Vendredi 15 mars, la première de Luisa Miller à l’Opéra deTours a été annulée, les musiciens s’étant mis en grève pour dénoncer un financement trop faible pour leur secteur et la précarité des professionnels. Dimanche 17 mars, la représentation a eu lieu, précédée d’une intervention de deux musiciennes venues expliquer avec clarté et dignité les raisons de leur combat face aux spectateurs attentifs qui leur ont témoigné leur soutien par une véritable ovation.
Après quoi le rideau s’est levé sur le décor de Lionel Lesire qui représente une ruelle de village, encadrée d’énormes bâtiments grisâtres censés figurer des immeubles dont la façade est réduite à des esquisses de fenêtres surmontées de niches murales. Ces bâtiments mobiles, changent de place à vue au fil des actes pour délimiter une grande salle dans le palais du comte Walter ou l’intérieur modeste de la maison de Miller avec, au fond, un feu de cheminée. Une gigantesque montre ronde dont les aiguilles servent d’épées aux personnages, descend des cintres à intervalles réguliers. Les costumes aux teintes chaudes, ocre, rouge, marron, n’appartiennent pas à une époque déterminée, certains évoquent le vingtième siècle, d’autres, comme les longues capes que revêtent les choristes, le dix-neuvième. La direction d’acteurs de Frédéric Roels, somme toute minimaliste, est suffisamment efficace pour souligner les relations qui unissent les personnages ainsi que leurs motivations.
La distribution, d’un niveau superlatif, n’appelle que peu de réserves, chacun des protagonistes possède les moyens que son rôle exige et l’incarne avec conviction. Natalie Perez est une Laura à la voix fraîche et juvénile. Dotée d’un timbre ambré et homogène sur toute la tessiture Irene Savignano campe une Federica altière à qui l’élégance de sa ligne de chant confère toute la noblesse attachée à son rang. Les clés de fa sont globalement bien servies. La noirceur du timbre de Mischa Schelomianski et la profondeur de son registre grave lui permettent de manifester la cruauté et la duplicité de Wurm. Dommage que pour souligner son caractère machiavélique, le metteur en scène ait cru bon de faire de lui une sorte de diable d’opérette à la limite du ridicule, en l’affublant d’un costume entièrement rouge, du chapeau haut-de-forme jusqu’aux chaussures et d’une perruque d’un roux flamboyant. André Heyboer possède une voix de stentor remarquablement projetée. En dépit d’une dynamique somme toute limitée, le baryton parvient à exprimer avec conviction la tendresse que Miller éprouve pour sa fille et son désespoir lorsqu’elle meurt au dernier acte. Julien Véronèse a une indéniable présence scénique, dès son entrée en scène sa carrure impose le respect, voire la crainte. Cependant l’étendue de la tessiture du rôle du comte Walter n’est pas sans lui poser de problèmes aux deux extrémités de sa voix, l’extrême grave est confidentiel et le fa aigu est négocié non sans difficulté. Il faut dire que son air d’entrée « Ah ! Tutto m’aride », chanté à froid, est particulièrement tendu et semé d’embûches.
Le rôle de Luisa Miller n’est pas moins complexe, il préfigure d’ailleurs celui de Violetta : le premier acte réclame un soprano lyrique colorature puis au cours du deuxième c’est un spinto, voire un dramatique doté d’un grave corsé que l’on attend dans la cabalette « A brani, a brani, o perfido ». Cristina Giannelli parvient à rendre justice à la partition dans son ensemble. Les vocalises et les notes piquées de son air d’entrée sont exécutées avec brio et les trilles sont esquissés à défaut d’être battus. Enfin, son timbre lumineux évoque la jeunesse et la joie de vivre du personnage. Au deuxième acte elle affronte crânement sa grande scène avec Wurm dont elle se tire avec les honneurs en exprimant une émotion palpable. Enfin au III, elle parsème sa scène finale particulièrement touchante de piani du plus bel effet. Anthony Ciaramitaro est l’un des grands triomphateurs de la soirée. Le ténor américain qui a fait ses débuts professionnels en 2022 possède une voix large et puissante, dotée d’une belle projection et d’un timbre flatteur. Son grand air « Quando le sere al placido » est interprété avec une assurance et un sens de l’expression exemplaires. Tout au long de la soirée, nous restons éblouis par la qualité de son chant, la justesse de son style et son métier. Un nom à retenir.
Mentionnons également les chœurs, si importants dans cet ouvrage, remarquablement préparés par David Jackson. L’autre triomphateur de la soirée est Dayner Tafur-Díaz qui, à vingt-cinq ans, possède le mélodrame verdien dans la peau aussi bien qu’un chef qui a une longue expérience derrière lui. Sa direction énergique et contrastée, son sens aigu du théâtre, son souci du détail, sont déjà ceux d’un grand. Le public, bluffé par sa prestation spectaculaire, lui a réservé une grande ovation au salut final.