Joshua Weilerstein (également chef principal de l’Orchestre symphonique d’Aalborg) en a ouvert une nouvelle page avec l’exigence souriante et le plaisir manifeste des passionnés. Et cela a plu aux musiciens comme au public. Son panache, son envie sincère de transmission, son dynamisme ont d’ailleurs imposé son surnom aux musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne (qu’il a dirigé de 2015 à 2021), « Josh, le jeune Bernstein ». Tout est dit. Né en 1987, le jeune chef américain est aussi le créateur d’un podcast très suivi (« Sticky Notes » avec sept millions de téléchargements dans 190 pays) sur les œuvres qu’il défend sur scène ou au disque. Nous l’avons donc rencontré alors qu’il ouvre sa deuxième saison et que l’orchestre va fêter ses 50 ans en 2026.
C’est votre deuxième saison à la tête de l’ONL. Quel bilan faites-vous de votre arrivée à Lille ?
Un bilan très positif. J’adore l’orchestre et j’adore la ville de Lille. J’apprécie l’engagement de l’orchestre, ainsi que celui du public, très fidèle. En cette saison 2025-26 où nous jouons hors les murs (la salle du Nouveau Siècle dédiée à l’ONL est en travaux pour un an, N.D.L.R) les concerts sont quasiment complets jusqu’au printemps. C’est un rêve pour moi de travailler pour cette institution. Les musiciens et moi-même nous comprenons car nous parlons la même langue musicale. Cette relation privilégiée entre un chef et son orchestre demeure un mystère pour moi. Cela advient… ou pas, c’est inexplicable.
Comment comptez-vous faire évoluer son identité ?
C’est un processus. Je poursuis le travail d’Alexandre Bloch, le précédent directeur musical ainsi que celui du fondateur de l’orchestre, Jean-Claude Casadesus. J’essaie de construire sur leurs fondations. Je pense que c’est une combinaison des trois qui façonne l’identité de l’orchestre du point de vue du son, de l’articulation, de la transparence et des couleurs. J’ai immédiatement identifié la personnalité de l’ONL en le dirigeant pour la première fois. Nous savons que l’orchestre a besoin d’une voix – pas seulement pour diriger un concert – c’est-à-dire d’une vision artistique sur le long-terme. Et il est profitable de retravailler chaque semaine ces mêmes points. Nous nous améliorons ainsi en développant le son, en remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier pour parfaire l’identité de la formation. Tous les orchestres ont un point ou un autre à améliorer. Je vais diriger huit séries, donc vingt-cinq concerts à peu près, sans oublier les concerts éducatifs, les tournées. Cela permet un travail suivi, important pour la santé de l’orchestre, sans oublier les enregistrements.
Quels sont vos répertoires préférés et quels sont les points forts de la saison ?
Je suis très intéressé par la musique méconnue du passé quelles qu’en soient les raisons, « l’entertainment music », les œuvres des années 30-40 que les nazis ont tenté d’effacer, avec par exemple les œuvres de Pavel Haas, Gideon Klein, Viktor Uhlmann (tous déportés à Theresienstadt N.D.L.R). J’aime aussi les compositrices qu’on redécouvre telles Germaine Tailleferre, Lili Boulanger ou Elsa Barraine. Sans oublier naturellement la musique contemporaine, si importante pour la compréhension de l’orchestre et du public, puisqu’elle met en perspective et dialogue avec celle du passé. Pour cette saison, les 4 et 5 décembre à l’Opéra de Lille, nous donnerons Laniakea de Camille Pépin autour d’un super amas de galaxies, avec le concerto pour violoncelle d’Henri Dutilleux, Tout un monde lointain par Victor Julien-Laferrière, et la Symphonie en ré mineur de César Franck. Trois générations de la musique française qui vont résonner ensemble. Sinon, nous fêtons les 150 ans de Maurice Ravel au Théâtre des Champs-Elysées ce 15 octobre et programmons deux concerts en janvier et mai 2026 qui me sont également chers. D’abord une soirée présentant le nouveau concerto, Fidl Fantasy, par et avec Noah Bendix-Balgley, violon solo du Philharmonique de Berlin, suivi de la Dixième symphonie de D. Chostakovitch. En mai, à Lille et Soissons, nous interpréterons une des œuvres les plus connues au monde, la Symphonie n°5 de Beethoven et une œuvre méconnue, la Partita für Streichorchester de Gideon Klein (composée à Theresienstadt N.D.L.R) et le Deuxième Concerto pour piano de Chostakovitch sous les doigts de Denis Kozhukhin.
Qui sont vos modèles en tant que chefs ?
Mon modèle est Carlos Kleiber pour sa musicalité extraordinaire. Il a fourni un travail très précis avec l’orchestre sans négliger cependant une ligne horizontale, comme peut-être ne l’a réussi aucun autre. Et sa joie de diriger est toujours une source d’inspiration pour moi.Lennie Bernstein bien-sûr me plaît beaucoup, entre autres, pour sa passion de la transmission. Je me suis demandé il y a quelques années ce que ferait Bernstein aujourd’hui pour communiquer sa passion de la musique. Et je me suis dit qu’il produirait un podcast. C’est ainsi que j’ai créé le mien en 2017. Ce sont deux chefs exceptionnels.
Ecouter vos podcasts, par exemple celui sur Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill, œuvre que vous avez dirigée pour les Nuits d’été en juillet 2025, est impressionnant. Combien de temps y consacrez-vous ?
Créer un nouveau podcast me prend sept à dix heures par semaine pour écrire, enregistrer puis corriger, après des mois de recherche sur les œuvres sur lesquelles je travaille. Pour moi diriger l’orchestre et créer ces podcasts sont une seule et même mission ; cela m’aide en tant que chef puisque j’approfondis ma connaissance des enjeux et des partitions. Mais surtout je trouve normal d’en faire profiter tout le monde. Pour moi diriger c’est partager avec tous.