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MONTE CARLO
23/01/04

Susan Neves (Aïda)
Giuseppe VERDI

Aïda

Aida : Susan Neves
Radamès : Nicola Rossi Giordano
Amneris : Dolora Zajik
Amonasro : Carlos Almaguer
Ramfis : Nicolai Ghiaurov
Le Roi : Valerian Ruminski
Un messager : Nicola Chiovetto
La Grande-Prêtresse : Erszébet Erdélyi

Direction musicale : Riccardo Frezza
Décors et costumes : Bruno Schwengl
Chorégraphie : Jean Renshaw
Chef des choeurs : Kristan Missirkov

Ballet du Théâtre d'Erfurt 
Artistes de l'Académie de danse Princesse Grâce
Orchestre Philharmonique et Choeurs de l'Opéra de Monte-Carlo

Nouvelle production en co-production avec le Théâtre D'Erfurt

Spectacle du 23 janvier 2004



Tous les théâtres ne peuvent réussir Aïda. La leçon de goût et de style donnée par l'Opéra de Monte-Carlo, pour cette production la plus difficile de Verdi, confirme, s'il le fallait encore, la vitalité de la scène monégasque.

Une Aïda finalement intimiste, pourquoi pas ? L'opéra le plus populaire du monde à cause bien sûr de sa marche triomphale et de ses trompettes, a trop souvent excité les montreurs de carton-pâte proposant des visions pseudo-éthiopico-égyptiennes pour que l'expérience vaille la peine d'être tentée. Autant dire tout de suite que la mise en scène du Suisse Dieter Kaegi, superbement secondé par les décors épurés, stylisés et les costumes de bon aloi très 1930 de Bruno Schwengl, emporte l'adhésion la plus complète. En transposant fort habilement l'action lors d'une improbable guerre coloniale fasciste, Schweng dénonce à la fois la société bourgeoise et le pouvoir ecclésiastique, bref, tout ce que Verdi détestait. Bourré de clichés hollywoodiens (la scène du triomphe se passe sous les projecteurs - comme souvent le reste de l'histoire - d'un cinéma avide d'images fortes et sensationnelles) ce spectaculaire de pacotille rend à sa vérité première une Aïda intériorisée, restituée, sous les tocs et ors factices de l'époque car téléguidés, à sa dimension humaine, à ses véritables prolongements psychologiques.

Enfin, on retrouve le compositeur que nous connaissons bien, le Verdi des murmures et des déchirures, le Verdi des conflits humains qui caractérisent l'ensemble de son oeuvre.
Grâce à Kaegi, l'ouvrage trouve un autre ton et acquiert une dimension nouvelle : les sentiments l'emportent sur l'emphase et l'émission sur la déclamation. Aïda, sur la scène du Forum Grimaldi, devient la même histoire d'amour et de mort que Traviata ou Luisa Miller... Et plus que jamais, dans ces décors et costumes design se sent la dénonciation, toujours d'actualité, de tout ce que le musicien dénonçait : l'intemporalité de l'intégrisme religieux ou politique, l'incommunicabilité entre les peuples... malgré cinéma, téléphone e tutti quanti...
Dans la fosse, même heureuse surprise, Riccardo Frizza, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, avec son drive prodigieux, son génie du mouvement et du son, transcende la partition, nous convie à une véritable fête de la vie théâtrale, dégage tous les parfums délétères d'une Égypte en cinémascope.

Sous sa baguette, Susan Neves est une Aïda au chant extatique, d'une rare splendeur, surtout à partir de l'Acte du Nil où jamais la souffrance de l'héroïne partagée entre amour et devoir n'a été vécue avec autant de dignité et de noblesse. Face à elle, Dolora Zajik, volcan en fusion, toutes griffes et ongles dehors, vipérine, d'une violence presque racinienne (on pense souvent à Hermione), exceptionnelle de sentiment et de lyrisme (le rôle, elle le connaît, l'artiste tient à le faire savoir !) réussit à nouveau ce tour de force qui consiste à faire passer dans la scène du jugement sa propre agonie.

Le Radamès de Nicola Rossi Giordano mérite une mention particulière. Assauts de bravoure bien placée, si bémol percutant, italianità renversante de simplicité, sex-appeal irrésistible.
Le Mexicain Carlos Almaguer chante un Amonasro de luxe. Les moyens sont impressionnants, comme ceux du Roi Valerian Ruminsky. Qu'on aurait aimé entendre dans le Grand-Prêtre...

Le sympathique vétéran Nicolai Ghiaurov mérite plus que du respect. Avec un trou large comme le delta du Nil au milieu de la voix, la basse bulgare arrive à camper un Ramfis saisissant, glacial d'autorité, voire de fanatisme. Vocalement, il s'arrange avec une intelligence diabolique de la partition. Stupéfiant !

Satisfecit plus que global pour les Choeurs et le ballet, très kitsch...
En conclusion, un spectacle où l'intelligence et la réflexion ne renient pas une certaine recherche esthétique.
 
 

Christian COLOMBEAU

Lire aussi la critique de Aïda à Erfurt

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