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PARIS
11/09/04

© DR
Gioachino ROSSINI (1792-1868)

L'ITALIANA IN ALGERI

Livret d'Angelo Anelli

Mise en scène : Andrei Serban
Décors & costumes : Marina Draghici
Lumières : Guido Levi
Chorégraphie : Niky Wolcz

Isabella : Vivica Genaux
Mustafà : Simone Alaimo
Lindoro : Bruce Sledge
Taddeo : Alessandro Corbelli
Elvira : Jeannette Fisher
Zulma : Elena Zhidkova
Haly : Luciano Di Pasquale

Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Paris

Direction : Bruno Campanella

Paris, Palais Garnier, le 11 septembre 2004



OUVERTURE SANS FANFARE

Pour cette ouverture de saison, la nouvelle administration a choisi de reprendre la production de L'Italiana donnée à Garnier en 1998 et 2000. Ce faisant, elle se situe dans la continuité de l'administration précédente qui n'avait jamais non plus cherché à tirer un événement du premier spectacle de la rentrée (1), à l'inverse de la plupart des grands théâtres lyriques internationaux.

On retrouve donc sans réel plaisir le spectacle conçu par Andrei Serban dont on ne peut pas dire qu'il ait bonifié en vieillissant. Quelques gags bien venus mais usés par les reprises (le naufrage du Titanic), d'autres d'une vulgarité confondante (Taddeo habillé en plongeur, bouteilles et palmes comprises, poursuivi de ses assiduités par un gorille amoureux), il faut attendre la dernière partie pour retrouver un peu d'inspiration ("Pensa alla Patria" accompagné par des gymnastes aux couleurs de l'Italie et scène du "Papataci" avec chorégraphie de danseuses costumées en pizza ou en bouteille de chianti).

Le reste du temps, Serban a bien du mal à animer l'immense scène du Palais Garnier qui parait bien vide. Pour donner un semblant d'animation, les interprètes en sont réduits à des pas de danse continuels, d'une chorégraphie sommaire ("on se lève ensemble du canapé, on échange nos places et on se rassied dans la canapé : en rythme avec la musique, merci"). Tout ça produit finalement une agitation vide de sens, qui laisse quelque peu consterné.

Pour suppléer une telle déliquescence théâtrale, il aurait fallu un plateau vocal de haute volée. Sans être indigne (loin de là), celui proposé est malheureusement en dessous de cette lourde tâche.

On voit décidément beaucoup Vivica Genaux à Paris ces derniers temps (Alcina à Garnier, le Barbiere à Bastille et Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées) et avec des bonheurs divers. Pour cette Italiana, la chanteuse inuit incarne une Isabella charmante et avec un réel abattage scénique.

Vocalement, on est plus réservé ; la voix, d'un faible volume et peu projetée, a du mal à passer dans certaines parties du théâtre : on apprécie davantage cette chanteuse lorsqu'elle se produit au Théâtre des Champs-Élysées.

Pour être discrète, l'ornementation des reprises a le mérite d'exister, mais elle se cantonne dans les notes intermédiaires : point de suraigus, ni de graves spectaculaires. Cette prudence finit par rendre la prestation assez monotone, d'autant que l'artiste se révèle à peu près incapable de colorer de manière expressive. A cet égard, le fameux "Pensa alla Patria", où alternent colère, joie, mélancolie, est en fait débité d'un ton monocorde. Véritable morceau de bravoure avec des chanteuses du calibre de Marilyn Horne ou de Lucia Valentini-Terrani, la scène tombe donc à plat.

Succédant à Bruce Ford (1998) et à Juan Diego Florez (2000), Bruce Sledge nous laisse sur notre faim : aigus poussés, trilles inexistants, vocalises laborieuses (la reprise du second air est même carrément coupée), on est loin de ce qu'on est en droit d'attendre dans ce type de répertoire (2). L'émission rappelle étrangement celle de Gregory Kunde (un ténor rossinien qui n'est pas coincé dans l'aigu, lui ! ) mais on verrait mieux ce chanteur dans le répertoire mozartien.

Mustafa lors de la création à Garnier en 1998, Simone Alaimo reprend le collier pour cette reprise. Scéniquement, il est parfaitement à l'aise, sans doute plus libéré qu'à la création (mais quand même pas aussi déjanté que dans le récent Viva la Mamma : un must dans le genre). 

Vocalement, l'artiste accuse son âge : si les aigus sont toujours aussi spectaculaires, la vocalisation est difficile, les passages très rapides un peu savonnés et le médium graillonne régulièrement. On lui pardonnera volontiers cette relative méforme, car sans lui, le spectacle serait tout simplement sinistre.

Excellent artiste également, Alessandro Corbelli (lui aussi protagoniste de l'édition de 1998), contraste malheureusement par sa réserve : rien à dire vocalement (le rôle n'est pas non plus très exigeant) ; reste que son Taddeo légèrement introverti cadre mal avec l'exubérance d'Alaimo et pas davantage avec une Isabella sans relief.
Pilier de la production, Jeannette Fisher est toujours excellente, même si on peut regretter quelques faiblesses dans l'aigu, peut-être une méforme passagère.

En Zulma, Elena Zhidkova tient correctement son rôle, mais sans plus. Il n'en va pas vraiment de même de l'Haly franchement embarrassé de Luciano Di Pasquale.
A la tête d'un orchestre de l'Opéra plutôt poussif, Bruno Campanella sommeille gentiment ; on ne sait pas trop s'il cherche à ne pas couvrir les chanteurs ou à ne pas se réveiller lui-même. Attaques imprécises, ensembles approximatifs : tout est mou, et il faut tout le génie de Rossini pour que cette musique apparaisse encore comme gaie et pétulante.

Au rideau final, le spectacle rencontre un bon succès de la part d'un public pas trop exigeant, mais sans enthousiasme excessif. A noter que la salle est loin d'être remplie alors que les oeuvres lyriques à Garnier font habituellement le plein : un indicateur à surveiller lors des prochaines soirées. 


Placido CARREROTTI
Notes

1. Cet objectif est d'ailleurs pleinement atteint : cette reprise ne fera sûrement pas partie des événements de la saison. 

2. Encore faudrait-il avoir compris que chez Rossini, rien ne sépare les typologies vocales exigées pour les rôles bouffes et pour l'opera seria : à l'époque, les chanteurs étaient les mêmes pour les deux répertoires, et un air de ténor écrit pour une oeuvre bouffe pouvait parfaitement être réutilisé pour une oeuvre sérieuse sans que l'ouvrage en pâtisse. C'est d'ailleurs finalement le principal reproche qu'on pourra faire à cette reprise : mettre l'accent sur la théâtralité en oubliant qu'un opéra (surtout dans ce répertoire), c'est aussi le plaisir purement physique d'une fête vocale.
 

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