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« Visions d’artistes »
l’exposition dont Richard Wagner est le héros

04/11/07

© DR

Par une belle journée tu te promènes sur les rives du Rhin, enchanté par la douceur de l’air et les cris des enfants…  Ta balade te conduit jusqu’à la porte de Pantin où tu visites « Richard Wagner, visions d’artistes », exposition proposée du 25 octobre au 20 janvier par La Cité de la Musique à Paris. A la sortie, tu n’as pas mangé du rôti de dragon mais admiré pensif une cinquantaine d’œuvres d’art en écoutant le monologue d’Hans Sachs et l’Enchantement du vendredi saint. Tu te demandes alors pourquoi et surtout pour qui une telle exposition.




Il faut dire qu’avant de fouler l’herbe dorée des berges rhénanes, tu as erré dans le labyrinthe de la Toile et qu’en cherchant le chemin le plus court pour gagner la Porte de Pantin – la première des épreuves – tu as découvert la page consacrée à l’événement. Là ni plan, ni horaires d’ouverture, ni informations pratiques mais une version accessible aux publics handicapés que, Dieu merci, tu n’as pas eu besoin de consulter. L’initiative n’en est pas moins louable. Tu as, quant à toi, exploré un peu plus bas le jeu « l’opéra dont vous êtes le héros ». C’est à ce moment qu’a commencé ta promenade sur les rives du Rhin, bercé par le chant de ses 3 filles dont l’aigu de l’une d’entre elles a pourfendu ton oreille. Peu importe, tu as découvert l’univers merveilleux de Richard Wagner en vivant une aventure dont tu es le héros.

Amusé et abusé par cette équipée virtuelle, tu convoques alors une armée de gamins avec lesquels tu décides de partir à la conquête de La Cité de La Musique. Tu es tout à la fois Lohengrin, Siegfried et Parsifal, chevalier invincible conduisant ton bataillon d’angelots vers la lumière wagnérienne, paladin merveilleux offrant à ton peloton de têtes blondes un premier rite initiatique qui, plus tard, pourra entraîner les plus courageux d’entre eux au sommet de la Colline Inspirée.

Après avoir traversé la moitié de Paris et changé quatre fois de ligne de métro, tu t’interroges sur le bien-fondé d’un nouvel auditorium de 2500 places dans un endroit aussi mal desservi. Mais tu délaisses vite ces noires pensées, ta croisade aujourd’hui ne passe pas par là.

Une fois dans la citadelle, tu apprécies le livret remis à chaque visiteur, qui détaille les toiles accrochées et explique le parcours musical de l’exposition, parcours plus théorique que pratique car en réalité, le casque vissé sur les oreilles, tu écoutes les extraits proposés comme bon te chante sans rechercher une « résonance avec le parcours visuel », quête qui te semble tout autant impossible que celle du Graal.

Tu te confrontes dès l’entrée aux deux portraits de Richard Wagner, « d’un côté la copie du tableau de Franz Von Lenbach dessinant un profil autoritaire et impérieux, décrété par l’épouse de Wagner comme l’image officielle du maître, de l’autre, l’effigie d’Auguste Renoir montrant très tôt la réappropriation de l’icône germanique par l’école impressionniste » ainsi que l’énonce le texte de Marie-Pauline Martin.

Tu commences alors à réaliser que ton escouade de bambins risque de ne pas aimer Richard Wagner autant qu’Harry Potter. Tu es à ce moment Isolde au premier acte de Tristan, embarqué bon gré mal gré dans une sacrée galère.

Tu troques ton épée magique contre un martinet afin de maîtriser tes troupes et tu t’enfonces dans le méandre des salles, une seule en fait découpée en plusieurs espaces par un jeu habile de cloisons. Balancé entre Henri Fantin-Latour, Edward Robert Hughes et Markus Lüperz, tu goûtes « la délicate notion de wagnérisme », c’est-à-dire d’après le programme « à la fois un mouvement de soutien au musicien, une réflexion sur l’union des arts, l’engouement pour une dramaturgie élevée à la hauteur du mythe, une enseigne de l’avant-garde artistique, une idéologie politique, une religion et même un absolu ». De manière moins intellectuelle, tu te laisses emporter par l’élan fauve qui traverse les peintures de Moser, « Vénus dans la grotte »  et « le voyageur », saisir par la vision blafarde d’Isolde selon Gabriel Von Max, aspirer par les montagnes vertigineuses qui écrasent la marche des pèlerins de Tannhäuser d’après Hugo Hodiener. Tu souris devant les effusions liquides de « Becoming light » de Bill Viola en songeant à Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille et à ce spectateur horrifié qu’on ait transformé Tristan en cachet d’aspirine. Pendant ce temps, ta meute de gosses trépigne d’ennui mais tu tiens bon ; tu es Alberich, régnant par la seule force de son fouet sur les Nibelungen terrorisés.

Dans la médiathèque à côté, les visions des cinéastes – des extraits de film qui utilisent la musique de Wagner – te paraissent presque plus concluantes car le mouvement des images ajouté au flux symphonique t’aide à mieux réaliser le « prodige de l’art total (ou Gesamtkunstwerk) ». Tu te délectes alors de Charlie Chaplin jouant avec la mappemonde sur le prélude de Lohengrin dans Le Dictateur ou de la distance ironique qu’introduit la Chevauchée des Walkyries dans le ballet des curistes de Huit et demi.

Profitant de l’obscurité, tes séraphins sont devenus diablotins qui chahutent et se roulent sur le sol en poussant de petits cris. Il te faut enfin admettre que contrairement à ce que t’avait laissé imaginer le jeu sur Internet l’exposition n’est pas recommandée aux enfants de moins de 16 ans. Est-elle d’ailleurs destinée à un public non averti ? Tu ne sais pas ; tu es Wotan, héros déchu et pitoyable débordé par les frasques de sa progéniture. Tu as perdu !

Christophe RIZOUD

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> Voir aussi le site de La Cité de la Musique

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