C O N C E R T S 
 
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MUNICH
27/11/05

Nadine Secunde, Gabriele Schnaut
Richard STRAUSS

ELEKTRA

Opéra en un acte sur un livret d'Hugo von Hoffmannsthal d'après Sophocle
Créé à Dresde le 25 janvier 1909

Mise en scène, décors, costumes et éclairages : Herbert Wernicke

Klytämnestra : Jane Henschel
Elektra : Gabriele Schnaut
Chrysothemis : Silvana Dussmann
Aegisth : Wolfgang Müller-Lorenz
Orest : Franz Grundheber
Der Pfleger des Orest : Andreas Kohn
Der Vertraute : Anita Berry
Die Schleppträgerin : Stanislava Stoycheva
Ein Junger Diener : Kenneth Roberson
Ein alter Diener : Gerhard Auer
Die Aufseherin : Irmgard Vilsmaier
Erste Magd : Anne Pellekoorne
Zweite Magd : Helena Jungwirth
Dritte Magd : Daniela Sindram
Vierte Magd : Anna Gabler
Fünfte Magd : Aga Mikolaj

Orchestre et choeurs de l'Opéra d'Etat de Bavière

Direction Musicale : Peter Schneider
Chef des Choeurs : Andrés Màspero

Munich, 27 novembre 2005

Après un Orphée et Eurydice d'un haut niveau musical, mais quand même un peu plombé par une mise en scène d'un goût douteux, assister à cette Elektra le lendemain fait l'effet d'un coup de poing au niveau du plexus.... Herbert Wernicke, décédé en avril 2002, était l'auteur, comme à son habitude, de tous les éléments scéniques de cette production créée à l'opéra de Munich en 1997.Pourtant, la même année, à l'Opéra Bastille, il faut bien reconnaître que sa vision du Rosenkavalier, venue de Salzbourg, n'avait pas vraiment fait l'unanimité, même pour sa reprise l'année suivante...

Cette fois, cependant, il s'agit d'un tout autre travail, autrement abouti, ramassé, d'une intensité presque insoutenable, qui, fait notoire par les temps qui courent, fait montre d'une véritable osmose entre la fosse et la scène, entre lesquels le courant passe en permanence... Il est vrai que les décors et les éclairages sont à l'image de cette vision "coup de poing" particulièrement saisissante. Rien n'est laissé au hasard, rien n'est inutile, tout concourt à installer le drame et à l'amplifier au fur et à mesure que l'action avance, inexorable, impitoyable comme un géant aveugle.

Au début, un grand panneau noir occupe le devant de la scène, et l'obstrue... Les servantes, habillées de noir, entrent en rampant, tout est très sombre... Puis le panneau bascule et s'élève, laissant apercevoir le reste du décor baigné dans une lumière rouge sang : celui de la passion, du drame, du meurtre...

Les costumes sont très sobres : blanc pour Chrysothémis, noir pour Elektra isolée sur un socle de bois brut, rouge pour Clytemnestre. Ceux des femmes rappellent les drapés à l'antique, ceux des hommes, très contemporains, sont noirs, gris ou blancs...

L'arrivée de Clytemnestre en haut d'un grand escalier, entourée de ses servantes, est fort spectaculaire. Tout est rouge : les murs, les marches, sa robe, ses bijoux, son manteau dont le motif rappelle le rideau de l'Opéra de Munich lui-même...Ainsi, elle ressemble à une vieille star d'Hollywood tournant dans un péplum, tout comme son amant Egisthe, gominé, en smoking blanc, fleur à la boutonnière, a tout du vieux beau un peu décadent. 

L'apparition d'Oreste dans une loge d'avant-scène est tout aussi impressionnante, bien que radicalement différente par son utilisation de la symbolique des couleurs : vêtu d'un complet veston gris foncé très strict, le frère d'Electre est accompagné d'un comparse à l'air louche, en imperméable mastic. Semblables à deux assassins, gantés de cuir noir, leur présence muette, très dense, presque opaque, fait froid dans le dos. Oreste, raide, figé, est comme un psychopathe enfermé dans sa haine, sa folie et sa peur, alors qu'Elektra, malgré la violence qui l'habite, extériorise malgré tout ses pulsions et sa colère en criant sa soif de vengeance.

Les chanteurs se meuvent lentement, avec une économie de mouvements qui confère d'autant plus d'importance au moindre de leurs gestes. Ils sont comme englués, pétrifiés, minéralisés, par le drame qui va les broyer et les précipiter dans le néant. La lecture de Wernicke dégage une grande force dramatique, car tous les éléments scéniques - décors puissants, mais sobres, éclairages somptueux et très expressifs - sont au service de la tragédie et de la musique qui la véhicule. Rien n'est gratuit ici, tout a une signification.

Les meurtres de la mère et de son amant une fois accomplis, on verra apparaître Chrysothémis triomphante, dansant de manière jubilatoire, parée des bijoux de la défunte, fausse "innocente" donnant à voir le double visage de l'avidité et de la faiblesse, alors que la dernière vision de l'opéra sera l'image d'Oreste debout sur l'escalier, revêtu du manteau royal de sa mère et faisant un geste qui rappelle le salut hitlérien, sorte de représentation ambiguë du pouvoir despotique cachant la peur des autres et la crainte de soi-même... A leurs pieds, Elektra, morte, passionnée et acharnée, certes, mais victime expiatoire de leur faiblesse et de leur manque de courage...

Inutile de préciser qu'à côté de cette violente tragédie des Atrides, la production récemment vue à  l'Opéra Bastille ressemble à une bluette de patronage kitsch et "branchouille"...

D'autant plus que, last but not least, cette vision pour le moins captivante est servie par un plateau exemplaire et très homogène. En tête, aussi bien pour la performance physique que la prouesse vocale, Gabriele Schnaut, grande spécialiste du rôle, impressionnante, telle un bloc de pierre à la voix d'airain. A ses côtés, la fascinante Chrysothémis de la soprano autrichienne Silvana Dussmann et l'hallucinante Jane Haenschel en Clytemnestre ne sont pas en reste, tout comme l'Oreste un peu refoulé à la Norman Bates de Franz Grundheber, dont le timbre de bronze est toujours aussi émouvant. Les autres protagonistes n'appellent que des éloges. Si l'on ajoute que la direction de Peter Schneider, tout en puissance et en contrastes, répond par son intelligence à celle du travail théâtral et que l'orchestre connaît son Elektra sur le bout des doigts, on ne sera pas étonné qu'après le dernier accord, la salle se mette à crouler littéralement sous les applaudissements, comme si le public, pris dans une tension paroxystique pendant près de deux heures, ne pouvait que laisser exploser son enthousiasme... Ce dernier ira, on s'en doute, jusqu'à la standing ovation, et de nombreux rappels...

En conclusion, une très belle soirée, comme on aimerait en voir plus souvent...
 
 

Juliette BUCH
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