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VERDI, Nabucco – Genève

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Spectacle
14 juin 2023
Quand l’opéra résiste au mélange des genres

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre actes

Musique de Giuseppe Verdi

Livret de Temistocle Solera

Création à Milan (Teatro alla Scala) le 9 mars 1842

Détails

Coproduction avec les Théâtres de la Ville de Luxembourg, l’Opera Ballet Vlaanderen et le Teatro de la Maestranza de Séville

Mise en scène
Christiane Jatahy
Scénographie
Thomas Walgrave et Marcelo Lipiani
Costumes
An D’Huys
Lumières
Thomas Walgrave
Vidéos
Batman Zavareze
Directeur de la photographie et caméra
Paulo Camacho
Développement du système vidéo
Julio Parente
Création sonore
Pedro Vituri
Dramaturgie
Clara Pons

Nabucco
Nicola Alaimo (10, 14,17, 20, 25 et 29 juin)/ Roman Burdenko (22 et 27 juin)
Abigaille
Saioa Hernández
Zaccaria
Riccardo Zanellato
Ismaele
Davide Giusti
Fenena
Ena Pongrac
Anna
Giulia Bolcato
Abdallo
Omar Mancini
Il Gran Sacerdote
William Meinert

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Direction des chœurs
Alan Woodbridge
Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale
Antonino Fogliani

Genève, Grand Théâtre, dimanche 11 juin 2023 à 20h

Vox populi vox dei ? A en juger ainsi, l’enthousiasme qui a salué samedi soir la mise en scène du Nabucco confié par le Grand Théâtre de Genève à Christiane Jatahy prouve que c’est une réussite indiscutable. Pourtant on peut s’interroger sur la proposition. Pour cette artiste brésilienne qui se définit comme auteure, metteuse en scène et cinéaste cet opéra – le deuxième qu’elle met en scène – est une occasion de plus d’interroger, comme elle le fait depuis près de vingt ans la notion de frontière entre les arts et de traiter un thème récurrent dans son œuvre, celui des populations déplacées. Quel lieu plus indiqué que la ville où siège le Haut-Commissariat pour les réfugiés ? Mais quel rapport précis avec le Nabucco de Verdi et Solera ?

Dans cette œuvre, conformément à l’essence du théâtre, le spectacle des vicissitudes vécues par les personnages sert à l’édification du spectateur, qui les voit affronter des épreuves dont il est bien aise d’être épargné mais dont il sait qu’elles existent,  ce qui l’amène à réfléchir sur ces situations et sur lui-même. Mais il peut se sentir aussi concerné par les sentiments collectifs qu’expriment les chœurs – qui n’a pas envie de chanter, avec les Suisses de Guillaume Tell, « Liberté, redescends des cieux » ?  Jadis cantonnés au rôle de commentateurs des aventures des héros, ils s’affirment désormais en tant que groupe et c’est ce que font les Hébreux en particulier dans le célébrissime « Va pensiero ».

D’où l’idée de Christiane Jatahy de placer au sein du public des interprètes, peut-être dans l’espoir que les spectateurs seront transformés par ce voisinage. Elle appelle à une révolution intérieure, comme dans ces réunions évangéliques où les curieux, stimulés par la foi démonstrative des fidèles, sont appelés à se convertir. Et plus il y aura de conversions et plus la force collective grandira, et plus elle pourra influencer la société indépendamment des élites qui manipulent le peuple pour accaparer le pouvoir. Verra-t-on, à la fin du cycle – dernière le 29 juin – des Bastilles tomber à Genève ? Force nous est d’avouer que le vibrato prononcé de la choriste proche nous a surtout embarrassé, et peut-être en a-t-il été de même pour les spectateurs qui, ayant dû se lever pour permettre aux choristes disséminées de rejoindre leur groupe, se sont placidement rassis.

A deux reprises les chœurs s’aligneront le long des murs du parterre, en particulier à la fin voulue par Christiane Jatahy, qui a imaginé de leur faire rechanter le « Va pensiero » après la mort de la repentie Abigaille. Pour faire la soudure entre le final et cette reprise, Antonino Fogliani, qui dirige les représentations, a accepté d’écrire un intermezzo, ce qui n’a pas dû tourmenter ce compositeur contrarié. En deux minutes il instille une palette sonore qui a éveillé en nous des échos de Hindemith et de Webern, quand l’auteur nous suggère Sciarrino. Quoi qu’il en soit ce déplacement vers un univers sonore différent est fait assez habilement pour ne pas traumatiser l’auditeur et il permet à la metteuse en scène de refaire entendre ce chœur dont les lecteurs savent qu’il est une plainte nostalgique. Si encore il s’agissait d’un manifeste incitant à l’action… Avouons-le, le pourquoi de cette reprise nous échappe.

© Carole Parodi

Le spectacle lui-même ne laisse pas d’interroger. A scène ouverte, des miroirs qui reflètent la salle à la vaste traîne qui sera parure et entrave d’Abigaille, du plan d’eau où les solistes pataugent  à la fonction dramatique mystérieuse d’une pluie diluvienne, Thomas Walgrave et Marcello Lipiani créent des images auxquelles vont s’ajouter les projections coordonnées par Batman Zavareze, et les prises de vue de Paolo Camacho. Les caméras, instruments « de surveillance » comme quand Zaccaria les utilise pour manipuler les Hébreux, peuvent être des instruments de lutte, selon la metteuse en scène. Et le spectateur est bombardé d’images, dont beaucoup de gros plans. Mais comme ces images ne sont pas celles fictivement reprises par les caméras visibles sur scène mais le montage d’images enregistrées auparavant, on peut constater des décalages entre l’image du chanteur et ce que l’on entend, et ainsi est créée l’impression fâcheuse d’un play-back. Et l’on en revient à se demander si ce mélange est productif : par essence, le théâtre met à distance, pour permettre d’y voir clair. Ces tourbillons d’images, y aident-ils ?

Pas d’exotisme orientalisant dans les costumes d’An d’Huys : des vêtements contemporains sans recherche particulière, complet bleu pour Nabucco et son armée, pantalon pour Abigaille dont la volonté de pouvoir est perçue par Christiane Jatahy comme « masculine ». Mais une trouvaille singulière : Zaccaria impose à Fenena une robe que nous avons d’abord associée à la tenue des prêtresses du candomblé avant de lire dans le programme qu’il s’agit d’une « robe de mariée façon burka de Balenciaga Haute Couture ». Par la suite un groupe de cinq – ou six ? – portant la même toilette qui dénie une identité à celles qu’elle recouvre passera en procession, probablement symbole de l’oppression féminine, et deux d’entre elles s’écrouleront.

Nous sera-t-il permis de regretter, devant l’ampleur des moyens mis à disposition des réalisateurs, ne serait-ce qu’en choristes et figurants – pas loin de cent personnes sur scène, sans compter les solistes – le traitement des épisodes merveilleux ?  L’intervention divine qui terrasse Nabucco impressionne peu, comme inachevée, et la destruction de l’idole de Baal est purement et simplement escamotée. Le spectacle semble s’adresser au public qui a déjà vu cinq ou six Nabucco. Rappelons une fois encore que la survie de l’opéra dépend de ceux qui y vont pour la première fois et auront envie d’y retourner !

Il est temps d’en venir à ce qui, pour nous, constitue le véritable évènement et justifie amplement qu’on courre à ce spectacle. L’orchestre de la Suisse Romande brille de tous ses feux et délivre une exécution pleine de raffinements, tous pupitres réunis. Les musiciens épousent la conception d’Antonino Fogliani pour qui cet opéra est le coup de dé qui décidera du destin de Verdi musicien. Avec ferveur il modèle les phrases, soutient l’énergie, colore les contrastes, révèle le lyrisme séducteur ou péremptoire d’une écriture où circulent déjà les prémices d’idées musicales qui nourriront  Macbeth et Rigoletto. Purgé de tout accent vériste, ce Nabucco qui tient encore au bel canto redevient le maillon entre le passé proche et l’avenir qu’il annonce. C’est délectable en soi et cela l’est d’autant plus dans cette interprétation amoureuse.

© Carole Parodi

Ce bonheur monté de la fosse, le plateau ne l’altère pas. Dans les courts rôles de Fenena, d’Abdallo et du Gran Sacerdote de Baal, trois membres du Jeune Ensemble du Grand Théâtre, cette mini-troupe constituée de jeunes chanteurs à l’orée de leur carrière. Pour chacun d’eux il s’agit d’une prise de rôle, et c’est une joie de constater leurs qualités et leur engagement. Les notes aigües de la  mezzosoprano Ena Pongrac semblent encore un peu vertes, mais elle phrase bien le cantabile de son adieu à la vie. Le ténor Omar Mancini campe le fidèle de Nabucco d’une voix bien sonore et celle de William Meinert a la profondeur requise pour l’homologue assyrien de Zaccaria. Giulia Bolcato, membre elle aussi du Jeune ensemble, s’efforce de combler par sa présence scénique le rôle encore plus effacé d’Anna, la sœur de Zaccaria.

Davide Giusti, d’une voix vigoureuse, donne un relief notable à Ismaele, le neveu du roi d’Israël qui par amour protège la fille du souverain ennemi, et il restitue la complexité d’un personnage parfois dédaigné. De Zaccaria, Riccardo Zanellato a la noblesse ; mais dans cette production, le personnage est un manipulateur et sa noblesse n’est qu’une affectation destinée à tromper la crédulité du peuple qui se détournera de lui. L’acteur parvient avec finesse à rendre sensible cette duplicité. Le chant est policé, racé, mais on ne peut se défendre de souhaiter un peu plus de volume à son entrée, alors que rien dans le décor ne vient renvoyer la voix.

Il faut dire qu’entre sa pseudo-fille et Nabucco il affaire à de fortes pointures. Saioa Hernandez obtiendra un triomphe mérité par la bravoure avec laquelle elle affronte et domine le rôle d’Abigaille. Il y a bien quelques aigus métalliques, mais cela s’oublie vite quand les suivants ne le sont pas et que la voix cavalcade des cimes aux tréfonds, incisive, percutante, voire brutale, avant de s’alanguir dans l’évocation de l’amour qui aurait pu, qui pourrait être, brossant ainsi un portrait tout en nuances de la mal-aimée. Dans le rôle-titre Nicola Alaimo semble tout à son aise alors qu’il essuie lui aussi son baptême du feu. C’est une jouissance d’être gratifiés de la maîtrise d’une voix qui semble avoir retrouvé toute sa plénitude et d’une interprétation qui ne laisse rien à désirer sur le plan vocal ou scénique. On s’abandonne au plaisir et à la joie de penser que la lumière vocale est le reflet d’une paix reconquise. Triomphe pour lui aussi, évidemment, pour Antonino Fogliani, et, nous l’avons dit, aucune dissension perceptible pour la proposition scénique. On aura compris qu’elle ne nous a pas convaincu de sa pertinence, mais les bonheurs musicaux et vocaux sont tels qu’elle ne peut les amoindrir !

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Musique de Giuseppe Verdi

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Création à Milan (Teatro alla Scala) le 9 mars 1842

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Abigaille
Saioa Hernández
Zaccaria
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Ismaele
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