Deuxième journée du Ring et voici l’opus magnum Siegfried sévèrement revu par l’éprouvante vacuité de la proposition de Valentin Schwarz.
On retrouvera la cape couverture indienne dévolue aux sauveurs, mystérieusement abandonnée chez Mime, la casquette du garçonnet mal élevé du Prologue, le manteau mité et rouillé de Siegmund sur le dos de Siegfried et l’inévitable antre du nain (dans le genre d’un taudis de l’Ost Berlin vers 1970). On y trouve des marionnettes et un petit théâtre avec rideau de velours où chacun va tenter d’imposer sa vison de l’histoire près de l’étage où se situe une chambre d’enfant – dans laquelle Mime se masturbe consciencieusement après avoir déployé un calendrier dit de charme avec femmes dénudées, alors que Siegfried explique comment il va tuer le dragon Fafner, gardien de l’or. Bref la vulgarité est toujours au rendez-vous dans la suite de cette proposition pleine d’absurdités. Citons pêle-mêle « l’épée » Notung forgée à partir d’une canne de blessé (symbolisant sans doute l’échec de Siegmund), un Wotan toujours en complet beurre frais flanqué d’hommes de mains en visite chez Mime, entre autres. Bref, on se moque comme d’une guigne du narratif du metteur en scène autrichien puisqu’il ne nous parle pas. L’essentiel est heureusement ailleurs avec un orchestre sans génie mais en phase avec les climats de ce premier acte : la noirceur initiale des desseins de Mime, puis son monologue fou, le leitmotiv du dragon, l’arrivée héroïque de Siegfried, entre autres motifs. Mime, c’est encore l’excellent Ya-Chung Huang, qui compose un personnage burlesque, naïf, malmené par Siegfried et par toutes les contorsions sur scène auxquelles l’a condamné V. Schwarz. Le Siegfried de Klaus Florian Vogt est tout simplement parfait (tel qu’attendu) ; non seulement doté du physique idéal (sans perruque) mais aussi de la vocalité héroïque idoine. Si les chants de la forge et de la fonte sont ridiculisés dans la mise en scène, Siegfried enflamme les spectateurs du Festspielhaus avec un chant à la projection aisée, jamais forcée, d’une rondeur sonore délectable. Dans son cantabile (qui en a déjà laissé plus d’un en chemin par le passé) Klaus Florian Vogt fait preuve d’endurance et d’une parfaite tenue des registres éprouvants tels qu’écrits sur la partition. Le temps semble n’avoir décidément pas de prise sur ce superbe chanteur : nul ne pourrait douter en effet que son personnage ignore la peur. Le Wotan de Tomasz Konieczny s’impose sans peine (malgré quelques défauts déjà relevés) mais le vibrato y est moins envahissant et il fait preuve d’une solennité mystérieuse qui ne dessert pas le Wanderer. Le jeu des questions avec Mime est ici brillant, tenant éloigné des fadaises du récit schwarzien.
Le deuxième acte se situe dans la villa de Fafner, vieillard malfaisant et lubrique, en lit médicalisé. Est-ce à cause de cette trouvaille ridicule qu’on aura attendu en vain un fortissimo un peu plus éclatant dans la fosse au Prélude ? Tobias Kehrer est un magnifique Fafner, aussi impressionnant dans ce rôle que dans celui de Titurel la veille – où on l’a entendu dans le Parsifal de Jay Scheib. Ce vieillard est soigné par son aide ménagère, l’Oiseau de la forêt. Le grave caverneux, abyssal (même chantant de dos) de Tobias Kehrer est décidément formidable, accompagné du tuba et de la contrebasse de l’orchestre. L’Alberich d’Olafur Sigurdason convainc à nouveau mais le Mime grimaçant de Ya-Chung Huang est absolument exceptionnel dans sa scène de révélation. Il joue des riches ressources de son baryton dans tous les registres de sa tessiture pour livrer un personnage tantôt grotesque tantôt inquiétant, une performance très chaleureusement saluée par le public (qui offrira de longues ovations méritées à tous). Siegfried offre évidemment un moment de pur bonheur avec son aria « Dass der Mein Vater nicht ist» après le lyrisme délicat venu de la fosse des Murmures de la Forêt. Durant la soirée, sa maitrise du rôle et de ses nuances est un plaisir de chaque instant. Alors que l’Oiseau de la Forêt a rendu son tablier d’aide soignante et flirté avec le héros (Victoria Randem en fait un oiseau de paradis) qui brûle bientôt pour lui en retour, le dialogue entre Fafner mourant et Siegfried tient toutes ses promesses, mais Wotan ici ne semble guère avoir compris la leçon d’humilité que le livret lui réserve. Nul doute que cette histoire de lutte des classes qu’on veut nous asséner n’en soit responsable, dans cette proposition scénique, vainement philistine dans ses foisonnantes et vaines péripéties. Un figurant (adulte) représentant (nous dit-on) Hagen enfant n’apporte strictement rien au récit. La signification de sa disparition avec Siegfried, tous deux crevant un tableau (dans le goût de Klimt) en passe-muraille en fin d’acte demeurera un mystère, qui ne nous hantera pas.
A l’Acte III en lieu et place du défilé montagneux de la première scène et du rocher encerclé de flammes où dort Brünnhilde, Siegfried se retrouve dans la maison en ruines de Wotan, ce dernier muni du chapeau texan de la Walkyrie rebelle et d’une valise. Sa dernière scène dans le Ring n’aura pas la grandeur tragique attendue même si l’intervention de l’Erda d’Anna Kissjudit est de nouveau superbe, déployant un timbre sombre et ambré évoquant sans peine les ressorts cachés du destin. Dommage qu’elle soit déguisée en SDF. Son duo avec Wotan (Tomasz Konieczny très investi) semble dénoter qu’elle-même a aussi été violée par lui. Un tel goût pour l’obscène dans la mise en scène interroge.
Dans le deuxième tableau, le duo se fait immense entre Brünnhilde et Siegfried, à la hauteur des enjeux de l’œuvre, grâce à ces deux très grands chanteurs, au sommet de leurs moyens. On essaie d’oublier qu’elle est de retour d’une clinique esthétique, y ayant été obligée comme ses sœurs dans la Première journée. Catherine Foster livre un hymne de toute beauté, plein de noblesse, avec une justesse admirable (sans les hurlements que nous assènent parfois ses consœurs dans « Heil Dir, Sonne, heil dir, Licht »). Siegfried, lui, effrayé par la femme parvient à grandir et s’imposer contre Grane, l’assistant personnel (souvenez-vous) de la Walkyrie, et contre ses scrupules de déesse. Malgré un son un peu trop fondu venu de la fosse, Simone Young ayant enfin donné la part belle aux pupitres graves depuis le début de la soirée, mais un peu moins aux belles échappées des cordes, la représentation de ce lundi soir d’août du deuxième cycle du Ring 2025 est de haute volée grâce à un plateau vocal d’exception.
WAGNER, Siegfried – Bayreuth






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Der Ring des Nibelungen
Zweiter Tag : Siegfried
Drame musical en 3 actes
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883)
Création le 16 août 1876 à Bayreuth
Détails
Mise en scène
Valentin Schwarz
Décors
Andrea Cozzi
Costumes
Andy Besuch
Dramaturgie
Konrad Kuhn
Lumières
Nicol Hungsberg, Reinhard Traub
Siegfried
Klaus Florian Vogt
Mime
Ya-Chung Huang
Der Wanderer
Tomasz Konieczny
Alberich
Olafur Sigudarson
Fafner
Tobias Kehrer
Erda
Anna Kissjudit
Brünnhilde
Catherine Foster
Waldvogel
Victoria Randem
Festspielorchester
Direction musicale
Simone Young
Bayreuth, Festspielhaus, lundi 18 août 2025, 16h
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