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ROBIN/SCARLATTI, La Giuditta/Medusa – Sienne

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Spectacle
1 septembre 2025
Temps et ressemblance

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Medusa – Angelus Novus (2025)
Opéra de chambre de Yann Robin (*1974)
Livret d’Elisabeth Gutjahr
Création le 13 juin 2025 à Salzbourg, Max Schlereth Saal
Création italienne le 27 août 2025 à Sienne, Teatro Comunale dei Rinnovati

La Giuditta (1690)
Oratorio d’Alessandro Scarlatti (1660-1725)
Livret de Pietro Ottoboni (1667-1940)
Création en 1690 à Naples
Création de la production du Festival Chigiana/Mozarteum Salzbourg le 13 juin 2025 à Salzbourg, Max Schlereth Saal

Coproduction de l’Accademia Chigiana de Sienne, du Mozarteum Salzbourg et de l’École des beaux-arts de Brera

Détails

Mise en scène
Florentine Klepper
Lumières
Conny Zenk
Costumes
Lena Matterne
Dramaturgie
Armela Madreiter
Assistante à la mise en scène
Antonia Pumberger
Assistants costumiers
Debora Del Rio, Alessandro Folli
Figurants
Nora Messeri, Agnese del Balio
Techniciens
Jan Fredrich, Julian Hechenberg, Henrik Hake, Peter Hawlik

Giuditta/Angelus Novus
Anastasia Fedorenko
Medusa/Nourrice
Sveva Pia Laterza
Le Caravage
Dominik Schumertl
Holopherne
Lucas Pellbäck

ARCo Ensemble
Direction musicale
Kai Röhrig

Barockorchester der Universität Mozarteum
Direction musicale
Vittorio Ghielmi

Festival & Académie Chigiana de Sienne, mercredi 27 août 2025, 21h15

Le potentiel théorique et réflexif de la musique contemporaine est souvent la raison pour laquelle celle-ci sert de commentaire et de catalyseur dans la rencontre avec des œuvres musicales d’autres époques. Tel est aussi le pari du Festival & Académie d’été Chigiana de Sienne, en faisant dialoguer le nouvel opéra de chambre Medusa du compositeur français Yann Robin et l’oratorio baroque La Giuditta d’Alessandro Scarlatti. Le résultat en est toutefois très théâtral et immédiatement dramatique.

L’idée est aussi simple que séduisante. En passant par l’intermédiaire du Caravage, qui peignit et l’une et l’autre de ces deux figures féminines mythologiques, une double mise en abîme fait naître l’oratorio de l’opéra et vice versa. L’œuvre de Yann Robin, sur un livret d’Elisabeth Gutjahr, qui recourt à un ensemble hétéroclite, met en scène le peintre, obligé de créer une Méduse afin d’honorer une commande, et aux prises avec tout ce que ce sujet inclut de peur, d’érotisme et de problèmes de représentation. Rappelons-nous que la Gorgone Méduse pétrifie quiconque croise son regard, avant qu’elle ne soit décapitée. Après Ni l’un ni l’autre (2006) et Le Papillon noir (2018), Robin n’est pas à son premier contact avec le théâtre musical. Lors d’un long prélude, on entend d’abord un bruit vague – respiration ou pas dans le noir – duquel se détache graduellement un duo quelque peu irréel entre le piano et une harpe à micro-intervalles. On comprend plus tard que cette musique séductrice est rattachée à Medusa, tandis que celle du Caravage est plus narrative, agrémentée de commentaires et parcourue d’accents. La dramaturgie lyrique de l’œuvre joue essentiellement avec l’équilibre entre ces deux niveaux. Que cela ne soit pas cependant statique ressort de deux astuces que Robin emploie habilement. Premièrement, des pulsations et d’autres structures répétitives évoquant le passage du temps ; deuxièmement, des éruptions soudaines et violentes qui, grâce à l’amplification des instruments, sont projetées dans la salle, créant un effet d’immersion pour le spectateur, comme si l’espace s’élargissait. Au fur et à mesure que Medusa se manifeste physiquement sur scène, Robin crée également deux types de vocalité. Le Caravage, à l’évidence l’archétype de l’artiste tourmenté, alterne entre cris, grondements, Sprechgesang et des lignes vocales plus apaisées, alors que Medusa est un mezzo-soprano lyrique au chant plus dessiné et poétique. Sveva Pia Laterza et la basse Dominik Schumertl interprètent avec beaucoup de précision et de passion ces parties exigeantes entre performance et épanouissement vocal. Parfois, l’orchestre prend le dessus et semble oublier la scène, engendrant des moments de musique de chambre. Sous la baguette de Kai Röhrig, à la tête de l’ARCo Ensemble, la partition déploie toutes ses finesses. La mise en scène de Florentine Klepper évite adroitement les lieux communs que ce sujet pourrait susciter. D’autres personnages des tableaux du Caravage peuplent la scène, deviennent autonomes, jouent aux cartes, jusqu’à ce que le peintre, tel Pygmalion, semble s’engager dans des ébats avec sa propre création. À la fin, s’adressant à la fois au public et à Medusa, il évoque une fois de plus le défi de la représentation : « Je veux que vous voyiez ! Je vous transformerai en Méduse ! »

Anastasia Fedorenko Lucas Pellbäck © Daniela Neri, Festival Chigiana

À ce moment-là, la soirée bascule presque imperceptiblement vers La Giuditta – un mythe absorbe l’autre. Ce qui rend cette association osée est le caractère très épuré de la musique de Scarlatti. Parfois, une seule ligne instrumentale sert de contrepoint au chant. Toutefois, les deux œuvres semblent communiquer l’une avec l’autre. Ainsi, et bien que cela ne soit pas intentionnel, l’impression d’entendre par exemple un écho du duo entre harpe et piano dans la partie lente de l’ouverture, avec ses retards typiquement baroques, n’est peut-être pas fortuite. Cette fragilité est parfaitement maîtrisée par le Barockorchester der Universität Mozarteum sous la direction de Vittorio Ghielmi, chaque œuvre du projet faisant appel à un effectif et un chef propres. À l’instar de Medusa, La Giuditta a un aspect résolument psychologique, assez moderne pour l’époque, car cette approche ne se répand véritablement dans le domaine de l’opéra qu’au passage du baroque au classicisme. Le peuple de Giuditta (Judith) étant assiégé par l’armée d’Holopherne, elle se rend chez ce dernier et le séduit avant de le décapiter – autre motif commun entre les deux parties de la soirée – lorsqu’il s’endort enivré. Toute l’appréhension et la crainte paradoxale que Giuditta ressent s’expriment bien avant qu’elle ne rencontre le général, à travers l’air « Sciolgo il crin ». Anastasia Fedorenko, à la voix très sensuelle dont le timbre est particulièrement riche, campe une Medusa tiraillée ente le désespoir et la fermeté. Sa Nourrice, à laquelle elle s’adresse comme à une mère, fait preuve de plus de netteté dans ses lignes vocales, et on retrouve cette grâce ainsi qu’une certaine sobriété élégante dans l’interprétation de Sveva Pia Laterza. Son « Dormi, o fulmine di guerra ! », berceuse cruelle et tendre précédant la décapitation d’Holopherne, est un des trésors de la partition. La proximité des deux femmes est soulignée par quelques virées dans les registres extrêmes des deux rôles. La mise en scène reprend quelques éléments de Medusa : le Caravage éclaire lui-même la scène à l’aide de projecteurs ; les lumières, conçues par Conny Zenk, prennent le relais de l’amplification sonore en ouvrant l’espace qui déborde sur la salle ; lors d’un changement de plateau, quelques sonorités de Yann Robin reviennent subrepticement ; Holopherne, personnage du tableau, est présent dès le début. Le jeune ténor Lucas Pellbäck, dont la voix est puissante mais sensible, réalise d’une manière particulièrement convaincante les transformations du personnage : du guerrier macho qui a peur de ses sentiments, en passant par l’aveu de son amour jusqu’aux accès de susceptibilité lorsqu’il se croit ridiculisé.

Revient la Medusa de Yann Robin. Bien qu’une reprise variée du duo initial annonce le retour des sonorités exposées précédemment, c’est l’Angelus Novus qui a la parole. Cet ange regardant l’histoire est l’expression de la peur d’être entraîné vers un avenir ou se confondent progrès et catastrophes. Telle est, en tout cas, l’interprétation que Walter Benjamin fournit du tableau éponyme de Paul Klee. Ainsi, un peintre moderne est substitué au Caravage baroque, et la musique contemporaine ainsi que celle de Scarlatti se retrouvent dans la même évolution temporelle inéluctable mais fragmentaire. Anastasia Fedorenko se montre parfaitement à la hauteur de cette partie très virtuose et effervescente de soprano léger, qui n’est pas sans faire penser à d’autres exemples du genre, tels que Ariel dans The Tempest de Thomas Adès. Entretemps, les pulsations répétitives se manifestent de nouveau à l’orchestre, engendrant des harmonies aux couleurs consonantes – bien que liées au début de la pièce – qui semblent évoquer certaines techniques minimalistes comme si, sous le regard de l’ange, d’autres strates de l’histoire de la musique remontaient à la surface. Pendant ce temps, Holpherne se rhabille et prend congé du Caravage.

Après La Voix humaine de Francis Poulenc, croisé avec Il prigioniero de Luigi Dallapiccola, La Giuditta/Medusa est le deuxième projet franco-italien associant deux œuvres lyriques différentes dans le cadre de l’édition 2025 du festival Chigiana. Tous les ans, celui-ci s’étend sur deux mois et, bien qu’il se soit établi comme un des événements culturels les plus importants d’Italie, mériterait davantage d’attention internationale. Car les propositions ambitieuses, tous genres classiques confondus – cette année, une retrospective Pierre Boulez a rythmé le programme –, ainsi que la renommée des artistes contribuent à la qualité d’une institution des plus diversifiées et originales.

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Création le 13 juin 2025 à Salzbourg, Max Schlereth Saal
Création italienne le 27 août 2025 à Sienne, Teatro Comunale dei Rinnovati

La Giuditta (1690)
Oratorio d’Alessandro Scarlatti (1660-1725)
Livret de Pietro Ottoboni (1667-1940)
Création en 1690 à Naples
Création de la production du Festival Chigiana/Mozarteum Salzbourg le 13 juin 2025 à Salzbourg, Max Schlereth Saal

Coproduction de l’Accademia Chigiana de Sienne, du Mozarteum Salzbourg et de l’École des beaux-arts de Brera

Détails

Mise en scène
Florentine Klepper
Lumières
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Lena Matterne
Dramaturgie
Armela Madreiter
Assistante à la mise en scène
Antonia Pumberger
Assistants costumiers
Debora Del Rio, Alessandro Folli
Figurants
Nora Messeri, Agnese del Balio
Techniciens
Jan Fredrich, Julian Hechenberg, Henrik Hake, Peter Hawlik

Giuditta/Angelus Novus
Anastasia Fedorenko
Medusa/Nourrice
Sveva Pia Laterza
Le Caravage
Dominik Schumertl
Holopherne
Lucas Pellbäck

ARCo Ensemble
Direction musicale
Kai Röhrig

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