C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
13/01/04

© Opéra de Lausanne
(version scènique, Décembre 2003)
Jean-Baptiste LULLY

ROLAND

Tragédie en musique en un prologue et cinq actes
sur un livret de Philippe Quinault, d'après l'Orlando furioso de L'Arioste

Version de concert

Nicolas Testé, Roland (basse)
Anna Maria Panzarella, Angélique (dessus)
Olivier Dumait, Médor (haute-contre)
Monique Zanetti, Témire (dessus)
Robert Getchell, Astolphe (haute-contre)
Salomé Haller, la fée principale et Logistille (dessus)
Evguenyi Alexiev, Ziliante et Demorgogon (basse-taille)
Emiliano Gonzalez-Toro, Tersandre et un insulaire (haute-contre)
Anders J. Dahlin, Coridon et un insulaire (haute-contre)
Marie-Hélène Essade, une suivante (dessus)
Delphine Gillot, une suivante (dessus)

Choeur de l'Opéra de Lausanne
Véronique Carrot, chef de choeur

Les Talens lyriques
Christophe Rousset, direction

Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, 13 janvier 2004



Amour, gloire et beauté
 

Au parterre, des enfants à la mine boudeuse trépignent sur leurs sièges alors qu'un couple d'Italiens échangent des sourires entendus. On imagine sans peine leur commentaire : "C'est donc avec cette pompe que Louis XIV croyait détrôner l'Opéra ?" A l'écoute d'une ouverture tonique, mais anguleuse, et d'un prologue grandiloquent - quand bien même ce fût la règle du genre - le plus fervent des lullistes se prend à douter et accueille avec perplexité cette grandiloquence pourtant familière... Cependant, un peu moins de trois heures plus tard, il se surprend à battre frénétiquement des mains au milieu d'une salle en effervescence d'où fusent les bravos. Que s'est-il donc passé ? Roland n'a pas la séduction immédiate de Persée, auquel Christophe Rousset offrait hier une seconde jeunesse, et ses beautés se laissent désirer... mais quelles beautés ! Après des prémices difficiles, c'est d'abord la puissance théâtrale de l'oeuvre qui se révèle avec le monologue d'Angélique et la plainte de Médor, tandis qu'un délicieux et trop fugace duo de hautes-contre égaie le sombre tableau des tourments qui accablent les amants. La première partie de l'ouvrage est couronnée par une immense et formidable chaconne à laquelle tous prêtent leur concours, orchestre, choeur et solistes chantant alors le triomphe de l'Amour.

Curieusement, de cette tragédie ambivalente, les commentateurs ne retiennent que la morale la plus datée : "Fuyez l'amour et retournez guerroyer", conclusion de l'opéra, certes, mais après que les trois premiers actes en ont imposé une autre : "Rien n'est plus doux qu'un amour fidèle" ! L'absolue réussite du quatrième acte, qui voit Roland chanceler sous des émois extrêmes, de la passion amoureuse au désespoir le plus noir, et le Sommeil du cinquième acte où surgit la dea ex machina Logistille consacrent sans doute aussi cette lecture politiquement correcte (à la cour de Louis, du moins), centrée sur le valeureux neveu de Charlemagne auquel le Roi-Soleil peut s'identifier. Roland retrouve ses esprits et s'en va prendre les armes : l'honneur est sauf, le sens du devoir et la raison d'état l'emportent sur les frivolités.

Sans une parfaite intelligence du style, la plus belle voix du monde ne serait d'aucun secours pour habiter le récitatif à la française, manière d'arioso modelé sur la parole des acteurs, oscillant entre le recitativo secco italien et l'air. D'une aisance souveraine dans cet art extrêmement codifié, Anna Maria Panzarella étonne surtout par son engagement et une ardeur inhabituelle chez une artiste d'ordinaire plus effacée, sinon transparente. Alors que Monique Zanetti (Témire) privilégie l'intériorité qui sied à son personnage de confidente, Salomé Haller (la fée Logistille) sort le grand jeu et envoûte son auditoire, une composition magistrale éclipsant les faiblesses de la technicienne. En revanche, les héros sont fatigués. Olivier Dumait le premier ! Franchement dépassé par son rôle, fâché avec la justesse, il s'époumone au moindre aigu et peine à achever certaines phrases sans que la ligne ne vacille. Méforme ou contre-emploi ? Sans doute un peu des deux, s'il faut en croire les échos des représentations lausannoises. Ce ne sont pourtant pas les bons ténors qui manquent, mais les seconds rôles volent la vedette aux protagonistes. En Astolphe, Robert Getchell allie plénitude et suavité tandis qu'Emiliano Gonzalez-Toro (Tersandre), jeune haute-contre à la voix saine et bien timbrée, rayonne dans le divertissement pastoral du quatrième acte. Un artiste que nous aurons plaisir à retrouver en mai au Châtelet, avec d'autres paladins, ceux de Rameau, emmenés par William Christie. Enfin, brut de décoffrage, le Roland de Nicolas Testé gronde à l'envi et glisse sur le texte, monolithique et comme indifférent à la valeur des mots, aux affects qui sont censés le troubler, la fureur exceptée. C'est sans conteste l'autre grande déception de cette soirée...

Si Lully accorde une prépondérance nouvelle aux ballets (Roland en compte quinze), le choeur conserve un rôle appréciable, assumé avec panache par des choristes de l'Opéra de Lausanne - parmi lesquels se distinguent quelques belles individualités -, dont le sens du rythme est tout bonnement jubilatoire. Avec le mélange de robustesse et de finesse qui la caractérise, la direction de Christophe Rousset exalte les ressorts dramatiques de cette vaste architecture et magnifie ses atmosphères - l'apparition de Logistille confine à l'émerveillement ! Réalisé par la même équipe, le premier enregistrement mondial de Roland devrait sortir dans le courant de l'année chez Ambroisie. A quand Amadis ?
 
 

Bernard SCHREUDERS

 


Lire aussi la critique de la version scènique, donné à Lausanne le 31/12/03

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