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WEILL, Street Scene — Toulon

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Spectacle
16 mars 2010
Tranche de vie

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Livret de Elmer Rice d’après sa pièce
Lyrics de Langston Hughes
Création en France
Nouvelle production de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée

Détails

Mise en scène, Olivier Bénézech Chorégraphie, Caroline Roelands Décors, Valérie Jung Costumes, Frédéric Olivier Lumières, Régis Vigneron Carl Olsen : Paul Reeves Olga Olsen / Nursemaid 2 : Harriet Williams Lippo Fiorentino : Joseph Shovelton Greta Fiorentino : Julia Kogan Georges Jones / Harry Easter : Sébastien Lemoine Emma Jones / Nursemaid 1 : Charlotte Page Sam Kaplan : Adrian Dwayer Shirley Kaplan : Martine Favereau Abraham Kaplan : Guy Flechter Anna Maurrant : Elena Ferrari Rose Maurrant / Miss Hildebrand : Ruby Hughes Franck Maurrant : Laurent Alvaro Willie Maurrant : Jonathan Manzo Daniel Buchanan : Thomas Morris Steve Sankey : Edwin Cahill Henry Davis : Lawrence Craig Miss Davis : Catherine Vitulin Jennie Hildebrand / Mae Jones : Amélie Meunier Dick McGann : Djamel Menane Vincent Jones : Julien Balajas Chœur d’enfants spécialisés du CNR Toulon Provence Méditerranée Chef de chœur, Christophe Bernolin Chœur de l’Opéra de Toulon Chef de chœur, Catherine Alligon Orchestre de l’Opéra Direction musicale, Scott Stroman Toulon le 16 mars 2010

Le ton est donné d’entrée : la musique de Street scene est vibrante, swingue, caresse et secoue, du rythme de la vie même. De la vie elle aura les accélérations et les pauses, les ardeurs et les langueurs, semblant produire les scènes ou les situations qui ont pourtant précédé la partition, puisque la composition de Kurt Weill met en musique en 1946 l’adaptation, enrichie par Langston Hughes, d’une pièce de théâtre datant de 1929 et dont le thème réaliste – le quotidien des occupants d’un immeuble pauvre  de New York – offre aux spectateurs de la création un miroir sans complaisance de la société américaine. On y trouve les différents statuts liés à la couleur de la peau – le concierge est noir – les différentes origines – qui Scandinave, qui Italien – les différentes attitudes – qui adhère aux valeurs américaines modernes et qui déplore leur avènement comme une déchéance morale.  L’image de cette population d’anciens émigrants n’est pas enjolivée : la médiocrité de leur situation économique les rend hargneux à l’égard des immigrés de fraîche date et la promiscuité de l’immeuble collectif entraîne à la fois indiscrétions, médisances et puritanisme affiché. Dans ce milieu où l’intellectuel de l’immeuble, passant peu ou prou pour anormal, est la tête de Turc d’un adolescent qui joue les durs, l’expulsion de la femme méritante qui a élevé seule ses filles éveille la curiosité, non la solidarité. C’est cela, le capitalisme ? Le vieux Juif qui doute de la valeur du système économique et social des USA semble vaticiner dans le désert.

Qui dit réalisme dit pessimisme. Les personnages les plus sensibles, ceux qui ne se résignent pas à la mort de leurs rêves, à l’indifférence qui vient avec le temps, à l’évasion fallacieuse et provisoire dans l’alcool, qui voudraient vivre en harmonie avec leurs sentiments, sont les plus menacés. Sam Kaplan ne saura pas se faire aimer de Rose Maurrand, celle-ci résistera t-elle longtemps au harcèlement de son patron ?  Anna Maurrand et Steve Sankey mourront sous les balles d’un macho ivre et violent. Le tableau n’est pas gai, et rien ne semble devoir changer cette vie quand le rideau tombe.

Et pourtant la tristesse ne l’emporte pas tant l’alliance du texte et la richesse polymorphe de la musique sont un motif de jubilation, pour ne pas dire d’espérance. La fin tragique de l’épouse délaissée et de son amant livreur de lait s’insère avec légèreté dans la trame des scènes successives. Certaines, à vocation comique, assurent l’alternance du sérieux et du divertissant, comme la théorie de Daniel Buchanan sur l’épreuve de la grossesse pour les hommes, ou le retour aviné de Mae et David, dont le côté sordide est estompé par la franchise de leur relation, ou encore l’ironie du sergent qui éconduit les deux nurses indiscrètes. De façon générale, les personnages sauvent leur humanité ; même Maurrant n’est pas un franc salaud.

Kurt Weill souhaitait écrire des œuvres populaires, dont le public n’aurait pas peur et où il se reconnaîtrait. Il avait la conviction d’y avoir réussi avec Street scene par la symbiose entre les formes popularisées par le jazz et la composition savante à laquelle sa formation l’avait préparé. Comment sa musique sonnait-elle aux oreilles de ses contemporains ? Y percevaient-ils comme nous des échos de Gershwin, des réminiscences du Verdi de Falstaff, ou du Puccini de Butterfly ? Cette œuvre n’a-t-elle pas inspiré Stravinsky, avant Bernstein, tant les épanchements de Rose semblent annoncer par moment Ann Trulove ? Véritable melting pot musical, la partition, dans sa division en scènes, tient de l’opéra et de la revue de music hall. Cet hybride où alternent chœurs, solos, duos, trios, ensembles, offre aux interprètes la possibilité de numéros que la mise en scène souligne.

Le décor unique de Valérie Jung représente trois blocs d’habitation ; on accède à celui du centre, longé côté cour par une rue qui se perd dans le fond de la scène, par un escalier sur les marches duquel les personnages peuvent s’arrêter, voire s’asseoir, lire, bavarder, cancaner. Les dégagements latéraux permettent de réserver l’avant-scène aux passages les plus lyriques, solos d Anna et de Rose Maurrand, duos de Rose et de Sam, où les personnages sont cernés par les lumières de Régis Vigneron – discutables au début du second acte – comme au music hall.  Ce procédé que les films d’alors ont contribué à estampiller « d’époque » s’accorde avec le style des costumes de Frédéric Olivier, qui a recomposé une garde robe « vintage » très séduisante. On regrettera cependant, alors que les personnages ne cessent de se plaindre de la chaleur étouffante, que certains soient excessivement vêtus, même en tenant compte des codes d’un savoir-vivre urbain strict, et que l’élégance des toilettes, dont certaines up to date, ne cadre pas avec la pauvreté du milieu. Je sais bien qu’on rétorquera que les dépenses excessives pour le paraître sont une forme classique d’aliénation mais l’impression d’un hiatus subsiste.

La mise en scène d’Olivier Bénézech s’adapte à ce décor unique et fait évoluer les personnages avec justesse et souplesse, épousant celle de la musique et traitant les scènes dramatiques avec une sobriété de bon aloi. La chorégraphie de Caroline Roelands s’y insère avec aisance et la conviction des danseurs ajoute au plaisir d’évolutions rythmées typiques des revues de Broadway. La palme revient évidemment à Amélie Meunier à qui sa formation de danseuse classique permet de faire un grand numéro, bien secondée par Djamel Mehnane dans leur scène d’ivresse.

Légère déception avec Ruby Hughes et Adrian Dwyer, respectivement Rose Maurrant et Sam Kaplan ; bien qu’interprètes déjà chevronnés de ces rôles, ils nous ont semblé un peu en retrait par rapport au reste de la troupe. Elle est charmante, ils sont convaincants, mais leurs duos ne nous ont pas transporté. Un grand bravo à tous les autres, en particulier à Elena Ferrari, qui maîtrise toutes les facettes du personnage d’Anna Maurrant, particulièrement touchante et musicale dans son air du premier acte. Mentionnons aussi Julia Kogan qui s’acquitte avec brio de la vocalise malicieusement réservée par le compositeur au personnage de l’Italienne, et Joseph Shovelton qui a la pétulance requise pour Lippo Fiorentino. Un dernier mot pour saluer Laurent Alvaro, rude et rogue autant que son personnage de Franck Maurrant l’exige. Eloges étendus sans réserve aux artistes des chœurs.

Avec sa double formation de musicien classique et de jazzman on peut considérer Scott Stroman comme un spécialiste de la musique de Weill. La passion qu’il met à la servir doit être communicative   car il montait de la fosse une concentration et une ferveur  émouvantes. Grâces soient rendues à la direction de l’opéra d’avoir proposé ce titre inconnu en France ; le livret, comme on l’a vu, reste toujours actuel. Quant à la musique, qui n’a pas pris une ride, elle justifie largement la conviction de Kurt Weill, d’avoir réussi à composer un opéra américain pour le plaisir de tous sans rien sacrifier de son idéal esthétique et moral.

 

 

 

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