C O N C E R T S 
 
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PARIS
1er et 2/02/03
 
Le Démon
© Marie-Noëlle Robert
Eugène Onéguine
© Marie-Noëlle Robert
 Le Démon

Opéra Fantastique
en trois actes et sept tableaux
Livret d'Apollon Maïkov
et Pavel Viskovatov d'après Lermontov

Musique d'Anton Rubinstein

Direction Musicale : Valery Gergiev
Mise en scène : Lev Dodin
Décors : David Borovsky
Costumes : Chloé Obolensky
Lumière : Jean Kalman

Le Démon : Evgueny Nikitin
L'Ange : Natalia Evstafieva
Tamara : Marina Mescheriakova
Le prince Sinodal : Ilya Levinsky
La nourrice de Tamara :
Olga Markova-Mikhaïlenko
Le Vieux Serviteur du Prince :
Viatcheslav Loukhanin
Le prince Goudal :
Guennady Bezzoubenkov
Le Messager du Prince Sinodal :
Alexandre Timchenko

Orchestre et Choeur
du Théatre Mariinski
de Saint Petersbourg

Paris, Théâtre du Châtelet
1er février 2003

Eugène Onéguine

Scènes lyriques
en trois actes et sept tableaux
Livret de Piotr Illitch Tchaikovski et Constantin Chilovski d'après Pouchkine

Musique de Piotr Illitch Tchaikovski

Direction Musicale : Valery Gergiev
Mise en scène :
Patrice Caurier et Moshe Leiser

Décors : Christian Fenouillat
Costumes : Agostino Cavalca

Eugène Onéguine : Vladimir Moroz
Tatiana : Irina Mataeva
Lenski : Evgueni Akimov
Olga : Ekaterina Sementchouk
Le prince Grémine : Guennady Bezzoubenkov
Madame Larina : Svetlana Volkova
Filipievna, la nourrice :
Olga Markova-Mikhaïlenko
Monsieur Triquet : Jean Paul Fouchécourt
Un capitaine/Zaretski : Mikhaïl Petrenko

Orchestre et Choeur
du Théatre Mariinski
de Saint Petersbourg

Paris, Théâtre du Châtelet
2 février 2003


La perspective d'un week-end musical (samedi soir et dimanche après midi) autour de l'opéra russe peut susciter une excitation naturelle si l'on aime ce répertoire, surtout lorsque l'affiche est prometteuse : une oeuvre quasi inconnue et un des chefs d'oeuvre absolus de l'art lyrique, un metteur en scène contesté, certes, mais qui ne laisse pas indifférent et une troupe 100% russe menée par une star de la baguette.

La mariée était-elle trop belle ? Peut être, car le résultat fut très moyen.

Mis à part quelques spécialistes acharnés, personne n'avait entendu parler du Démon d'Anton Rubinstein (1829-1894) avant sa mise à l'affiche au Châtelet. Réhabiliter cette oeuvre et son auteur, plus connu pour ses talents pianistiques, est certainement louable, car l'écriture archi romantique et le traitement mélodique des voix offrent de très beaux moments. Malheureusement, la partition est handicapée par un livret lourdingue, chargé de symbolique mystique et finalement très conventionnel. A cela s'ajoutent de véritables tunnels dramatiques, le sommet étant atteint lors de la scène de la caravane, durant laquelle les personnages s'endorment peu à peu et les spectateurs avec. Rajoutez y quelques mouvements choraux très russes, mais très largement inférieurs à ce que l'on peut entendre chez Mussorgsky ou Tchaikovsky et la tentation de regarder sa montre n'est pas loin. Heureusement que le troisième acte, avec la confrontation du Démon et de la femme qu'il aime est de toute beauté (les interprètes n'y sont pas pour rien) même si la fin nous replonge dans une bondieuserie convenue. Bref : si Le Démon est un peu tombé dans l'oubli, cela n'est pas forcément pour rien...

On pouvait attendre de Lev Dodin, qui avait réveillé l'Opéra Bastille par sa Dame de Pique revisitée mais passionnante (il était volontairement revenu à la vision de Pouchkine avec un personnage principal enfermé dans un asile de fous), une vision décapante et un engagement dramatique véritable des chanteurs. Las, la pauvreté du livret et ses déséquilibres l'ont visiblement peu inspiré et il s'est contenté d'une mise en espace proche d'une version de concert. Peut être eut-il fallu un metteur en scène plus "classique" alors que la sobriété, volontaire, souligne assez cruellement les carences de la partition et du livret.

Tout cela est fort dommage, car la distribution était de haute tenue, dominée par le couple Evgueny Nikitin et Marina Mescheriakova. Cette dernière qui avait déçu lors de sa prestation en Elisabeth dans le Don Carlo de Verdi à Bastille, est beaucoup plus à l'aise dans ce répertoire et nous permet d'apprécier un timbre chaleureux. Nikitin possède également une belle voix et un physique adapté à son rôle, même si les aigus ne sont pas très éclatants. Soulignons aussi la prestation d'Ilya Levinsky, dont la beauté du timbre et la ligne de chant nous ont fait regretter de ne pas le retrouver dans Lenski le lendemain.

Il est difficile de juger objectivement la prestation de l'orchestre et de son chef compte tenu de l'absence totale de référence par rapport à cette partition. Soulignons simplement que le côté très romantique de la partition est était assez bien mis en valeur sans tomber toutefois dans la mièvrerie, prudence louable, mais qui, dans Onéguine, fut beaucoup plus contestable.

Il suffit d'entendre les premières mesures d'Eugène Onéguine pour comprendre la différence entre une oeuvre mineure comme Le Démon et une oeuvre sublime centrée sur un amour raté entre deux êtres qui ne se trouveront jamais. Ce thème est une mine pour les metteurs en scène. Malheureusement, comme la veille au soir, l'inspiration n'était pas au rendez vous. La mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser est d'un académisme ennuyeux, sans imagination. Avec un décor pourtant assez dépouillé et simple, Caurier et Leiser nous imposent de longs baissés de rideaux qui coupent le rythme déjà très lent de Gergiev. L'ennui nous guette et c'est un comble ! L'absence de sur-titrage pendant la moitié de la première partie ne faisait qu'accentuer la carence dramatique.

L'académisme se retrouve aussi chez les chanteurs. La Tatiana d'Irina Mataeva a un belle voix, mais son interprétation est plus proche de celle d'une bonne élève de conservatoire qui chante pour sa médaille. Le Lenski d'Evgueni Akimov est très moyen. Vladimir Moroz est un Onéguine crédible même si sa jeunesse est peut être un peu trop voyante au dernier acte. Mais gageons qu'il gagnera en maturité dans les années à venir et qu'il est promis à une belle carrière. Soulignons la prestation courte, mais parfaite de Jean-Paul Fouchécourt en Monsieur Triquet.

Même si son arrivée sur scène fut saluée par l'ovation d'une partie du public qui fonctionne certainement au star-system, la direction de Gergiev laisse dubitatif avec des tempi d'une lenteur étonnante et une volonté systématique de brider les moments de fièvre romantique. A croire qu'il a honte des élans désespérés de Tchaikovsky... Quant à l'orchestre du Mariinsky, ses carences éclatent au grand jour : hétérogénéité des cordes, attaques hasardeuses des vents et des cuivres. Pour une troupe de renommée internationale qui effectue des tournées dans le monde entier, c'est un peu limite...

Ce spectacle tiède donne envie d'aller revoir, pour se consoler, la production de Bastille avec la mise en scène intelligente de Willy Decker. Gageons également que Vladimir Jurovsky (qui avait triomphé dans la dame de Pique) et l'orchestre de l'ONP seront plus à la hauteur. Un orchestre français risquant de supplanter un orchestre russe, quelle ironie !

A quand une saison française au Mariinski ?
 

Bertrand Bouffartigues
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