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LYON
29/02/2004

© Gérard Amsellem
Claude DEBUSSY (1882-1954)

PELLEAS ET MELISANDE

Drame lyrique en cinq actes & douze tableaux
Poème de Maurice Maeterlinck

Tracey Welborn (Pelléas)
Patricia Petibon (Mélisande)
Paul Gay (Golaud)
Frode Olsen (Arkel)
Nadine Denize (Geneviève)
Rayane Boudjadi (Yniold)
Jean-François Gay (le médecin, le berger)

Peter Stein (mise en scène)
Karl-Ernst Herrmann (décors)
Moidele Nickel (costumes)
Yves Bernard (éclairages)
 

Orchestre de l'Opéra de Lyon
Ed Spanjaard, direction
Choeur de l'Opéra de Lyon 
Alan Woodbridge, chef de choeur

Lyon
29* février, 2, 5, 7, 9, 11 et 13 mars 2004

(Lire également la critique d'Olivier Denoyelle)



Un Pelléas plus vrai que nature

"Je ne pourrai plus sortir de cette forêt !". S'ouvrant lentement, le rideau laisse apparaître un Golaud emprisonné parmi des troncs de bouleaux. Vêtu d'une armure d'acier sombre, empêtrés dans ses branches, ce "chevalier à la triste figure" se débat dans le noir univers d'une nuit sans lune. Au centre de la scène, pourtant, une lumière éclatante perce la noirceur du moment. S'écartant peu à peu, le fond de forêt laisse poindre quelques arbres couverts de feuilles bleues, roses et blanches. Un monde de lumières duquel Mélisande surgit.

Au symbolisme souvent attaché à l'opéra de Claude Debussy, Peter Stein préfère une narration limpide. A chaque scène, son décor, à chaque décor, son ambiance et à chaque ambiance... sa lumière. Le metteur en scène allemand joue d'intelligence et de subtilités scéniques. Debussy voulait que son opéra soit donné sans interruption, ses intermèdes musicaux servant à lier les scènes. Bien souvent, les productions souffrent de ces interruptions plus ou moins longues, qui cassent le climat de l'oeuvre. Ici, Peter Stein réussit un véritable tour de force. Malgré la complexité de certains décors, son spectacle coule pratiquement sans discontinuités. En outre, en restreignant à dessein certains espaces, Peter Stein exacerbe l'intimisme de son propos. Ainsi cette niche pratiquée à mi-hauteur du plateau force à la confidence du printemps amoureux un Pelléas en habit de lin et canotier de paille et une Mélisande en robe de tulle légère autour de la fontaine de leur malheur naissant. Admirable directeur d'acteurs, Peter Stein restitue les jeux interdits des deux jeunes gens dans leur essence. Il raconte le poème de Maeterlinck avec les gestes, les intentions, les regards qu'il faut à chaque instant du drame. Son Pelléas est plus vrai que nature !


© Gérard Amsellem

Bénéficie-t-il pour autant d'un plateau d'acteurs d'exception ? Rien n'est moins sûr. Paul Gay (Golaud) est théâtralement mal à l'aise. Il compense largement ce défaut de jeu avec sa voix ronde, vibrante, habillant son personnage d'une froideur et d'une dureté cruelle. Quant à Tracey Welborn (Pelléas) et Patricia Petibon (Mélisande), ils forment un couple idéal. La Mélisande de Patricia Petibon n'a pas la pâleur maladive dont on affuble généralement l'héroïne de Debussy. La soprano française la revêt d'une carnation colorée, faisant de son personnage un être de chair et de sentiments. La soprano française est plutôt habituée aux rôles plus aériens de la musique baroque ou des personnages d'Offenbach et sa prise de rôle était très attendue. Elle étonne par l'assurance qu'elle démontre dans cet emploi somme toute nouveau. Si, parfois, la voix peine à se faire entendre, les couleurs et la solidité vocale font merveille. Le ténor américain Tracey Welborn s'avère un chanteur sensible et à la voix efficace. Comme dans son Alfredo Germont de La Traviata à Lausanne, aux côtés d'Alexia Cousin, le ténor américain s'illustre par un jeu irréprochable. Prévenant, il est un Pelléas enflammé, vocalement et dramatiquement engagé. Parmi les autres rôles, la prononciation et la justesse de Frode Olsen (Arkel) laissent souvent à désirer. Surprenante aussi l'élocution défaillante de la mezzo-soprano Nadine Denize (Geneviève), alors qu'elle promène ce rôle de théâtre en théâtre depuis bientôt trente ans.


© Gérard Amsellem

Dans la fosse, un excellent Orchestre de l'Opéra de Lyon traduit les intentions quelquefois bruyantes du chef Ed Spanjaard. Cette production s'attachant à la lettre du texte plutôt qu'à la symbolique torturée d'autres mises en scène, la défense du drame de Maeterlinck passe évidemment par une dynamique orchestrale parfois excessive. Le mot peut être couvert par la musique, mais le drame latent reste présent jusqu'à l'ultime souffle de Mélisande. Instant sublimé où les murs et le plafond de la sombre chambre d'agonie de la jeune fille soudain éclatent pour laisser enfin passer la lumière pendant que les autres protagonistes s'en retournent à leurs mondes de ténèbres.
 
 
 

Jacques SCHMITT
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