C’est sur l’adieu de Schumann au lied, avec son ultime cycle, concis, Gedichte der Königin Maria Stuarda, que s’ouvre le récital, dans la continuité du concert de la soirée précédente, où Antoinette Dennefeld nous avait gratifié d’Irlande, de Berlioz. On donne rarement ces lieder et c’est regrettable, car cette sorte d’adieu de la reine d’Ecosse au monde rejoint les tourments d’un compositeur qui pressent les épreuves de sa fin. La gravité du propos, la douleur sont superbement illustrées tant par le piano profond de Jean-François Heisser que par la voix de notre mezzo, que l’on croit découvrir, dans la plénitude de ses moyens, tant la différence de contexte est grande par rapport à la veille. Qualifié de « crépusculaire et étrange » par le pianiste, entre la nostalgie initiale et l’ultime prière, le cycle culmine avec « Nur ein Gedanke » (An die Königin Elisabeth) animé par la passion. La voix est bien timbrée, colorée à souhait, les graves sont solides, l’allemand irréprochable d’articulation, l’émission et la longueur de voix nous émeuvent (1).
Des Davidsbündlertänze, dont il a choisi la version première (de 1838), Jean-François Heisser enchaîne les deux cahiers, dans un souffle continu. Sortis tout droit de l’imaginaire du compositeur, Eusebius et Florestan, malgré leur opposition, vont ainsi soutenir et animer son combat contre les Philistins, que nous appellerions aujourd’hui conservateurs ou académistes. Les dix-huit pièces, contrastées à souhait, d’une écriture dense, virtuose, d’une richesse harmonique et contrapuntique rare, s’enchaînent avec vivacité, dominées par le ternaire. Elles culminent aux deux dernières, qui résument tout Schumann. Le piano est aussi magique que magnifique, versatile, d’une vivacité et d’une poésie fugaces. Jean-François Heisser en tire un son profond, sans jamais abuser de la pédale, articulé et chantant à souhait. Malgré la richesse du discours, sa lisibilité, sa respiration sont magnifiées. Magistral !
© Bruno Moussier
L’Amour et la vie d’une femme est intimement lié à l’épisode bien connu des amours de Robert et de Clara, contrariées par le père Wieck. C’est le premier cycle à donner la parole à une voix féminine, celle d’une femme sensible qui s’éprend de son futur époux, avant les fiançailles, le mariage, la maternité et le veuvage. Chamisso avait été mis en musique quatre ans auparavant par Loewe. La nature est absente, le poème ne connaît que l’entourage domestique, dominé par l’homme silencieux, auquel l’épouse voue un amour immense au point que sa disparition vide le monde de sa substance. L’ambivalence des textes, la richesse de leur formulation ont généré un des plus beaux cycles de Schumann. Antoinette Dennefeld vit intensément ce personnage, de l’éblouissement du début au désert du deuil (suivi d’un postlude qui reprend les éléments initiaux). Les moyens sont là, sûrs : l’innocence, l’évidence rêveuse, l’humilité, mais aussi la liberté, le jaillissement passionné sont servis par une émission ronde, charnue, fraîche et sensuelle. Le mot et le chant ne font qu’un pour une humanité qui nous touche. Le piano de Jean-François Heisser, personnage à part entière, outre son propos, dialogue, soutient, illustre et valorise idéalement le chant.
On se prend à espérer que le silence fera suite à la résonance de la dernière note. Las, le public, impatient, applaudit à tout rompre. La persistance des ovations conduit nos deux interprètes à lui offrir un bis, Waldesgespräch (n°3 du Liederkreis d’Eichendorff). Et les préventions tombent, car le dialogue entre l’égaré et la Lorelei, qui le gardera captif de la forêt, est d’une vérité dramatique absolue. On en redemande…
(1) Il est dommage que le public, où les germanistes devaient être peu nombreux, n’ait pas eu connaissance des textes des lieder, et de leurs traductions ou adaptations.