C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
LONDRES
17/12/04

Juan Diego Flórez (Ernesto) and Tatiana Lisnic (Norina)
© 2004 Bill Cooper
DON PASQUALE

Opéra en 3 actes de Gaetano Donizetti

Livret de Giovanni Ruffini et Gaetano Donizetti
D'après le livret d'Angelo Anelli 
pour Ser Marcantonio de Stefano Pavesi

Mise en scène : Jonathan Miller
Décors : Isabella Bywater
Lumières : Jvan Morandi

Don Pasquale : Simone Alaimo
Doctor Malatesta : Alessandro Corbelli
Norina : Tatiana Lisnic
Ernesto : Juan Diego Florez
Un notaire : Bryan Secombe

Orchestre et Choeurs du Royal Opera
Direction : Bruno Campanella

Londres, Royal Opera House, 17 décembre 2004



Il y a comme une histoire d'amour entre le public britannique et l'opéra-bouffe italien : Rossini, Donizetti y sont montés régulièrement, avec intelligence, soin et humour, et souvent des distributions de qualité.

Ce Don Pasquale ne fait pas exception à la règle ; on peut même dire que le Royal Opera n'a pas lésiné sur les moyens en reprenant la spectaculaire production imaginée par Jonathan Miller pour le Mai Musical Florentin. Un décor unique, mais monumental : une tranche de maison, sur trois étages, délimitant pas moins de neuf espaces scéniques différents : cuisine où végète une domesticité un peu fanée ; chambre de Pasquale et son lit à baldaquin ; bureau où le vieux garçon fait ses dévotions devant le portrait de sa mère ; chambre d'Ernesto ; escalier central, etc., l'ensemble s'ouvrant ou se refermant comme une immense boîte, par exemple pour la scène du jardin.

Bémol, de taille : ce décor a été conçu pour le Teatro Communale de Florence, où tous les spectateurs sont de face. Ca ne colle plus dans la salle à l'italienne du Covent Garden, d'autant que l'action se situe en général sur les côtés et en hauteur ; un grand nombre de spectateurs n'auront donc pu apprécier les interprètes que de manière très épisodique : ainsi des stalles de côté, qui coûtent tout de même dans les 160 euros... La direction s'est même résolue à revoir à la baisse le prix de certaines places, dans la pratique "aveugles". Jonathan Miller ne devrait pas s'étonner qu'on ne fasse plus appel à ses services...

L'Ernesto de Juan Diego Florez est certainement l'attraction de la soirée. Le ténor péruvien incarne avec talent un jeune premier fougueux, captivant l'auditoire à chacune de ses apparitions. Son premier air, "Cerchero lontana terra", est chanté avec romantisme et poésie, sans afféterie ; la cabalette "E se fia che ad altro oggetto" est interprétée avec sentiment et vaillance, l'artiste se payant le luxe d'orner la reprise de délicates variations et de couronner le tout d'un splendide ré bémol longuement tenu. Un vrai feu d'artifice, digne du grand rossinien qu'est Florez. A ce stade de sa carrière, il manque toutefois à Juan Diego les variations de couleurs, les mezza voce et la morbidezza des grands interprètes de Donizetti ; une absence qui rend un peu "froids" certains passages comme la sérénade "Com'è gentil".

Visuellement, Jonathan Miller ne l'a pas gâté : perruque blonde et maquillage excessif de "précieuse ridicule" le rendent physiquement méconnaissable. Le metteur en scène britannique n'a pas non plus réussi à lui donner un peu plus de naturel en scène : les grands airs sont incarnés les jambes écartées, les bras vers l'avant, une pose qui tient plus de l'haltérophilie que de l'opéra. Ces réserves sont peu de choses face à un chant de cette qualité : le public ne se trompe pas et c'est à lui qu'il réservera un triomphe final aux saluts.

En vieux routier habitué des barbons comiques, Simone Alaimo en fait des tonnes en Don Pasquale : compte tenu de son état vocal actuel, c'est sans doute la seule option qui lui reste ; en effet, la voix a du mal à suivre, accompagnée continuellement d'une espèce de graillon (et particulièrement dans les récitatifs), défaut qui était déjà notable lors du Viva la Mamma de Monte Carlo. Le souffle est parfois un peu court, l'obligeant par exemple à reprendre bruyamment sa respiration par deux fois au cours de la strette "Aspetta, aspetta cara sposina" tandis que son compère Corbelli ne l'a reprend qu'une seule fois et fort discrètement. Scéniquement, Alaimo en rajoute donc dans le grotesque, virevoltant et grimaçant à la manière de Louis de Funès dans Oscar ; il n'est pas certain que Donizetti ait imaginé ainsi son héros, mais le public semble apprécier.

Alessandro Corbelli est l'exact inverse de son compatriote : un chant quasi parfait (un peu nasillard néanmoins) et une interprétation toute en finesse, quoiqu'un peu terne à la longue.

La jeune Tatiana Lisnic dispose certes d'une belle voix, riche en harmoniques, toutefois, elle est techniquement limitée avec des trilles régulièrement escamotés, des variations inexistantes et un aigu un peu tendu ; la reprise de son duo avec Malatesta, "Vado, corro al gran cimento", est d'ailleurs éludée. Si la chanteuse fait bien passer quelques émotions dans son chant, il n'en est pas de même de son interprétation dramatique : on aura rarement vu un visage aussi inexpressif sur une scène d'opéra, hormis celui de la poupée des Contes d'Hoffman ! Rien de franchement scandaleux (Norina n'est pas Lucia) mais c'est un peu dommage de ne pas avoir fait appel à une soprano au niveau de son ténor.

Bruno Campanella dirige sans génie particulier, avec quelques décalages et une pâte orchestrale un peu molle, due à une battue imprécise. Les tempi sont toutefois suffisamment enlevés et un brin de métier suffit à assurer une soirée sympathique.
 
 
 

Placido Carrerotti
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]