C O N C E R T S 
 
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METZ
09/10/05
© DR
Giacomo PUCCINI (1858-1924)

MADAMA BUTTERFLY

Opéra en trois actes

Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
Créé à la Scala de Milan le 17 février 1904

Coproduction Opéra de Metz / Opéra de Marseille / Opéra de Bordeaux

Direction musicale Alain GUINGAL
Mise en scène Numa SADOUL
Décors et collaboration artistique Luc LONDIVEAU
Costumes Katia DUFLOT
Lumières Patrice WILLAUME
Chef de chant Marie-Claude PAPION

Cio-Cio-San : Hiromi OMURA

Suzuki : Christine LABADENS
Pinkerton : Maurizio COMENCINI
Sharpless : Jean-Marc IVALDI
Goro : Dominique ROSSIGNOL
Yamadori : Julien NEYER
L'Oncle Bonze : Jean-Marie DELPAS
Kate, La Mère : Françoise FOLSCHWEILLER-LOY
La Tante : Isabelle THEOBALD
La Cousine : Czeslawa KICIAK
Yakuside : Jean-Sébastien FRANTZ
L'Officier du registre : Lionel VOIRY
Douleur (fils de Cio-Cio-San) : Fahel HALIL ou Cathy DUDA

Choeurs de l'Opéra de Metz, Ensemble Mille e tre
Orchestre National de Lorraine

Dimanche 9 octobre 2005

L'ordre règne à Metz. La salle est comble, et comme le dit ma charmante voisine, qui me confie avoir vu sa première Butterfly à 14 ans : "Là, au moins, ils comprendront que c'est ça qui marche, le répertoire !". On se hasarde à répondre qu'un répertoire ne vit que s'il se renouvelle, et on n'ose dire qu'à l'époque de sa première Butterfly, vu son âge manifeste, c'était justement du répertoire quasi tout neuf. Renouveler le répertoire, oui, répond-elle, magnanime, mais tout dépend encore comment on le montre... Pas de doute, les épisodes Médée et Powder her face font encore causer dans les chaumières de Metz, et ce n'est pas demain la veille qu'on verra ici sur scène un zizi suisse.

Eric Chevalier, qui assume sa première saison autonome depuis le départ mouvementé de Laurence Dale, fait voeu d'éclectisme. On lui reconnaîtra une saison effectivement diverse, unissant répertoire (Butterfly, Eugène Onéguine, Lakmé) et re-créations (L'Amant anonyme du Chevalier de Saint-George, les Liasons Dangereuses de Claude Prey), l'exotisme colonial et l'opéra français servant d'arguments de cohérence. Mais ce n'est pas le retour des opérettes de répertoire, et quelques "prises de risques" plutôt timides et consensuelles, qui convaincront pour le moment de la volonté de donner à Metz un autre statut que celui de salle de province bien sous tous rapports. Il fallait calmer le jeu, musicalement et scéniquement, cette saison y pourvoira. Mais ensuite ?

Nous pardonnera-t-on ce préambule, lorsqu'on aura dit que cette Madame Butterfly fut une soirée exceptionnelle, dont beaucoup sortirent les larmes aux yeux ? La mise en scène de Numa Sadoul a un immense avantage : la modestie, le souci d'une lecture littérale du livret, qui dresse le cadre unique et nécessaire pour que les personnages prennent chair : pas de "japoniaiseries", rappel de la pauvreté de Cio-Cio-San dont le décor se fait l'écho, présence quasi perpétuelle de l'enfant Douleur, accusateur innocent d'un Pinkerton dépeint sans la moindre indulgence. Quelques détails subtils accompagnent l'évolution psychologique de Cio-Cio-San, qui au deuxième acte adopte des vêtements occidentaux et installe une statuette de la Liberté et un Christ saint-sulpicien en lieu et place de celles de ses ancêtres, ou, autre clin d'oeil, un Goro (excellent Dominique Rossignol, vocalement et scéniquement) parvenu au second acte avec Chapeau melon et redingote. Rien n'encombre le plateau, mais tout a un sens, une nécessité dramatique, et laisse à la musique tout l'espace de respiration nécessaire. Un talent que tant d'autres metteurs en scène oublient, et qui mérite que l'on en fasse hommage à Numa Sadoul. On lui pardonnera alors d'autant plus deux échecs patents, une apparition de l'Oncle Bonze digne des BD que Sadoul adore par ailleurs, mais parfaitement loupée (en grande partie aussi à cause de la voix peu puissante de Jean-Marie Delpas), mais surtout un ballet kitsch à souhait, fumigènes et bulles de savon, un songe de veille de Cio-Cio-San ahurissant de ridicule.

Les larmes, on les doit à une Cio-Cio-San bouleversante, Hiromi Omura. Familière du rôle qu'elle chante notamment à Amiens en 2004, et comme doublure de Eva Jenis dans la récente production de Lille, Nancy * et Angers, Hiromi Omura a une présence scénique exceptionnelle, touchante de grâce et de détermination dans le premier acte, pathétique et torturée dans le second entre espoir et solitude, violente et humiliée dans le dernier. Une progression psychologique et une tension dramatique dont elle rend à merveille toute la cohérence et la subtilité, avec une liberté de gestes et un naturel qui confondent. Butterfly qui n'a rien d'autre à faire qu'attendre, attendre un homme qui s'est trompé de film, qui s'est cru dans un vaudeville et qui fuit même le dénouement de la tragédie, Butterfly qui porte toute l'oeuvre, Puccini offrant ainsi à toute interprète un défi monumental, vocal et dramatique. Hiromi Omura le relève avec panache, tirant parti d'un metteur en scène et d'un chef laissant le mélodrame de Puccini s'assumer et s'épanouir avec liberté. La voix est puissante, ductile, la ligne de chant, d'une tenue magnifique dans les grands phrases pucciniennes, sait s'effacer devant des accents dramatiques toujours judicieux. Tout cela nous vaut entre autres un "Un bel di" bouleversant.

A ses côtés, hélas, le Pinkerton de Maurizio Comencini, correct vocalement, n'a guère d'aisance scénique, ce qui accroît encore le côté antipathique du personnage, et nuit à l'émotion du grand duo final du premier acte. Comme souvent Sharpless (Jean-Marc Ivaldi) est plus convaincant. Interprétation sensible de Suzuki par une habituée du rôle, Christine Labadens.

La direction de Alain Guingal, malgré quelques décalages passagers, dessine avec souffle et précision la partition, complice des paroxysmes passionnels de Cio-Cio-San. Elle confirme la belle forme de l'orchestre de Metz.
 
 

Sophie ROUGHOL

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* on retrouvera Hiromi Omura à Nancy dans Iphigénie en Tauride de Glück (rôle de Diane) , du 26 novembre au 6 décembre.

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