OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BRUXELLES
10/04/2008


Bernarda Fink
© DR Ferdinand Neumüller


Johann Sebastian BACH (1685 – 1750)


Suite n° 2 BWV 1067 pour flûte, cordes et basse continue
Cantate BWV 35 Geist und Seele wird verwirret
Sinfonia de la cantata BWV 209 Non so che sia dolore
pour flûte, cordes et basse continue
Cantate BWV 170 Vergnügte Ruh ! belibete Seelenlust

Bernarda Fink, mezzo soprano
Karl Kaiser, flûte
Katharina Arfken, hautbois
Wolfgang Zerer, orgue

Freiburger Barockorchester
Petra Müllejans, direction


Conservatoire de Bruxelles (production Bozar),
le 10 avril 2008, 20h

Repos béni, félicité de l’âme !


Bienheureux croyants, dont la journée débutait au son des cantates de Bach ! Aujourd’hui, il nous faut attendre le crépuscule pour réentendre ce chef-d’œuvre qu’est Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust. A l’époque, la majorité des cantates prenaient place avant le sermon dans le Hauptgottesdienst, l’office luthérien des dimanches et jours de fête, soit vers sept heures trente du matin. Certes, le contexte était tout autre et il ne serait jamais venu à l’idée du clergé de donner également des œuvres instrumentales et profanes ni de laisser une femme interpréter la musique du Cantor. De toute évidence, celui-ci disposait en 1726 d’un interprète hors pair, à la fois virtuose et très expressif qui lui inspira trois de ses quatre cantates pour alto. Mais quel « alto » : un garçon ou contre-ténor ? Nous n’en savons rien. Toujours est-il que dans la symbolique théologique, l’alto représentait l’Esprit saint, une abstraction que n’évoque guère le timbre si charnel et maternel de Bernarda Fink ! Mais refermons ce préambule historique : après tout, nous ne sommes pas au temple, mais au concert, trois siècles plus tard…

Pour cette tournée qui, après Londres, Fribourg et Berlin, l’amène à Bruxelles, la chanteuse slovéno-argentine est accompagnée par la crème des musiciens : une quinzaine d’instrumentistes issus de ce Freiburger Barockorchester dont le public de la Monnaie a pu apprécier l’opulence et le raffinement dans le Giulio Cesare dirigé par René Jacobs au début de l’année. Une fois encore, leur sens aigu de la caractérisation (1) fait merveille dans les danses richement contrastées de la suite en si, couronnée par la célèbre badinerie prise à un tempo extrêmement vif et entraînant au point que quelques spectateurs du parterre se mettent à dodeliner de la tête ou à battre du pied. Plus encore que sa cohésion, c’est la complicité de l’ensemble avec la chanteuse qui ne laisse pas de fasciner : il épouse la moindre de ses inflexions, respire et chante avec elle – à moins qu’elle ne joue avec eux. Cette qualité d’écoute a certainement frappé René Jacobs, lequel ne manque pas une occasion d’associer l’orchestre à ses projets lyriques (Rinaldo, Don Giovanni, Orphée et Eurydice…). Toutefois, les Fribourgeois tiennent à leur indépendance et s’ils multiplient les collaborations avec les meilleurs chefs, c’est pour mieux se retrouver entre eux et se laisser guider par deux violonistes issus de leurs rangs : Gottfried von der Golz ou, comme ce soir, Petra Müllejans. L’effectif de chambre adopté pour ce concert Bach met aussi en valeur les individualités qui le composent, non seulement la flûte et les hautbois requis pour des solos ou l’orgue, fort sollicité dans les cantates, mais aussi un violoncelle enrobé et singulièrement alerte au sein du continuo.

D’aucuns pensent que les longs préludes qui encadrent les deux parties de la cantate BWV 35 trahissent son origine instrumentale, « Geist und Seele wird verwirret » reprenant le matériau du mouvement lent. Pour d’autres, Bach aurait voulu montrer le talent de son fils aîné, Wilhelm Friedemann, brillant organiste de seize ans. Si son art du dire sculpte un récitatif vivace et captivant, Bernarda Fink reste un peu sur son quant à soi dans les airs, en particulier « Got hat alles wohlgemacht » qui manque de panache. Affaire de tempérament, sans doute,  ces pages requérant moins d’intériorité que d’élan. Elle ne semble pas davantage emportée par la jubilation qui conclut la BWV 170 (« Mir ekelt mehr zu leben »), mais partout ailleurs, la mezzo trouve le ton juste et des accents pénétrants, délivrant cette lumière étrange entre toutes qui plonge au tréfonds de chacun. Si ces lueurs nous parlent, croyants ou non, c’est parce qu’elles disent l’angoisse de l’âme égarée (« Wie jammern mich ») comme sa délivrance (« Vergnügte Ruh ! beliebte Seelenlust ! »). Est-ce parce qu’il relève d’un choix plus personnel ? C’est en tout cas dans un bis généreux, la lancinante et douloureuse sicilienne de la BWV 169, « Stirb in mir, Welt ! » (« Meurs en moi, Monde ! »), que Bernarda Fink semble se donner complètement. Et de retrouver alors cette voix qui étreint en douceur et ouvre les cœurs. Instant rare de communion, où même les tousseux impénitents retiennent leur souffle. Nous fermons les yeux, apaisés et bouleversés tout à la fois, mais déjà la réalité se rappelle à nous. Il faut se lever, nos voisins s’ébrouent et veulent regagner leur chaumière…

Parmi la foule nombreuse, il y avait peut-être quelques candidats du prochain Concours Reine Elisabeth ; puissent-ils tirer profit de cette formidable leçon de musique et de rhétorique, c’est tout le mal qu’on leur souhaite ! Bernarda Fink reviendra la saison prochaine, mais au Palais des Beaux-Arts. Au programme : le Pianto della Madona sopra il Lamento d’Arianna de Monteverdi et la sublime cantate de Ferrandini (longtemps attribuée à Haendel) Giunta l’ora fatal (2), où elle devrait encore faire pleurer les pierres, comme dirait René Jacobs (encore lui, mais oui!) Elle sera accompagnée par le Giardino Armonico qui s’illustrera pour sa part dans Marini, Caldara, Pisendel et Vivaldi. Rendez-vous le 9 septembre 2008.

                           
Bernard SCHREUDERS

 

(1) Il faut les réécouter aux côtés de Sandrina Piau, sur le magnifique album Mozart qui inaugurait son contrat avec Naïve
(2) A découvrir au disque dans l’interprétation d’Anne Sofie von Oter ou encore celle d’Agnès Mellon, sans doute plus poignante
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