C O N C E R T S 
 
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PARIS
21/09/05
Sonia Prina © DR
Antonio Vivaldi (1678-1741)

LA GRISELDA

Opéra en trois actes RV 718 (1735)
Livret de Apostolo Zeno, revu par Carlo Goldoni

Jean-Christophe Spinosi : Direction musicale

Gualtiero : Stefano Ferrari (ténor)
Griselda : Sonia Prina (alto)
Costanza : Veronica Cangemi (soprano)
Roberto : Philippe Jaroussky (contre-ténor)
Ottone : Blandine Staskiewicz (mezzo-soprano)
Corrado : Iestyn Davies (contre-ténor)

Ensemble Matheus

Version de concert, chanté en italien, sur titrages français.

Théâtre des Champs-Élysées
Mercredi 21 septembre 2005, 20h

Jamais deux sans trois. Nous brandissions l'adage comme une promesse l'année dernière, galvanisés par La Fida Ninfa que venait de nous offrir Jean-Christophe Spinosi après avoir, la saison précédente, sorti brillamment Orlando Furioso (1) des sentiers battus par Claudio Scimone. Hélas, force est de constater à l'écoute de cette Griselda que les proverbes mentent parfois.

Pourtant, le livret, revu et corrigé par Goldoni, semble prometteur. Enfin une histoire qui se détourne des poncifs habituels. Le roi Gualtiero, pour prouver à ses sujets la valeur de son épouse Griselda, lui impose une série d'épreuves, de la répudiation à l'annonce de son mariage avec sa propre fille Costanza. La reine bafouée, humiliée reste malgré tout fidèle jusqu'au lieto fine bien mérité. La lecture de l'argument laisse imaginer des airs emprunts de fureur, de désolation, bref de cette passion vibrante à laquelle nous a accoutumé depuis sa spectaculaire renaissance lyrique le prêtre roux. Malheureusement, la partition refuse d'obéir à la trame intelligemment tissée et cumule contresens dramatiques et manque d'inspiration dans le choix des climats et des mélodies.

A ce défaut d'écriture s'ajoutent pour le moins deux erreurs de distribution. Le tempérament de Sonia Prina, l'énergie, la largeur de la voix, la virilité presque, l'emportent plus vers le perfide Ottone que vers la tendre Griselda. D'autant que le rôle, composé spécialement pour Anna Girò, tragédienne avant d'être chanteuse, est musicalement sacrifié.

A contrario, Blandine Staskiewicz manque cruellement de férocité et de graves pour camper le chevalier persécuteur. Griselda aurait mieux convenu à son caractère et à sa plastique tant vocale que physique. Elle doit, de plus, et pour son malheur, affronter le fantôme de Cecilia Bartoli dans sa dernière aria "Dopo un orrida procella". La comparaison rend encore plus évidente l'absence de volume dans les notes les plus basses et la difficulté à gérer les changements de registre.

Le même spectre menace Veronica Cangemi confrontée, quant à elle, à l'impitoyable "Agitata da due venti" dont s'était jouée La Bartoli à Vicenze en juin 1998. Le soprano argentin montre aussi ses limites dans la profondeur de la tessiture mais surmonte les incroyables vocalises. Elle finit par renverser les dernières réserves en exhalant, piano, dans "Ombre Vane", des aigus lumineux qui épinglent l'assistance enfin chavirée.

Pour Stefano Ferrari, l'obstacle à franchir est immédiat, dès sa première intervention "Se ria procella", placée au tout début de l'oeuvre après un bref récitatif. Raidi par le trac, le ténor s'applique à escalader et dévaler la gamme à toute vitesse au mépris de l'expression, mais à l'impossible nul n'est tenu. Il s'épanouit mieux ensuite dans des airs plus sages qui valorisent son timbre, sans pourtant se départir d'une certaine placidité.

En tendre amant de Costanza, Philippe Jaroussky renouvelle la démonstration de son extraordinaire musicalité. Le rôle de Roberto ne contient malheureusement pas de ces joyaux qu'aime à ciseler finement le contre-ténor. Privé d'un autre "Sol da te, mio dolce amore", il ne peut proposer que des éclats de gemme dont nous devons nous contenter, les yeux fermés, lorsque, angélique, la voix module le mot "dolore" ou s'unit tendrement à celle de Veronica Cangemi dans un "addio" à tirer les larmes.

Et s'il faut vraiment une révélation, alors elle s'appelle Iestyn Davies. Bien que Corrado soit le personnage le plus insignifiant d'une oeuvre qui ne brille guère par ses caractères, il sait saisir les maigres occasions offertes pour exposer avec assurance le naturel de la projection, le maintien de la ligne, la clarté du son, qualités qui donnent envie de le retrouver dans un rôle plus consistant.

L'Ensemble Matheus, emporté fiévreusement par Jean-Christophe Spinosi, privilégie les angles et la rupture au détriment de la courbe, des pleins et des déliés. Ce rythme est nécessaire pour maintenir une attention que la musique seule ne retiendrait pas. Les cuivres, en violant effrontément la justesse, achèvent de réveiller le public ébahi.

Jean-Christophe Spinosi déclarait dernièrement "La Griselda est une oeuvre magnifique... elle rassemble en effet toutes les qualités qui sont celles du Vivaldi compositeur d'opéra que l'on connaît". Qu'il nous soit permis de ne pas partager son avis puisque sur l'essentiel nous restons d'accord, quand, dans la même interview (2), le chef d'orchestre affirme"... Antonio Vivaldi un des plus grands compositeurs d'opéra au même titre que Mozart ou Haendel".
 
 

Christophe RIZOUD
Notes

(1) Un enregistrement (voir notre critique), paru chez Naïve en octobre 2004, témoigne de la réussite de cet Orlando Furioso.

(2) Newletter Naive, mai 2005

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