OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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STRASBOURG
14/06/2008

© Alain Kaiser

Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)

FIDELIO

Opéra en 2 actes

Direction musicale : Marc Albrecht
Mise en scène : Andreas Baesler
Décors : Andreas Wilkens
Costumes : Gabriele Heimann
Lumières : Max Keller
Dramaturgie : Jutta Schubert

Florestan : Jorma Silvasti
Léonore : Anja Kampe
Don Fernando : Patrick Bolleire
Don Pizarro : John Wegner
Rocco : Jyrki Korhonen
Marzelline : Christina Landshamer
Jaquino : Sébastien Droy
Prisonnier 1 : André Schann
Prisonnier 2 : Jean-Philippe Emptaz

Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Direction : Michel Capperon

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Nouvelle production
Coproduction avec The Canadian Opera Company et Das Staatstheater Nürnberg



Fidelio chez Kafka


Il y a un mois, nous assistions à un Fidelio au Festspielhaus de Baden-Baden dirigé par Claudio Abbado et que nous pensions prometteur. Las, ce fut une déception, hormis le chef italien qui nous gratifia d’une superbe leçon de direction et de musique.
Le Fidelio de l’Opéra National du Rhin n’a, avec des moyens forcément plus modestes, pas à rougir de la comparaison, loin de là, elle lui est même tout à fait favorable ! Car une fois de plus, la maison alsacienne a su réunir une équipe musicale et scénique soudée qui nous offre une vision originale de cet ouvrage que l’on dit parfois problématique. Opéra, oratorio, symphonie avec voix ? Franchement, la question ne se pose même pas lorsque l’on a comme ici une mise en scène fluide, intelligente, belle et une prestation musicale d’une parfaite homogénéité où voix et orchestre sont superbement mis en valeur.

Commençons par le travail scénographique d’Andreas Baesler, un artiste que nous avions déjà apprécié pour ses Troyens et surtout pour une Lulu anthologique qui hante encore nos mémoires.
De ce Fidelio, problématique certes et pourtant si ouvert puisqu’on peut en faire tant de choses scéniquement, Baesler choisit de nous en offrir une vision kafkaïenne fascinante.

Le rideau s’ouvre ainsi sur un office années 1930 aux murs sans fin couverts de casiers, et où trônent quelques bureaux dont les fonctionnaires effectuent des tâches automatiques et répétitives. L’éclairage est blafard. Une grande agitation règne, entre les allers et venues des employés, des prisonniers auxquels les fonctionnaires posent sans doute toujours les mêmes questions. La sensation d’enfermement, physique mais surtout mental, est omniprésente et étouffante. Quant aux obstacles que doit franchir Fidelio/Léonore pour approcher Florestan, ils trouvent dans cet univers terriblement bureaucratique toute leur justification.



© Alain Kaiser

Dans ce climat où règne l’anonymat, la dispute de Mazelline et Jaquino jette une lumière presque rassurante : oui, on vit, on vibre dans cet univers sordide ! Et pourtant, même Marzelline ne semble plus se rendre compte de ce qu’elle fait : jeter dans une cuve les habits civils et les effets personnels des prisonniers. Cette cuve, c’est la « cellule » de Florestan que l’on découvre au deuxième acte. Dominée par les murs aux casiers, c’est une sorte de poubelle à la lumière glacée où atterrissent donc ces vêtements qui couvrent le sol (on ne peut s’empêcher de penser à certaines images de la Shoah).


© Alain Kaiser

Ces mêmes vêtements auront aussi été pendant le chœur des prisonniers comme un rêve : suspendus à des cintres qui descendent du ciel, ils restent inatteignables aux prisonniers qui voient là le symbole de leur liberté hors de portée. Belle image, très émouvante.
Après le succès de la manœuvre de Fidelio/Léonore, on retrouve au dernier tableau l’office du premier, mais aux murs renversés, penchés, les casiers ouverts dégueulent leur paperasse qui recouvre le sol. Fidélio/Léonore, Rocco, le Ministre sont venus à bout de cette bureaucratie, de cet anonymat en redonnant à Florestan son honneur et à Léonore son identité et son nom. La lumière se fait enfin chaude et le dernier rempart tombe : le mur du fond se lève pour laisser place à un soleil rayonnant... mais constitué de lumières qui paraissent vouloir plus nous aveugler que nous éclairer telles les lampes utilisées pour certains interrogatoires... Une fin pas aussi « naïvement » optimiste que celle de Beethoven donc. L’univers kafkaïen a beau être renversé, il n’en est pas mort pour autant, « le ventre du despotisme sera éternellement fécond » comme l’indique Andreas Baesler dans une passionnante interview figurant dans le programme.


© Alain Kaiser


Une belle cohérence et de magnifiques images caractérisent donc ce travail scénique implacable et impeccable auquel il faut ajouter une direction d’acteurs subtile et jamais outrée (notamment pour le personnage de Pizarro que l’on voit parfois de manière si caricaturale) et ce, jusque dans les scènes parlées, elles aussi très soignées.

C’est la première fois que Marc Albrecht, le directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg depuis 2006, dirige son orchestre dans la fosse de l’opéra. Pourtant, le chef est un habitué des théâtres, de Darmstadt à Munich en passant par Bayreuth ou Paris. Il était donc temps de le trouver dans la fosse strasbourgeoise d’autant plus que c’est souvent un chef passionnant dans le répertoire germanique.
Est-ce sa présence qui a ainsi galvanisé l’orchestre ? Ou tout simplement un travail intense ? Car nous avons rarement entendu la formation alsacienne aussi sûre et aussi belle ! L’orchestre a vraiment offert une remarquable performance qui confirme les progrès mesurés ces derniers temps, par exemple dans la récente Walküre.
La direction d’Albrecht quant à elle se montre très fouillée, soucieuse d’apporter une touche personnelle (ici un renforcement des basses, là une mise en valeur de la flûte ou du hautbois) et montre toujours une très grande précision et une belle énergie. Un superbe travail.
On regrettera juste que tous les vents aient été placés à droite dans la fosse, et donc quasi tous de profil. Le son des bois notamment en pâtit et ne semble pas s’épanouir dans la salle comme si les musiciens avaient été mis de face.

La distribution rassemblée est impeccable.
Nous avions entendu Anja Kampe dans le Fidelio de Baden-Baden et étions curieux de la retrouver ici. Nous n’avons pas eu l’impression d’entendre la même chanteuse. Là où nous l’avions trouvée simplement efficace à Baden-Baden, nous la trouvons transfigurée ici, semblant plus à l’aise dans ce petit théâtre (il est vrai que le Festspielhaus est aussi grand que l’Opéra Bastille) où sa voix s’épanouit sans peine. Si son grand air d’entrée la trouve un peu timide (mais quelle terrifiante écriture pour une entrée en scène !), la chanteuse domine ensuite superbement sa partie et se montre très à l’aise scéniquement.
Le Florestan de Jorma Silvestri est tout aussi superbe. Loin des heldentenors que l’on a pu entendre dans ce rôle (nous sommes plus proches de James King que de Jon Vickers par exemple), la voix n’en est pas moins puissante. Timbre clair, aigu sûr, interprète magnifique, tout est là pour offrir une incarnation magistrale de ce rôle où les plus grands sont passés. Les duos entre Leonore et Florestan sont ainsi splendides.


© Alain Kaiser


L’autre couple que forment Sébastien Droy en Jaquino et Christina Landshamer est tout aussi parfait. L’un comme l’autre brillent dans leur partie. Affichant chacun un timbre séduisant, ils sont très à l’aise vocalement et scéniquement où lui campe un Jaquino gauche et coincé tandis qu’elle est une Marzelline au caractère affirmé prompte aux excès.
Le Rocco de Jyrki Korhonen est là encore parfait. Affichant une agréable et solide voix de basse, il sait trouver la bonhomie, si ce n’est la vis comica, propre au personnage.
Superbe de bout en bout le Don Pizarro de John Wegner (que nous avions déjà apprécié en Klingsor à Münich) dont le timbre incisif et le chant parfaitement contrôlé (évitant, comme la mise en scène, la caricature du « méchant ») font absolument merveille.
Parfait enfin le Don Fernando de Patrick Bolleire.
A noter encore la très belle tenue du chœur qui, comme dans Iphigénie en Aulide, se montre rond et homogène.

Au final, encore une de ces réussites dont l’Opéra National du Rhin a le secret. Espérons que la prochaine saison de son patron, Nicolas Snowman - qui sera sa dernière à la tête de cette maison - réservera d’aussi remarquables productions que celle-ci, ou encore celles de Walküre ou d’Elektra pour ne s’en tenir qu’à cette année… !


Pierre-Emmanuel Lephay

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Autres représentations :


STRASBOURG,
Opéra : Mer 18 juin 20 h, Sam 21 juin 20 h, Mar 24 juin 20 h, Jeu 26 juin 20 h

MULHOUSE,
Filature : Mer 2 juillet 20 h,Ven 4 juillet 20 h



www.operanationaldurhin.fr
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