan scénique. L’œil nuance les mille possibles du sentiment amoureux, l’implication de chacun est totale même en présence silencieuse. Il faudra attendre les bis pour profiter de deux véritables duos et d’une chamaillerie avec « Trost im Unglück » extrait des Knaben Wunderhorn avant le charmant « Spring Wind » de Eric Harding Thiman.
© Les Mélèzes Matthieu Joffres
Comme le souligne justement Guillaume Picard dans son compte rendu parisien, certes les voix accusent leur âge, quelques morceaux les desservent comme « Ich atmet‘ einen linden Duft » et le récital gagnerait à être plus resserré mais cela n’invalide en rien ses immenses qualités et la grande générosité de l’interprétation, le souci du partage, évidents pour elle avec « Es sungen drei Engel einen süssen Gesang » par exemple, ou pour lui avec l’extraordinaire « Ich bin der Welt abhanden gekommen » qui constitue l’un des sommets du concert. Là, rien n’est appuyé ni démonstratif, le timbre s’éteint pour dire le renoncement. L’osmose avec le piano est totale, l’acceptation de l’inéluctable, déchirante.
En trente-quatre scènes et quatre tableaux les trois artistes esquissent autant de miniatures précieuses, toutes en demi-teintes où s’épanouissent un art consommé de la ligne vocale, sublimement ductile, une expression à la fois intense et retenue comme dans « Die Nacht » de Strauss où le pianissimo appelle déjà le sanglot.
Dès « Zueignung » qui initie la représentation, Jonas Kaufmann émeut par la suavité des attaques, la ciselure du phrasé, la limpidité de la langue. Expressivité, charisme, intelligence illuminent chaque page. Le ténor bouleverse avec « Nachtgang » ou « Heimliche Aufforderung » et l’aveu murmuré d’une âme en larmes mais emporte tout autant l’adhésion dans l’urgence et le drame d’« Ich liebe dich ».
Le même feu anime Diana Damrau quoi que de manière plus souriante dans « Wie sollten wir geheim sie halten ». Certes, elle cabotine parfois à l’excès, mais que de pétulance, de charme, quelle plénitude du timbre dans « Schlagende Herzen » de Strauss ou « Rheinlegendchen » de Mahler qui en devient presque une scénette d’opérette. Que d’humour et de couleurs dans « Um schlimme Kinder artig zu machen ». Quelle maîtrise de la sinuosité de la phrase musicale dans « Freundliche Vision ». Que de vérité dans « Allerseelen » où la palette des couleurs, les jeux de nuances, la plénitude des médiums régalent l’oreille.
Diana Damrau se produira avec Helmut Deutsch le 14 juillet prochain au Bayerische Staatsoper tandis que Jonas Kaufmann renouera en septembre avec une autre facette incontournable du répertoire de chambre avec la sortie des Dichterliebe et Kerner-Lieder, de Robert Schumann assorti de la parution du DVD du spectacle autour du Schwanengesang de Schubert crée avec Claus Guth. Il arpentera ensuite les planches parisiennes de l’ONP dans Tosca en fin d’année.
Les Rencontres Musicales d’Evian, pour leur part, réjouiront les mélomanes jusqu’au 5 juillet prochain, notamment avec une intégrale de la musique de chambre de Ravel, chaque jour à 11h. Rendez-vous à prendre pour les lyricomanes le 4 juillet pour le duo Desandre/Dunford avant Il Trionfo del Tempo e del Disinganno par les Arts Florissants.