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LAUSANNE
12/06/05

Nikolaï Schukoff (Don José) & Isabelle Cals (Carmen)
© DR Opéra de Lausanne
Georges Bizet (1840-1875)

CARMEN 

 Opéra comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
d'après la nouvelle de Prosper Mérimée 

Production du Welsh National Opera

Isabelle Cals (Carmen)
Nikolaï Schukoff (Don José)
Evgueniy Alexiev (Escamillo)
Ainhoa Garmendia (Micaëla)
Christine Rigaud (Frasquita)
Elodie Méchain (Mercedes)
Ivan Ludlow (Le Dancaïre)
Emiliano Gonzalez Toro (Le Remendado)
André Morsch (Morales)
Jean-Marc Salzmann (Zuniga)

Patrice Caurier et Moshe Leiser (mise en scène)
Jean-Michel Criqui (reprise de la mise en scène)
Christian Fenouillat (décors)
Agostino Cavalca (costumes)
Christophe Forey (lumières)

Orchestre de Chambre de Lausanne
Choeur de l'Opéra de Lausanne
Choeur d'enfants de l'Opéra de Lausanne
Christophe Talmont, chef des choeurs
Nicolas Chalvin, direction musicale

Opéra de Lausanne, 12 Juin 2005



Carmen déçoit, Bizet triomphe.

Patrice Caurier et Moshe Leiser voulaient quitter le stéréotype d'une Carmen femme fatale, légère, gitane excessive, garce. Leur Carmen devenait une femme libre. Libre dans un monde machiste. Une femme sans excès. Une femme ne se battant que pour sa liberté de femme. Mais à force de vouloir montrer cette femme libérée comme on en rencontre de nos jours, les deux metteurs en scène français ont gommé l'intensité et la démesure de Carmen. Sous leurs désirs d'abolir la gitane extravertie, leur Carmen devient banale. Non pas dans le discours, puisque les mots du livret conservent la puissance du message féministe, mais dans le geste théâtral. Dès lors, quel intérêt de présenter une femme banale au théâtre ? Probablement aucun. Le théâtre est fait de personnages typés, excessifs, extraordinaires. Carmen, par sa place dans l'histoire du féminisme, l'est plus encore que n'importe quelle autre héroïne d'opéra.


© DR Opéra de Lausanne

Monté pour la première fois à Cardiff, voici cinq ans, ce spectacle a tourné dans toute l'Europe (voir critique à Marseille) avec des fortunes diverses. Si la caractérisation des personnages imaginée par les deux metteurs en scène français avait pu séduire le public du Welsh National Theater, à Lausanne, la distribution proposée n'a pas brigué tous les suffrages. A commencer par Isabelle Cals (Carmen) qui ne convainc guère. Pourtant capable de beaux moments, comme dans son premier duo avec Don José, on regrette que la chanteuse ne projette pas dans le masque plutôt que dans la joue un très beau timbre de voix, teinté de couleurs violettes et de noires, centré dans un rare et véritable registre de mezzo soprano. Si la voix parlée est claire et distincte, la diction chantée reste brouillonne avec une chute sensible de la puissance. Parmi les autres protagonistes, tant Elodie Méchain (Mercedes) que Christine Rigaud (Frasquita) sont de bien pâles compagnes et leur routinier "air des cartes" n'avait rien de théâtral. Si la voix crémeuse d'Ainhoa Garmendia (Micaëla) convient au tempérament du personnage, l'élocution défaillante de la chanteuse espagnole transforme cette crème en une pâte inintelligible. De son côté, le torero de Evgueniy Alexiev (Escamillo) n'échappe pas à la caricature souvent attachée à son personnage. La voix est puissante mais manque de finesse et de sensibilité musicale. Chez la basse russe, tout est dans l'excès, peu dans la musicalité.

Seul le ténor Nikolaï Schukoff (Don José) échappe à cette distribution décevante. Admirable acteur, il se surpasse dans l'expressivité. Capable d'asséner des aigus éclatants, même si parfois tendus, il est un don José superbe de délire amoureux. Et pourtant la voix n'est pas très belle. Heurtée, le legato souvent absent, elle n'est pas sans rappeler les accents âpres d'un Jon Vickers. Comme lui, le ténor autrichien s'exprime avec une théâtralité exceptionnelle. Au tombé du rideau, son continuel engagement scénique en fait le triomphateur du plateau.

Pourtant c'est vers Bizet que partent les ovations du public lausannois. Le Georges Bizet de Nicolas Chalvin. Nos lignes ont déjà relevé les qualités d'élégance, de musicalité, du sens de la phrase musicale du jeune chef français. Dans Carmen, il illustre les pages du compositeur sans jamais tomber dans la caricature de ces mélodies connues de chacun. Traitant la musique de Bizet dans l'esprit de sa création à l'Opéra comique, il tisse une dentelle poétique chargée de la finesse, de la subtilité et de la délicatesse d'un ensemble de musique de chambre. Jamais, dans la fosse de l'Opéra de Lausanne, l'Orchestre de Chambre de Lausanne n'aura tant brillé. A la pâleur du plateau des chanteurs s'opposait la richesse d'un orchestre admirablement découpé, éclaté. Si la scène avait été habitée par de meilleurs musiciens nul doute que le spectacle se serait potentialisé. Mêmes les décors de Christian Fenouillat, les costumes d'Agostino Cavalca et les lumières de Christophe Forey se seraient révélés moins fades qu'ils ne le sont.
 

Jacques Schmitt

Prochaines représentations
les 13, 15, 17 et 19 juin 2005

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