Le Théâtre des Arts de Rouen offre une seconde vie à la mise en scène de La Traviata réalisée par Jean-François Sivadier pour le Festival d’Aix de 2011 (avec Natalie Dessay dans le rôle-titre). Une production facile à transporter, qui avait été plutôt appréciée par la critique, sans doute justement à cause de sa modestie, ainsi que de l’indéniable métier de Sivadier, qui sait croquer un personnage en quelques gestes (Annina, par exemple) et faire évoluer les groupes. Elle aura aussi pour mérite, aux yeux de beaucoup, de « rapprocher » de nous une anecdote qui, lors de la création, mettait en scène des héros contemporains des spectateurs – chose alors assez osée. Les protagonistes que nous voyons évoluer paraissent donc être (presque) nos contemporains, même si les costumes sont assez connotés années (19)80.
Mais c’est bien là où le bât blesse : peut-on imaginer qu’un tel mélodrame se déroule de nos jours ? Tous les acteurs ayant ici l’air de sortir du même milieu social (Groseille plutôt que Le Quesnoy) et avoir plus ou moins le même âge, toutes les fêtes paraissant se dérouler dans une salle polyvalente de sous-préfecture, l’on ne comprend plus trop ce qui peut bien flétrir Violetta aux yeux de ses potes, ni ce qui peut bien motiver la démarche de Germont. Bref, comme souvent lorsqu’un metteur en scène de théâtre s’attaque à l’opéra, le sujet se voit évacué au profit de l’action scénique.
Photo Caroline Doutre
Cette vision paraît cependant adaptée aux interprètes, jeunes et dégourdis. Un peu trop dégourdi, concernant la Violetta américanissime de Chelsea Lehnea, qu’on s’attend à tout moment à voir cracher son chewing-gum : le métier est là, l’endurance, l’abattage, la tessiture aussi (jusqu’au contre-mi bémol de rigueur), mais l’expression pétulante, l’émission très pharyngée (dans le nez) ainsi que le style assez relâché durant les deux premiers actes évoquent davantage Johann Strauss que Verdi.
Le cas de Leonardo Sanchez est différent : dès l’abord, le timbre, sombre et dense, le chant, vibrant et fiévreux, impressionnent – son premier acte est superbe. Malheureusement, ce jeune Alfredo ne sait encore ni s’économiser, ni alléger le son, et il s’écroule au cours de sa cabalette – ou, plutôt, de sa demi-cabalette (car « O mio rimorso » et « No, non udrai rimproveri » ont été ici à moitié conservés).
Pas de fléchissement, en revanche, du côté d’Anthony Clark Evans, Germont à la carrure de viking. Si son entrée nous a parue plébéienne, le baryton américain affiche ensuite une percutante projection, un aigu brillant et un legato de bon aloi. Contrairement à celui de son « fils », son timbre est clair (trop pour un père ?), avec des couleurs qui ne sont pas sans rappeler celles de Robert Merrill.
Des nombreux rôles secondaires, seul le Grenvil de François Lis retient l’attention, tandis que le chœur fait preuve d’une bien belle santé, tout en chantant un peu fort. Quant à l’Orchestre de l’Opéra Normandie Rouen (cordes expressives, première clarinette et premier hautbois délicieux), on l’aurait volontiers applaudi des deux mains s’il n’avait eu à pâtir de la direction patapouf de Dayner Tafur-Diaz, d’une triste trivialité dans le duo Violetta/Germont…