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WAGNER, Parsifal – Glyndebourne

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Spectacle
24 juin 2025
Dans la superbe direction musicale de Robin Ticciati, un Parsifal célèbrant la fraternité entre les hommes

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal
Festival scénique en trois actes
Livret du compositeur
Création à Bayreuth, Festspielhaus, le 26 juillet 1882

Détails

Mise en scène

Jetske Mijnssen
Scénographie

Ben Baur
Costumes

Gideon Davey
Chorégraphie

Dustin Klein
Lumières

Fabrice Kebour
Dramaturgie
Marius Bolten

Parsifal

Daniel Johansson
Gurnemanz

John Relyea
Kundry

Kristina Stanek
Amfortas

Audun Iversen
Klingsor

Ryan Speedo Green
Titurel

John Tomlinson

London Philharmonic Orchestra
The Glyndebourne Chorus
Direction musicale

Robin Ticciati

Glyndebourne Festival
19 juin 2025, 15h

Première le 17 mai
Dernière le 24 juin

 

 

Parmi les nombreux flashbacks qui émaillent cette production très psychanalytique de Parsifal, il est une image qui fait figure de scène primitive : on y voit, dans un champ de delphiniums bleus qui semblent préfigurer le jardin des filles-fleurs, un jeune et fringant Klingsor y poursuivre et poignarder avec un petit canif (substitut de la lance) un Amfortas qui se tordra de douleur sous le regard de leur père Titurel. Tout cela pour les beaux yeux et les belles tresses (rousses) d’une gamine (Kundry bien sûr)…

à gauche John Tomlinson © Richard Hubert Smith

Une famille dysfonctionnelle

Il aura suffi d’un rideau s’écartant pour transformer en théâtre (théâtre mental, théâtre du souvenir) le vaste salon où se déroule ce « festival sacré » devenu ici drame bourgeois. La metteuse en scène néerlandaise Jetske Mijnssen, après son récent Agrippina de Haendel à Zurich, que nous avons beaucoup aimé, semble se poser en spécialiste des familles dysfonctionnelles. De Parsifal, elle propose une lecture intime, familiale, parfois énigmatique, mais surtout très troublante. Si l’aspect mystique de l’œuvre de Wagner est estompé, – et de plus en plus à mesure qu’on avance vers le troisième acte, en revanche cette conception que nous dirons humaniste laisse dans l’esprit une trace profonde, d’autant qu’elle est en parfaite cohérence avec la fluidité de la direction orchestrale limpide, allégée, quasi chambriste, de Robin Ticciati.

Quel soulagement, après quelques Parsifal d’esthétique allemande de voir celui-ci, tellement anglais dans sa retenue, ses non-dits, ses suggestions, sa cruauté secrète. Jetske Mijnssen se réclame de Tchekhov, c’est plutôt à Ibsen qu’on pense constamment, un Ibsen noir, dont toute lumière serait absente.

Gurnemanz (John Relyea) et Titurel(John Tomlinson) © Richard Hubert Smith

La maison Titurel

Le décor unique suggère un manoir victorien ou bavarois. Colonnettes de faux marbre, lambris à hauteur d’appui, parquet ciré, à gauche une double porte bleu-nuit par où se feront toutes les entrées, à droite une vaste fenêtre close par des volets intérieurs : dans cette maison où Amfortas n’en finit plus de mourir, on redoute la lumière, celle du jour, comme celle de la vérité. Quelques appliques murales diffusent de chiches lueurs jaunâtres. Ici règnent la pénombre et le silence. L’action pourrait se passer en 1882, l’année de la création de l’opéra.
Ici vit une manière de communauté religieuse (Gurnemanz porte une soutane), qui tient de la société secrète et de la vieille aristocratie d’affaires. La maison Titurel, en somme.

Si Titurel a transmis ses pouvoirs à son fils Amfortas, il reste là, et sa présence silencieuse (formidable John Tomlinson) est celle, écrasante, d’un patriarche chenu mais implacable. Cette seule idée, qu’il soit toujours sur scène, le plus souvent avachi dans sa bergère Louis XV, rend palpable la vraie hiérarchie du pouvoir dans cette maison où s’agite, en guise de chevaliers du Graal, un bataillon d’élégants majordomes en fracs à boutons dorés, comme sortis de Downtown Abbey, incarnant l’ordre (parfois brutal : on les verra tabasser sauvagement Kundry).

Parsifal (Daniel Johansson) © Richard Hubert Smith

Les frères ennemis

Autre présence surprenante, celle de Klingsor, qu’on verra apparaître pendant la cérémonie du Graal au premier acte. Klingsor, c’est Caïn. Une phrase de la Genèse projetée sur le rideau pendant l’ouverture justifie cette analogie : « L’Eternel dit à Caïn : où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? » Klingsor, c’est le fils perdu. Le fait qu’il ait cherché à s’approprier la lance est gommé, il est l’insoumis, celui dont, dans la lecture de Jetske Mijnssen, on cherchera la rédemption. Et cette rédemption, celle qu’attend Amfortas, mais qu’obtiendra Klingsor, ce sera en somme le thème, le fil, le récit de cette production.

Kundry semble sortie d’un roman préraphaélite ou d’un récit de Jane Austen : une robe de laine noire boutonnée jusqu’au cou et un chignon serré lui donnent l’allure d’une de ces gouvernantes suisses qu’on faisait venir dans les vieilles familles anglaises ou bostoniennes. On la verra apporter à Klingsor son café sur un plateau d’argent, telle une servante silencieuse et docile.

Kundry (Kristina Stanek) et Klingsor (Ryan Speedo Green) © Richard Hubert Smith

Un Wanderer sans mémoire

C’est dans ce monde opaque qu’apparaîtra, tel un voyageur amnésique, un grand jeune homme en longue redingote de voyage. Que dans cette tenue lui donnant l’allure d’un Liszt en tournée, il ait abattu d’une flèche de son arc un cygne sacré semblera évidemment une de ces incongruités dont la mise en scène doive tant bien que mal s’accommoder… Ce Wanderer sans passé, qui à l’évidence ne comprend goutte à l’étrange société figée vers laquelle son destin l’a conduit est accueilli par cette Kundry qui, après lui avoir caressé le visage l’embrasse par surprise. Stupéfait, il ébauche le geste de l’étrangler, mais s’arrête heureusement à temps, puisque c’est d’elle qu’au deuxième acte il apprendra, sur un lit devenu le divan de Freud, le secret de ses origines, qu’il entendra pour la première fois son propre nom, et qu’il rencontrera sa mère Herzeleide, avant que, de cette mère, Kundry ne devienne le substitut. Après un autre baiser, qui vaudra révélation pour lui des mystères de la chair.

Daniel Johansson, John Relyea, Audun Iversen, John Tomlinson © Richard Hubert Smith

Imagerie sulpicienne

Auparavant il aura assisté en témoin stupéfait à une cérémonie du Graal devenue, sous un Christ en croix peint par Zurbaran, une communion sans joie, célébrée par un Amfortas extrait de son fauteuil d’invalide, entouré de Gurnemanz et Titurel. Les majordomes-chevaliers, vêtus d’aubes blanches, viendront sagement communier en rangs, mais quand Parsifal aura refusé le pain et le vin que Titurel lui aura proposés, il sera brutalement passé à tabac par les aubes blanches, révélant leur statut d’inexorables gardiens de l’orthodoxie.

C’est là qu’on aura enfin entendu la voix formidable d’un Tomlinson, quasi octogénaire, clamant son « Enthüllet den Gral ! – Découvrez le Graal ! » auquel répondra la plainte déchirante (« O Strafe, Strafe ») d’Amfortas, auquel Audun Iversen prête une puissante voix de baryton à laquelle il sait donner des couleurs blessées, et faire monter jusqu’au pathétique déchirant de ses « Erbarmen, Erbarmen – Pitié, pitié » – et le chœur de garçons au lointain lui répondra que « la pitié instruit », tandis que son père Titurel semblera faire le geste de le bénir.

Une inoubliable direction musicale

Tout cela dans une lumière orchestrale d’une admirable transparence, les lignes se superposant dans une lisibilité totale. Robin Ticciati dose la dynamique de manière à ne dépasser le mezzo forte qu’à bon escient, joue du silence, étire les lignes mais sait animer le discours (ainsi le « Nehmet vom Brot, nehmet vom Wein » des chevaliers), sans alourdir jamais. Le chef britannique joue d’un London Philharmonic en état de grâce, osant les longs pianissimis immatériels de l’ouverture, et n’écrase jamais le son, même pas durant la solennelle entrée des majordomes-chevaliers.

Les Filles-fleurs et Parsifal (Daniel Johansson © Richard Hubert Smith

Il faut dire qu’il dispose d’une distribution extraordinairement équilibrée, avec des voix aux couleurs justes de chaque rôle, dont un formidable Gurnemanz, John Relyea, timbre de bronze, noblesse des phrasés, stature majestueuse, tout cela rendant encore plus saisissants les sanglots qui soudain l’étouffent à la fin du premier acte, après qu’il a chassé ce Parsifal, dont il espérait qu’il sauverait le royaume du Graal, et qui semble dépassé par la tâche.

Non moins superbe, la voix très noire (une voix pour Alberich), celle de Klingsor, Ryan Speedo Green. Autre personnage blessé, quelque diabolique apparaisse-t-il, ayant fait son deuil de l’amour, et régnant sur une armée de quelque trente filles-fleurs, les plus étranges qui se puissent concevoir : mi-dames patronnesses mi-suffragettes, clonées sur Kundry, et décidées à ne faire qu’une bouchée du chaste fol qui se dirige vers elles et qui leur résistera impavidement… Pour mieux tomber sous la coupe de Kundry.

Daniel Johansson et Kristina Stanek © Richard Hubert Smith

La révélation

Menue, presque frêle, Kristina Stanek est une extraordinaire Kundry, déployant une étonnante puissance, des aigus limpides, des graves solides et surtout un médium sensuel et riche. Elle phrase de façon ensorcelante son monologue, « Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust », sur les ondulations de cordes que Robin Ticciardi tisse derrière elle. Abasourdi par la révélation du nom et de la mort de sa mère, Parsifal plonge dans un désespoir que Daniel Johansson rend universel, celui de tous les fils ayant perdu leur mère.

Déjà d’une sincérité bouleversante, il montera à des sommets d’émotion à partir de son « Amfortas ! Die Wunde ! » : la voix est très longue, ample, charnue, et confère à ce Parsifal une densité, une humanité, un poids de douleur, en adéquation avec la conception en somme très réaliste de Jetske Mijnssen.

Sous les arbres décharnés qui dominent le lit-confessionnal, ce duo formidable, cœur de l’opéra, montera encore un cran avec le récit de Kundry et un si naturel dardé comme un cri sur « lachte » (« Je l’ai vu, Lui, et j’ai ri ! »). Scène formidable à laquelle l’intimité de la mise en scène donne encore plus de puissance et qui montera à son apogée avant que ne survienne Klingsor avec la lance (en l’occurrence toujours le petit canif de leur jeunesse)… À l’issue d’une brève lutte, Parsifal se rendra maître de l’arme et de son adversaire.

Klingsor (Ryan Speedo Green) et Kundry (Kristina Stanek) © Richard Hubert Smith

Une image déconcertante

Et là, alors que l’orchestre se hissera à un des rares sommets épiques de la partition pour illustrer l’effondrement du domaine de Klingsor, c’est à l’effondrement moral du personnage qu’on assistera, et à la composition d’une image déconcertante, inattendue, surprenante, mais d’une justesse humaine troublante : Klingsor tombera aux genoux de Parsifal, qui l’enserrera de ses grands bras et lui caressera le crâne avec douceur, compassion, fraternité. Une image annonçant l’esprit du troisième acte.

L’attente

Les années ont passé, le manoir menace ruine. Si la porte et la fenêtre sont toujours là, le mur du fond sans ses lambris n’est plus qu’un mur de briques, contre lequel un tableau est posé à l’envers (est-ce le Christ de Zurbaran ?)
Au centre de la scène, le lit d’Amfortas, plus que jamais à l’article de la mort. Sur des petites chaises, tuant le temps comme dans un hospice, un vieux Klingsor et un vieillard aux longs cheveux blanc en pyjama, qui n’est pas Titurel, puisque Titurel est mort.

Amfortas (Audun Iversen) © Richard Hubert Smith

Sous la baguette de Robin Ticciati, le temps s’étire, accompagnant le noble Gurnemanz, à la diction toujours aussi impressionnante, dans son interminable attente. Que l’arrivée de Parsifal, viendra distraire. En guise de l’armure que porte alors en principe Parsifal, l’inévitable petit canif, symbolisant la lance. À son long récit évoquant ses tribulations, Gurnemanz répliquera avec bonté que tout est fini, maintenant : « Ce qui t’a éloigné du droit chemin n’existe plus, tu es arrivé sur les terres du Graal ».

Une manière de spiritualité laïque

Ce qui surprend, évidemment, c’est que Parsifal arrive dans cette chambre d’agonisant flanqué de son désormais inséparable Klingsor, et que c’est, écouté par lui et par un vieux Klingsor, qu’il peut battre sa coulpe : « Je suis celui qui a causé ce malheur ».
Pour l’apaiser, Kundry le fera asseoir, le déchaussera et lui lavera les pieds, avant qu’à son tour il ne lave les pieds de Kundry, double baptême qui semble un ultime souvenir de religiosité dans ce troisième acte, tiré de plus en plus vers une manière de spiritualité laïque. Et de l’Enchantement du Vendredi-Saint, Robin Ticciati donnera une lecture d’une poésie printanière, aux textures lumineuses, sinon désacralisée, mais d’un sacré autre.

Daniel Johansson et Kristina Stanek © Richard Hubert Smith

Winter is coming

Curieusement, après cet avril lumineux, l’hiver viendra très vite, puisque qu’apparaitront, sous des flocons du meilleur effet, le cortège funèbre de Titurel et son cercueil escorté des majordomes-chevaliers, vêtus de manteaux à pèlerines et coiffés de hauts-de-forme. Le chœur de Glyndebourne y sera vocalement magnifique d’ampleur et de majesté dans son mouvement circulaire autour du lit d’agonie d’Amfortas, qui fera le geste désespéré de suivre son père et de vouloir mourir. Il n’aura pas longtemps à attendre.

Fraternité et rédemption

C’est le moment où Parsifal d’un coup de lance magique devrait le rendre à la vie. Son « Nur eine Waffe taugt », grand air de la résurrection, devrait être éclatant. Pour les besoins de la cause (et de la mise en scène), il n’y aura pas de guérison. Au contraire, dans le climat apaisé des dernières mesures de la partition, on recouvrira d’un drap le corps d’Amfortas, tandis qu’au premier plan côté cour, on verra se former un triangle : Parsifal au centre embrassant à la fois Kundry et Klingsor.

Ultime image humaniste, célébrant la fraternité, une fraternité conquise, et le retour de Klingsor dans le cercle des hommes. Sa rédemption.

En contradiction sans doute avec la lettre de l’œuvre, mais en adhésion, peut-on penser, avec l’esprit de Wagner.

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Scénographie

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The Glyndebourne Chorus
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Glyndebourne Festival
19 juin 2025, 15h

Première le 17 mai
Dernière le 24 juin

 

 

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