C O N C E R T S 
 
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NEW-YORK
13/05/05

Placido Domingo © DR
CYRANO DE BERGERAC

Opéra en 4 actes de Franco Alfano
Livret d'Henri Cain
D'après la pièce d'Edmond Rostand

Production : Francesca Zambello
Décors : Peter J. Davidson
Costumes : Anita Yavich
Lumières : Natasha Katz
Duels : Rick Sordelet
Chorégraphie : Thomas Baird

Cyrano de Bergerac : Placido Domingo
Roxane : Sondra Radvanovsky
Christian : Raymond Very
Ragueneau : Roberto de Candia
Lisa, sa femme : Jennifer Check
De Guiche : Anthony Michaels-Moore
Lignière : Andrew Gangestad
Montfleury : Bernard Fitch
De Valvert : Brian Davis
La Duègne : Sheila Nader
Un cuisinier : Roger Andrews
Un mousquetaire : Richard Pearson
Carbon : Louis Otey
Sentinelles : David Frye & Gregory Cross
L'officier espagnol : Brian Davis
Une soeur converse : Jennifer Check
Soeur Marthe : Diane Elias

Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera de New-York
Direction : Marco Armiliato 

New-York, Metropolitan Opera, le 13 mai 2005

AUX AMES BIEN NEZ

Le Metropolitan Opera ne peut décidément rien refuser à son ténor vedette. Après Sly en 2002, c'est au tour de Cyrano de Bergerac de devoir sa résurrection à la volonté de l'infatigable ténor espagnol, avide de nouveaux rôles à sa mesure.

Pour satisfaire le chaland, l'institution new-yorkaise a bien fait les choses : nombreux figurants, multiples décors "en dur", duels et ballets viennent spectaculairement soutenir l'attention.
Au premier acte, nous sommes au coeur du théâtre de l'Hôtel de Bourgogne avec scène et étages de loges (1) ; le dernier tableau est une version épurée du décor fixe du Teatro Olimpico de Varese : une perspective de maisons de villes traçant des rues qui fuient vers le fond de la scène, ensemble qu'on retrouvera à l'acte II pour la scène du balcon.

Entre temps, nous aurons eu droit aux cuisines de Ragueneau où s'activent maint cuistots.
L'acte III nous mène au siège d'Arras : tirs au canon garantis, bruit et effets pyrotechniques inclus.

Enfin, le dernier acte nous conduit au couvent ; après cette débauche scénographique un peu étouffante et d'une certaine facilité, nous retrouvons un décor stylisé, propre à la conclusion du drame : miracle !

Ajoutez une direction d'acteur sobrement théâtrale : le spectateur parisien n'en croit pas ses yeux ; de toute évidence, Francesca Zambello réserve ses audaces au public de Bastille...

C'est que la cause n'est pas jouée : Cyrano de Bergerac est loin d'être un chef-d'oeuvre injustement méconnu et les défenseurs les moins objectifs du répertoire oublié (dont je fais partie !) auraient du mal à crier à la redécouverte du siècle (2).

Alors qu'on pouvait attendre de "l'homme qui a fini Turandot" une musique vériste, les passages de ce style sont relativement rares : l'art d'Alfano se déploie essentiellement dans la beauté d'un orchestre presque debussyste, au détriment des voix, qui ne se voient jamais confier d'airs ni de mélodies qui marquent l'esprit à la première audition. 

Seules exceptions : le beau duo de l'acte II et l'air magnifique de Roxane à l'acte III, qui vaudra d'ailleurs à Sondra Radvanovsky la seule véritable ovation durant le cours du spectacle (malgré une abominable perruque blonde !).

Il s'agit ici d'une oeuvre qui gagne à la réécoute et avouons que cette opportunité est rarement donnée aux ouvrages qui ne sont pas estampillées "chefs-d'oeuvre du répertoire ". Fort heureusement, l'enregistrement DVD de Roberto Alagna nous permet d'apprécier plus en profondeur cet ouvrage attachant sinon exceptionnel.

Mais si cette représentation finit par un succès incontestable au rideau final, c'est avant tout le succès d'Edmond Rostand lui-même ; d'autant que le livret d'Henri Cain préserve quelques unes des répliques les plus célèbres de la pièce originale. 

Le public apprécie visiblement cette démonstration d'esprit (en tout cas ce qu'il en reste réduit à un peu plus de deux heures de musique), et ce malgré une traduction souvent médiocre. Quant à l'intrigue, elle est sans comparaison avec celle de Sly, ouvrage relativement faible dramatiquement : le public est donc justement séduit, l'oeuvre musicale respectant le crescendo de la pièce.

Ce succès, c'est aussi celui de l'indestructible Placido Domingo qui, à 64 ans, signe sa 121ème prise de rôle. La tessiture assez centrale est idéale pour le ténor à ce stade de sa carrière et le volume est encore tout à fait correct, le style est en revanche parfois un peu relâché (3). Principal regret, et Domingo n'est pas seul en cause, on se dit à maintes reprises, que l'ouvrage gagnerait à être chanté en français (ce qu'il est, semble-t-il, car on reconnaît une phrase de temps à autres).

Théâtralement, le ténor espagnol est un héros de fière allure aux trois premiers actes ; pour le dernier, on pouvait craindre une interprétation générique (Placido est mort tant de fois sur scène !). Au contraire, l'artiste sait se renouveler et créer surprise et émotion grâce à une incarnation d'un pathétique achevé : du grand art.

A ses côtés, Sondra Radvanovsky est une Roxane en pleine forme, un rien bridée par une partition qui lui laisse peu de moments d'expression spectaculaires, à l'exception des deux passages déjà cités qui lui vaudront un succès mérité au rideau final. Sans être une artiste accomplie, la soprano continue à progresser, les problèmes de justesse ayant apparemment disparus.

Raymond Very incarne à la perfection la jeunesse un peu fade de Christian. Vocalement, on sent rapidement la fatigue avec une voix de plus en plus engorgée au fil de la représentation.

Opéra oblige, les autres personnages de la pièce originale sont ici à peine esquissés.

Dans ces conditions, l'impeccable Anthony Michaels-Moore est un luxe en de Guiche, de même que le Ragueneau touchant de Roberto de Candia. 

A la tête de l'orchestre du Metropolitan, Marco Armiliato maîtrise avec métier une orchestration opulente qui, en des mains moins expertes, pourrait couvrir les chanteurs. On regrettera néanmoins une certaine difficulté à rendre lisible la ligne mélodique d'Alfano.

Donné à guichet fermé pour trois représentations, Cyrano sera repris dès la saison prochaine : une occasion de mieux apprécier cet ouvrage au travers d'une seconde écoute.
 
 

Placido CARREROTTI
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Notes

1. Un décor qui rappelle celui du dernier acte de la production du Ballo in Maschera de John Schlesinger à Salzbourg

2. Cyrano de Bergerac me semble nettement inférieur à Risurrezione.

3. Disons en tout cas que la ligne vocale ne coule pas toujours de source, ce qui vient peut-être aussi de certaines bizarreries harmoniques de l'orchestration.

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