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GLUCK, Iphigénie en Tauride – Paris (Opéra-Comique)

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Spectacle
4 novembre 2025
Féroce et fière Iphigénie

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Tragédie lyrique en quatre actes de Christoph Willibald Gluck, sur un livret de Nicolas-François Guillard, représentée pour la première fois à l’Académie royale de musique à Paris, le 18 mai 1779. Version Opéra-Comique 2025 : l’ouverture d’Iphigénie en Aulide est jouée avant un prologue parlé écrit par Wajdi Mouawad.

Détails

Mise en scène et texte
Wajdi Mouawad

Dramaturgie
Charlotte Farcet

Scénographie et création du tableau Le Sacrifice d’Iphigénie
Emmanuel Clolus

Costumes, coiffures, perruques, maquillage
Emmanuelle Thomas

Chorégraphie
Daphné Mauger

Lumières
Éric Champoux

Concepteur son
Michel Maurer

Assistant à la direction musicale
Liochka Massabie

Collaboration artistique à la mise en scène
Valérie Nègre

Directrice d’intimité
Stéphanie Breton

Assistant aux costumes
Jérémy Bauchet

Assistante aux décors
Clara-Louise Daumas-Richardson

Directeur des études musicales
Benoît Hartoin

Pianiste cheffe de chant
Ayano Kamei

Chef de chœur
Joël Suhubiette

 

Iphigénie
Tamara Bounazou

Oreste
Theo Hoffman

Pylade
Philippe Talbot

Thoas
Jean-Fernand Setti

Diane/Deuxième prêtresse
Léontine Maridat-Zimmerlin

Une femme grecque/Première prêtresse
Fanny Soyer

Un Scythe/Un ministre du sanctuaire
Lysandre Châlon

Comédien
Anthony Roullier

Voix annonce du musée
Daria Pisareva

 

Orchestre
Le Consort

Chœur
Les éléments

Direction musicale
Louis Langrée (du 2 au 6 nov.)/Théotime Langlois de Swarte (du 8 au 12 nov.)

 

Production du Théâtre national de l’Opéra-Comique en co-production avec le Théâtre de la Ville du Luxembourg et l’Opéra du Capitole-Toulouse Métropole Décors construits par le théâtre national de La Colline

Représentation du dimanche 2 novembre 2025 à 15h, Théâtre national de l’Opéra-Comique

Dans l’Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra-Comique, Louis Langrée et Wajdi Mouawad joignent leurs forces dans une symbiose évidente pour proposer une lecture féroce et captivante, qui se situe d’emblée au cœur de la machine dramatique. Rarement la violence, la noblesse et le dépouillement de la tragédie française ont été aussi bien servis que par cette fosse incandescente et cette mise en scène regorgeant de tableaux marquants, tandis qu’en Iphigénie Tamara Bounazou brûle les planches de la salle Favart.

Assumant de s’adresser à tous les publics contemporains, la production de Wajdi Mouawad s’ouvre par un écart pédagogique nécessaire : pendant que l’orchestre joue la fiévreuse ouverture d’Iphigénie en Aulide, une présentation récapitule les étapes du mythe complexe de la fille d’Agamemnon, inséré qu’il est dans une malédiction familiale (celle des Atrides) et dans un intertexte épique (la guerre de Troie). La projection, efficacement synchronisée avec les changements d’atmosphère de l’ouverture, s’achève dans un déchaînement de terreur à l’orchestre avec une photographie de chars russes déferlant sur une route de Crimée – l’actuelle Tauride. Le parallèle esquissé se prolonge dans un deuxième détour, une saynète située dans un musée en Crimée occupée par les Russes. On y retrouve les protagonistes de l’opéra dans des situations équivalentes à celle du livret, chacun étant tenu par une fidélité à sa culture et au sang versé qui le dépasse, une fidélité qui enchaîne l’individu à la violence et appelle de nouveaux crimes. Dans ce musée, une toile dépeignant le sacrifice d’Iphigénie sous perfusion d’hémoglobine happe le regard. Puis ce quatrième mur se soulève, invitant à entrer dans le mythe représenté et les premières mesures d’Iphigénie en Tauride retentissent. Le parallèle avec la situation de la Crimée n’est pas forcé, il est à peine formulé et ne revient plus une fois l’opéra commencé. Surtout, cette saynète s’abstient de tout manichéisme au propos contemporain facile pour préférer un aperçu terrifiant de la permanence de violences héritées et d’effusions de sang présentées comme involontaires et inévitables. Chacun se fera son avis sur cet ajout, mais il est pleinement respectueux de l’œuvre et il met au jour une coïncidence troublante que nous n’avons aucune raison d’écarter de la réception contemporaine de ce livret.

Par la suite, l’action se déroule dans un décor unique mais aux configurations et atmosphères changeantes grâce aux lumières d’Éric Champoux, qui jouent sur plusieurs rangées de projecteurs pour permettre des effets de plans multiples (il faut ainsi attendre plusieurs scènes pour apercevoir le fond de ce décor). D’immenses parois noires aux reflets de jais et à l’aspect de papier froissé entourent une plaque de miroir mat creusé de sillons évoquant une table de sacrifice ou de dissection. Les costumes d’Emmanuelle Thomas prolongent cet univers nocturne en y ajoutant de discrètes touches barbares plus qu’orientales, rappelant que la Scythie est un pays d’altérité radicale pour les Grecs.

Wajdi Mouawad se distingue par un art admirable de l’efficacité et de la limpidité dans la création de tableaux vivants. Les chœurs sont toujours mis en mouvement avec cohérence et impact, le plateau étant tantôt équilibré tantôt éclaté pour servir les phases du drame. Rien ne semble superflu et, dans ce dépouillement, la force du symbole est redoublée. Ainsi de la peinture rouge qu’Iphigénie et ses prêtresses badigeonnent sur les victimes sacrificielles et sur le mur d’immolation dans la première scène : le tableau abstrait et affreux créé par ces trainées de peinture sèche peu à peu pendant l’opéra, le rouge s’assagissant en un brun terne, créant des formes mouvantes et inquiétantes, mais qui en séchant signifient clairement un tarissement du sang versé. C’est ce que l’on comprend au moment du sacrifice d’Oreste par Iphigénie : le rituel du premier tableau est remis en place à l’identique, mais Iphigénie retient son coup lorsqu’elle comprend qui est l’étranger, et aucun sang frais ne s’ajoute au sang séché – sans pour autant l’effacer. La subtilité très humble de la mise en scène de Wajdi Mouawad est à l’image de ce détail, intelligent, fort, discret, servant avec justesse le drame dans ce qu’il a de plus essentiel et de plus intemporel.

Louis Langrée propose une lecture remarquable de fougue et de volonté dramatique. Dans un mouvement lisse et en parfaite symbiose avec le plateau, il enflamme, déchaîne, déploie, ménage des silences d’une justesse évidente, soutient les dilemmes et en un mot anime un opéra où l’action se fait rare dans le livret mais dont la partition regorge de tension. L’orchestre Le Consort est en très grande forme et se montre capable des nuances les plus opposées et les plus expressives – on saluera notamment une très belle section de cuivres et un hautbois magicien. Le chœur Les éléments est abondamment sollicité par la partition comme par la mise en scène ; le chœur féminin surtout se révèle à la hauteur de son rôle primordial, voix d’une communauté et miroir pour les protagonistes. C’est parce que la fosse foisonne d’inventivité et de virulence, parce qu’elle porte en outre un plateau de grande qualité, que l’on en vient à oublier que le livret de l’opéra reste, hormis dans les dernières minutes, très pauvre en actions.

La distribution est dominée par Tamara Bounazou, qui fait ici des débuts triomphaux et qui se distingue par l’intensité de son interprétation. La voix est solide, franchement émise, égale sur tous les registres y compris dans des graves sonores légèrement poitrinés ; elle affronte sans hésitation les sauts de registre d’une partition très exigeante tout en trouvant les ressources d’un legato velouté. Ce qui surtout fait d’elle une splendide Iphigénie est sa diction nette, précise sans être affectée, si bien que les surtitrages sont absolument superflus y compris dans les airs. Les récitatifs la trouvent pleine d’inventivité pour incarner son texte sans le déformer et l’on sent là tout le travail préalable que cet apparence de naturel a dû exiger. Son Iphigénie est féroce et déchirée, parfois cruelle, parfois bouleversante, jamais excessive. On trouve là une tragédienne splendide. Que sa carrière nous réserve (ainsi qu’à elle) d’aussi belles surprises que celle-ci.

Oreste est l’autre personnage principal du drame. Theo Hoffman doit relever le défi d’être l’unique chanteur non francophone, ce qui s’entend légèrement sans rien de gênant. Il brille par son engagement scénique total, même si cette intensité semble parfois coûter à la voix, qui par ailleurs manque un peu de projection : sa grande scène de folie pourrait ainsi trouver plus d’équilibre entre le théâtre et le chant. Cela ne l’empêche pas de recueillir une ovation aux saluts.

Philippe Talbot a toujours pour lui la souplesse dorée de son ténor léger, qui est parfois englouti par l’orchestre. Il est surtout un acteur convaincant dans le duo émouvant qu’il forme avec Oreste, chacun étant lié à l’autre par un sentiment unique dans cet opéra sévère qui se préoccupe peu d’amitié ou d’amour.

Les qualités naturelles de la voix de basse de Jean-Ferdinand Setti suffisent à assurer la réussite de son Thoas. Il a en outre la stature imposante d’un personnage cruel et trop peu présent pour avoir plusieurs dimensions.

Léontine Maridat-Zimmerlin prête ses rigueurs vocales et gestuelles à une Diane hiératique très bien pensée et caractérisée. On apprécie l’inflexibilité de ce timbre de mezzo plutôt profond. Les très bons Fanny Soyer et Lysandre Châlon complètent cette distribution réussie.

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Mise en scène et texte
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Daria Pisareva

 

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Louis Langrée (du 2 au 6 nov.)/Théotime Langlois de Swarte (du 8 au 12 nov.)

 

Production du Théâtre national de l’Opéra-Comique en co-production avec le Théâtre de la Ville du Luxembourg et l’Opéra du Capitole-Toulouse Métropole Décors construits par le théâtre national de La Colline

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