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VIENNE
19/03/05

Elena Mosuc
© DR
I PURITANI

Vincenzo BELLINI

Opéra en trois actes
Livret du Comte Carlo Pepoli
D'après "Têtes rondes et Cavaliers" d'Ancelot et Saintine

Mise en scène : John Dew
Décors : Heinz Balthes
Costumes : José Manuel Vasquez

Arturo : Juan Diego Florez
Elvira : Elena Mosuc
Riccardo : Roberto Frontali
Giorigio : Alastair Miles
Enrichetta : Antigone Papoulkas
Bruno : Benedikt Kobel
Walton : Janusz Monarcha

Choeurs de l'Opéra de Vienne
Orchestre Philharmonique de Vienne
Direction : Frédéric Chaslin

Vienne, Staatsoper, le 19 mars 2005

DE GRÂCE ET DE FRUSTRATION

Quoique n'ayant jamais quitté le répertoire, l'ultime chef-d'oeuvre de Vincenzo Bellini reste trop rarement joué : la faute à une partition qui exige quatre monstres sacrés du bel canto pour être défendue avec efficacité ; un pari difficile à tenir, mais pas impossible comme en témoignent quelques beaux enregistrements studio ou sur le vif.

Sans lever toutes nos appréhensions, la distribution réunie par l'Opéra de Vienne était a priori prometteuse. A l'arrivée, le résultat est un mélange de purs moments de bonheur et d'éléments de frustration dont certains auraient tout à fait pu nous être épargnés.

Les Puritains représentent une vraie gageure pour le metteur en scène : les plus prudents se contenteront d'une simple mise en place dans des décors élégants ; les plus courageux tenteront d'éclairer l'ouvrage en profondeur : ainsi d'Andrei Serban, dont la mise en scène "psychanalytique" (reprise avec quelques variations à Londres, Amsterdam ou Paris) mettait l'accent sur la détresse d'Elvira en faisant une psychotique dès le lever de rideau (1).

Dans cette filiation, John Dew nous propose une mise en scène d'une noirceur absolue (au propre comme au figuré, car le décor est uniformément anthracite, les éclairages plutôt chiches et les costumes noirs pour la plupart).

Le rapide prélude est illustré par une procession : c'est le roi Charles Premier qu'on mène au billot. Le décor est composé de deux murs également noirs, d'un sol tout aussi sombre, d'un plafond qui ne l'est pas moins et d'où pendent quelques dizaines de luminaires... éteints. La scène est fermée par de gigantesques statues de saints décapités (couleur bronze foncé) dont les têtes auréolées gisent sur la gauche de la scène. De dos, Elvira (robe noire) et deux autres protagonistes impossibles à identifier, assis sur des chaises de camping (noires), assistent au défilé. Sur la musique guillerette du choeur d'entrée "Quando la tromba squilla", le bourreau brandit la tête tranchée du roi Charles tandis qu'un projecteur éclaire de rouge sang le sommet des statues.

Voilà pour l'ambiance.

Il serait fastidieux de décrire la suite, d'autant que le metteur en scène se retrouve vite en panne d'idées originales. Signalons à titre d'exemple la scène de la folie : le mur du fond s'écarte en deux parties égales ; Elvira, éclairée en contre-jour par une lumière fuchsia, chante devant le trou du souffleur, tandis que Riccardo et Giorgio patientent sur les chaises déjà mentionnées. Enfin, John Dew détourne le happy end final, Arturo étant poignardé par son rival entre les deux complets de la cabalette d'Elvira, une idée déjà exploitée par Serban il y a plus de vingt ans et avec davantage de finesse.

Pour l'oeil, c'est donc le carême (ce qui tombe à propos, tant au niveau du calendrier qu'en regard du titre de l'ouvrage), et il faut chercher son bonheur du seul côté de la musique.

Hélas, nous ne sommes pas au bout de nos peines car dans la fosse, c'est le n'importe quoi le plus total ; au point qu'on se demande parfois si les instrumentistes ne sont pas en train de déchiffrer à vue la partition. Imprécision des attaques (certains pupitres rattrapent leurs collègues une ou deux mesures plus tard) ou des conclusions (quelques notes dans le silence alors que tous les autres instruments se sont tus !), petits couacs (dont un qui provoque le rire d'un corniste), contrebassiste cherchant à quatre pattes l'archet qui lui a échappé (et il n'est pas le premier de la soirée)... est-ce ça, la fameuse Philharmonie de Vienne ?!

Ce répertoire est-il si méprisable qu'un orchestre de ce niveau ne prend même pas le soin de livrer une interprétation techniquement en place ? Est-ce bien dans ce même théâtre qu'Herbert von Karajan dirigea Maria Callas dans une Lucia di Lamermoor d'anthologie ?
Et on ne peut pas accuser la direction d'orchestre de Frédéric Chaslin puisque la veille Fabio Armiliato devait connaître les mêmes problèmes avec Fedora !

C'est donc seulement du plateau vocal que viendront nos véritables satisfactions.

A tout seigneur tout honneur, Juan Diego Florez, très attendu dans cette quasi prise de rôle (2), est bien sûr l'attraction de la soirée.

Redoutable air d'entrée, son "A te o cara" ne déçoit pas : maîtrise du legato, finesse de l'affect, jusqu'à un contre bémol sans effort... c'est tout simplement sublime.

La fin du premier acte lui permet de s'affirmer dramatiquement, imposant un sentiment d'urgence lors de son duo avec Riccardo.

Nous retrouvons le ténor péruvien au troisième acte pour sa longue cavatine "A una fonte afflitto e solo" (non coupée), chantée avec noblesse et sensibilité. Les interrogations que son Ernesto avait pu soulever, quant à son aptitude à passer de Rossini à Donizetti et Bellini, semblent bien passées.

Le soufflé retombe malheureusement avec le grand morceau de bravoure, le duo "Vieni fra queste braccia". Le premier contre-ré est particulièrement tiré et n'atteint la justesse que sur la fin ; le second (à l'unisson de celui d'Elvira ") est plus juste, mais plus court. Dans les deux cas, la note manque de rayonnement, dépourvue de la projection à laquelle on pouvait s'attendre ; il en va de même du contre-ut conclusif. Même constatation pour la scène "Credeasi, Misera !" avec un ré bémol court et qui sent l'effort (dans tous les cas, la tension de Florez se manifeste physiquement par la mains gauche appuyée sur la poitrine).

Le récent récital du Théâtre des Champs-Élysées nous avait montré ce chanteur d'une confondante aisance dans le suraigu : il est donc très improbable que la voix de cet artiste soit en train d'évoluer vers moins de facilité ; sans doute le chanteur a-t-il un peu de mal à "tenir la distance" et à retrouver son aigu après avoir chanté le début de l'acte dans une tessiture très centrale.

Compte tenu du jeune âge du ténor péruvien, parions que ces problèmes techniques trouveront leur solution dans les années à venir (à moins qu'il ne s'agisse d'une fatigue passagère). A ces réserves près, une grande satisfaction : il y avait bien longtemps qu'on n'avait pas entendu dans ce rôle une voix aussi franche et généreuse.

Soprano à tout faire de l'Opéra de Zürich (3), Elena Mosuc se voit opportunément placée sous les feux de la rampe en remplaçant Stefania Bonfadelli quelques semaines avant la première.

Ce n'est que justice : la cantatrice roumaine mérite amplement d'être distribuée sur les grandes scènes internationales, car ses moyens sont proches de ceux d'un soprano dramatico d'agilità (si tant est qu'on puisse s'accorder sur une définition précise de ce terme).

La voix est relativement large (pas autant que celles d'Anderson, Sutherland ou Callas, mais bien au-delà de celles de Devia, Gruberova ou Serra pour ne citer que des interprètes modernes d'Elvira).

Les suraigus sont puissants et délivrés avec prodigalité ; le souffle superbement contrôlé lui permet quelques beaux piani ; les variations sont intelligentes et on ne peut que se scandaliser de la coupure de la moitié de la polonaise "Son vergin vezzosa" (4).

Au-delà de ces qualités vocales, on regrettera une incarnation un peu stéréotypée qui gagnerait à être approfondie. Un bilan suffisant toutefois pour faire de la chanteuse la vraie triomphatrice de la soirée au rideau final.

Roberto Frontali assure le service minimum en Riccardo : la voix est claironnante, assurée dans l'aigu. Mais de bel canto, point : le baryton adapte la partition à ses moyens, coupant reprise, variations, trilles ou vocalises suivant une pratique hélas courante pour ce rôle. Ajoutons à cela des respirations prises un peu au hasard, sans respect de la ligne et nous aurons fait le tour d'un chant frustre et dénué d'intérêt.

Le cas d'Alastair Miles est plus contrasté. Chez ce chanteur, les intentions sont là mais les moyens ne suivent pas toujours. Les duos "Piangi, o figlia, sul mio seno" ou "Suoni la tromba" sont très réussis ; en revanche, la tessiture plus tendue de la scène avec choeurs "Cinta di fiori" le voit se fatiguer rapidement, la voix devenant blanche et presque inaudible.

Du côté des comprimari, on remarque l'Enrichetta sonore et bien chantante d'Antigone Papoulkas et le Bruno prometteur de Benedikt Kobel.

Aux difficultés déjà évoquées près, Frédéric Chaslin séduit par une lecture vive et théâtrale, attentive aux chanteurs et ne reculant pas devant des rubati expressifs. Même si l'on peut préférer des lectures plus poétiques de l'ouvrage, un tel parti pris se tient tout à fait.

Un bilan contrasté donc, mais pas au point de gâcher le bonheur du public. Le couple de protagonistes bénificieront d'une standing ovation offerte par une salle en liesse et qui vient récompenser la générosité de deux jeunes artistes.
 
 

Placido CARREROTTI
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Notes

1. Du moins dans l'interprétation très personnelle de June Anderson (Paris & Londres) ; Cristina Deutekom, à Amsterdam, se révélait plus placide dans une mise en scène moins aboutie.

2. La prise de rôle remonte à mai 2004 à Las Palmas.

3. Elle y a chanté la Reine de la Nuit, Konstanze, Donna Anna, Lucia, Violetta, Gilda, Elvira, Linda, Sophie, Zerbinetta, Musetta, , Micaëla, Olympia, Antonia et Giulietta (entre autres).

4. Le traitement de la cabalette finale "Ah! sento, o mio bell'angelo" constituera l'ultime frustration de la soirée : les choeurs quittent la scène pour laisser seuls Arturo et Elvira, subrepticement rejoints par Riccardo qui portera le coup fatal ; de fait, l'intervention des choeurs est supprimée et les deux couplets de la cabalette sont maladroitement rabibochés, donnant l'impression au spectateur non averti que Bellini était un bien piètre musicien. Saboter la partition pour accoucher d'un effet déjà vu, mais mal réalisé, voilà tout le talent de John Dew !

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