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VERDI, Les Vêpres siciliennes — Londres (RBO)

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Spectacle
22 septembre 2025
Le grand opéra revisité

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en 5 actes
Musique de Giuseppe Verdi
Livret d’Eugène Scribe et de Charles Duveyrier
Création le 13 juin 1855 à l’Opéra de Paris

Détails

Mise en scène
Stefan Herheim

Décors
Philipp Fürhofer

Costumes
Gesine Vollm

Lumières
Anders Poll

Chorégraphie
André de Jong

Dramaturgie
Alexander Meier-Dörzenbach

 

Henri
Valentyn Dytiuk

Guy de Montfort
Quinn Kelsey

Jean de Procida
Ildebrando D’Arcangelo

Hélène
Joyce El-Khoury

Le Sire de Béthune, officier français
Blaise Malaba

Thibaut, soldat français
Neal Cooper

Ninette, camériste d’Hélène
Jingwen Cai

Le Comte de Vaudémont, officier français
Thomas D. Hopkinson

Daniéli, jeune sicilien
Michael Gibson

Mainfroid, sicilien
Giorgi Guliashvili

Robert, soldat français
Vartan Gabrielian

 

Chœur et orchestre du Royal Opera

Direction musicale
Speranza Scappucci

Londres, Royal Opera, le 19 septembre 2025 à 18h

Les Vêpres siciliennes restent un opera rarement monté de nos jours et il faut se féliciter de cette reprise qui permet au public de goûter une des partitions les plus intéressantes de Giuseppe Verdi. Les mélodies y abondent (Verdi vient de donner en trois ans Rigoletto, Il Trovatore et La Traviata, rien que ça) et c’est pourquoi l’ouverture reste un morceau souvent donné au concert. Le compositeur développe par ailleurs des formes plus complexes, toujours aussi harmonieuses, mais dramatiquement plus efficaces (1). Le livret de Scribe, un peu statique dans les deux premiers actes, exprime un dilemme cornélien assez classique mais souffre d’une galerie de personnages qui ne suscitent guère l’empathie. À ces réserves minimes près, l’ouvrage reste très plaisant et on ne sent pas passer ses près de trois heures de musique.

Royal Opera © Tristram Kenton

Le ténor ukrainien, Valentyn Dytiuk offre un Henri (Arrigo dans la version italienne) de belle stature. La voix est d’une grande puissance, très homogène sur toute la tessiture. Le français est très compréhensible. Le timbre est toutefois un peu blanc et l’émission très droite (un peu comme celle de certains ténors rossiniens, mais en version survitaminée). Sa jeunesse permet au chanteur de surmonter les difficultés de ce rôle terrifiant (jusqu’à un contre ré de poitrine à l’acte V, impressionnant à défaut d’être particulièrement musical). Le chanteur est également bon acteur avec une belle présence scénique. L’artiste est donc une belle découverte et il sera intéressant de suivre l’évolution de sa voix et de son répertoire, peut-être dans des Verdi plus dramatiques, chez Puccini, voire un jour dans Wagner. Joyce El-Khoury offre un timbre chaud, un français naturel, une projection appréciable. En bonne tragédienne, le soprano sait exprimer les sentiments contradictoires de ce personnage complexe, mélange improbable entre les héroïnes patriotes et guerrières comme l’Odabella dans Attila et les jeunes femmes plus sensibles mais soumises comme Maria Boccanegra. On passera sur quelques aigus un peu tendus dans l’air d’entrée et le Boléro, pour souligner ses magnifiques descentes chromatiques dans l’air de l’acte IV, « Ami !… Le cœur d’Hélène pardonne eu repentir ! », dont le soprano restitue parfaitement toute la tendresse émue. Quinn Kelsey offre une voix de stentor, un souffle puissant, une belle homogénéité sur la tessiture,  mais surtout un chant d’une grande intelligence, restituant idéalement, par le jeu des couleurs de la voix, les différentes émotions de son personnage. En Procida, Ildebrando D’Arcangelo nous a semblé en petite forme avec un air d’entrée un peu sur des œufs, manquant d’agilité et aux aigus détimbrés. Les choses s’améliorent par la suite : le personnage est bien campé et le timbre est d’une belle fraicheur. Les nombreux petits rôles sont bien assurés. Déjà présent en 2017, Neal Cooper (Thibault) offre une belle voix de ténor, sonore et claire. Vartan Gabrielian (Robert) est une basse pleine de noblesse. Thomas D. Hopkinson (Vaudémont) brule les planches. Jingwen Cai est une Ninette délicieuse. Blaise Malaba offre un Béthune plein d’autorité. Enfin, Michael Gibson (Daniéli) et Giorgi Guliashvili (Mainfroid) complètent efficacement la distribution. Les chœurs sont puissants, leur français impeccable, et ils occupent la scène de manière efficace grâce à une direction théâtrale poussée.

Opera © Tristram Kenton

À la tête d’un orchestre impeccable et survolté, Speranza Scappucci offre une direction très lyrique et théâtrale, alerte et vive, combinant la noblesse du grand opéra français et l’urgence typique du Verdi de cette époque. L’orchestre sonne pleinement, avec de beaux détails d’orchestration mis en valeur, sans que les chanteurs ne soient jamais mis en difficulté. Nommée récemment principal chef invité de l’institution, Sperenza Scappucci fait une entrée en fanfare et sera triomphalement accueillie aux saluts.

Opera © Tristram Kenton

Créée in loco en 2013 et reprise en 2017, en coproduction avec Copenhague, la production de Stefan Herheim reste toujours aussi intéressante et spectaculaire. Comme on l’a vu plus haut, l’ouvrage est donné ici dans sa version française originale, laquelle tend depuis quelques années à supplanter la version traditionnelle en italien (c’est donc la fin des Arrigo). Comme à son habitude, le metteur en scène norvégien propose deux niveaux de lecture avec d’une part un niveau quasi littéral globalement respectueux des rebondissements du livret et, d’autre part une lecture historique, l’action étant transposée à l’époque de la création de l’ouvrage, donné pendant l’exposition universelle de 1855. Au premier degré, le spectacle s’apprécie par la magnificence de décors spectaculaires et multiples, des danseurs qui animent constamment le plateau (alors que le ballet, Les Quatre saisons, est ici coupé), des costumes magnifiques et une excellente direction d’acteurs où chacun des nombreux rôles, y compris les plus petits, vient habiter la scène. La transposition nous amène au sein de l’Opéra Le Peletier, ancêtre du Palais Garnier. Les Siciliens figurent le milieu artistique. Les soldats français deviennent la bourgeoisie aisée qui fréquente l’opéra. On rappellera qu’à l’époque, les hommes de l’aristocratie nobiliaire ou financière n’hésitaient pas à recruter leurs maîtresses parmi les danseuses de l’Opéra, le Foyer de la Danse leur servant de terrain de chasse (on se réfèrera aux tableaux de Degas et on pourra lire, avec un certain écœurement, Les Cancans de l’Opéra ou le journal d’une habilleuse). Durant l’ouverture, nous assistons aux échauffements du corps de ballet dirigé par Procida. Les soldats font irruption et violent les jeunes femmes, Montfort se réservant la plus belle des ballerines. Procida a la jambe brisée. On revoit la ballerine revêtue de noir, enceinte, puis accompagné d’un enfant qu’elle élève dans la haine de son père, Montfort. Hélène (à l’acte I) puis Procida (à l’acte II) tentent vainement de susciter la révolte : les Siciliens (donc ici les artistes) aiment certes à se grimer en rebelles d’opérette, mais il ne s’en trouve quasiment aucun pour vraiment risquer sa vie contre l’envahisseur (comprendre : se révolter contre la bourgeoisie). On imagine que des dents doivent grincer. L’art peut-il réellement servir de catalyseur à une révolte populaire ou ne reste-t-il qu’une posture ?  Herheim traite ainsi de la domination de l’argent sur l’art. Les quatre actes se déroulent assez clairement suivant cette grille de lecture. Le dernier (qui nous a semblé légèrement modifié, mais peut-être nos souvenirs nous jouent-ils des tours) est plus abscons. Habillé de la même robe noire que la mère d’Henri durant l’ouverture, Procida tue un à un les invités à la noces d’Hélène et d’Henri, soldats comme Siciliens, avec la pointe d’un drapeau français. L’arrivée de Montfort met un terme à cette fantaisie, tout le monde se relevant en parfaite santé. Si la musique et le texte nous décrivent le massacre final, celui-ci n’a pas vraiment lieu : métaphore des révolutions avortées ? du cercle sans issue de la violence où la révolte et la répression se répètent éternellement ? illusion de la révolution (on pense à la fameuse phrase de Tancrède Falconeri dans Le Guépard : « Si nous ne sommes pas là, nous non plus, ils vont nous arranger une république. Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ») ? Les pistes de réflexion ne manquent pas mais, à ce stade de l’intrigue, on se serait volontiers contenter d’une fin prosaïque, plus simple et plus claire. À cette minime réserve près, le spectacle reste un enchantement.

  1. On ne donnera ici qu'un seul exemple avec le duo Montfort / Henri au IIIe acte : Montfort chante la mélodie principale tandis que Henri lit la lettre de sa mère sur une mélodie simplifié. Succèdent un récitatif, une strette, de nouveaux récitatifs avant que la forme initiale soit reprise mais inversée, Henri chantant le thème musical et Montfort le thème secondaire.

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