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SCARLATTI, Il Mitridate Eupatore – Paris (Auditorium du Louvre)

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Spectacle
18 novembre 2023
Trop savant, Scarlatti ?

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en cinq actes sur un livret de Girolamo Frigimelica Roberti

Musique d’Alessandro Scarlatti (1660-1725)

Créé le 5 janvier 1707 au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise

Détails

Paul-Antoine Bénos-Djian, Mitridate
Anthéa Pichanick, Antigono
Julia Lezhneva, Laodice
Vivica Genaux, Stratonica
Sophie Rennert, Nicomede
Victor Sicard, Farnace

Les Accents
Thibault Noally
, direction musicale

Concert donné le jeudi 16 novembre 2023 à l’Auditorium du Louvre, à Paris

Les opéras d’Alessandro Scarlatti restent encore peu connus. Une poignée d’entre eux ont bénéficié de quelques reprises, dans le cadre de festivals généralement, comme Telemaco, La Griselda et Mitridate Eupatore. De ce dernier opus, la BBC proposa une version évidemment tronquée et arrangée en 1957, avec une certaine Joan Sutherland, ce qui assura une relative pérennité au titre. En 1995-1996, Hengelbrock dirigea l’opéra à Innsbruck et Schwetzingen, puis il fallut attendre 2017 pour une version de concert à Beaune, déjà sous l’impulsion de Thibault Noally. Très convaincant défenseur de Scarlatti, le violoniste et chef a offert au public parisien une lecture encore plus aboutie, portée par une distribution sans faille.

Créé dans le plus fastueux théâtre de la Sérénissime en 1707, Il Mitridate Eupatore a pu être considéré comme un jalon de l’entrisme napolitain sur les scènes vénitiennes1. En effet, le Sicilien Scarlatti s’était principalement illustré dans la cité parthénopéenne, et l’affiche comptait très probablement les castrats vedettes Nicolino et Matteuccio. Pourtant, l’échec fut total. Un amateur local commente : « ce sont ses qualités même qui le rendent mauvais, car ses compositions sont très difficiles. […] Dans un théâtre de mille personnes, il n’y en a pas vingt qui sont capables de le comprendre ». On juge l’écriture sophistiquée peu adaptée au goût du public, friand de galanterie et de divertissements légers.

Il faut aussi dire que le livret de Girolamo Frigimelica Roberti tranche sur le tout-venant d’alors : ouvertement inspiré des Atrides, il narre la violente reprise du trône du Pont par Mitridate, celui-même dont Mozart mit en scène la fin. La reine Stratonica a assassiné son époux et placé son amant Farnace sur le trône. Sa fille Laodice a été éloignée de la cour et mariée à un simple paysan (Nicomede), tandis que Mitridate enfant a trouvé refuge en Égypte. L’œuvre nous raconte comment Laodice-Électre et Mitridate-Oreste renouent pour obtenir vengeance de Stratonica-Clytemnestre.

Aucune concession au badinage : les usurpateurs sont hantés par le crime et la crainte d’un retour de l’exilé ; Laodice est consumée par son désir de vengeance avec l’appui d’un Nicomede, incarnation de la loyauté du peuple plutôt qu’amant ; et si Mitridate et son épouse Issicratea échangent quelques gentillesses, celle-ci apparaît sous des traits masculins sous le nom d’Antigono pendant tout l’opéra, et agit surtout comme bras droit. Plus une trace des bouffonneries et marivaudages du seicento, rien du charme arcadien en vogue, point d’amours contrariées sur fond politique façon Metastasio, cinq actes au lieu des trois habituels, couronnés par deux morts sur scène – deux régicides ! –, quiproquos autour d’une tête tranchée… voilà un livret bien singulier. Mais il est plutôt en phase avec nos goûts actuels, malgré une langue souvent contournée, impression accrue par des surtitres très calqués et maladroits. Côté musique, Scarlatti n’est jamais tout à fait là où on l’attend, avec ses lignes vocales volontiers tortueuses, aussi ardues que peu « payantes » pour les chanteurs. Pour emporter l’adhésion, une interprétation impeccable s’impose : c’était le cas à l’auditorium du Louvre.

Il faut d’abord en remercier Thibault Noally, qui a choisi une impeccable distribution et continue d’exalter Scarlatti avec un naturel confondant, quelles que soient les combinaisons instrumentales des airs. La partition a été allégée avec modération : le ministre Pelopida a disparu ainsi que quelques airs, mais on n’a jamais l’impression qu’il manque quelque chose. On a fait confiance aux récitatifs, très animés, pour pleinement contribuer au drame. Les Accents jouent d’un seul archet avec une précision millimétrique, et quelles couleurs fruitées, quelle expressivité ! Impossible de juger Scarlatti austère ou « trop savant » lorsqu’il est ainsi servi.

Prisonniers de leurs obsessions, les personnages se débattent souvent dans des tessitures restreintes, avec des lignes hachées et des vocalises entêtées. Une écriture ingrate qu’il faut maîtriser et dépasser dans les reprises. À ce jeu, Julia Lezhneva remporte la palme en Laodice2. Avec la maturité, la Russe se montre de plus en plus habile tragédienne (intense « Cara tomba »), sans se départir de son agilité. Une flamboyante prestation qui fait regretter, comme souvent chez elle, de menus relâchements dans le texte, le style et la ligne. Dommage aussi qu’elle reste rivée à sa tablette.

Confrontation explosive avec Vivica Genaux, qui pare Stratonica de belles nuances. Plus contrainte par l’écriture serrée, l’Américaine se libère quand elle peut s’envoler dans l’aigu ou appuyer les graves. Déjà Farnace claironnant en 2017, Victor Sicard peine à entrer (littéralement) dans son premier air mais se montre ensuite très à l’aise. Elle aussi présente au concert de Beaune, l’impeccable Anthea Pichanick passe du rôle-titre à Issicratea/Antigono : la voix demeure chaude, l’interprète est à la fois fine et directe. Elle cède Mitridate à un Paul-Antoine Bénos-Djian parfait dans le personnage, qui apparaît comme la force tranquille de l’œuvre. Notre falsettiste met sa maîtrise du souffle et son éloquence au service des beaux cantabiles de « Patrii numi » et « Stelle, se il vostro lume » ou du style parlante de « Parto sì ». Nicomede est plus en retrait dramatiquement, mais assurément pas musicalement. Brillante vocaliste, Sophie Rennert se montre au fil du concert de plus en plus à l’aise pour affronter ce que la partition a de plus exigeant, souvent avec les trompettes ou le beau hautbois de Timothée Oudinot. Son tendre « Vado sì » arrache les premières manifestations d’enthousiasme d’un public très concentré à suivre le drame sans l’interrompre. Il exprime chaleureusement sa satisfaction à la fin du concert. On espère un disque…

1. Sylvie Mamy. Les grands castrats napolitains à Venise au XVIIIe siècle. Liège, Mardaga 1994
2. Ce rôle de prima donna fut créé par une étoile bien connue à Venise, la Diamantina, également Poppée dans Agrippina de Haendel sur les planches deux ans plus tard

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Opéra en cinq actes sur un livret de Girolamo Frigimelica Roberti

Musique d’Alessandro Scarlatti (1660-1725)

Créé le 5 janvier 1707 au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise

Détails

Paul-Antoine Bénos-Djian, Mitridate
Anthéa Pichanick, Antigono
Julia Lezhneva, Laodice
Vivica Genaux, Stratonica
Sophie Rennert, Nicomede
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