C O N C E R T S 
 
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PARIS
14/10/04

Le Concert d'Astrée
Georg Friedrich HAENDEL

TAMERLANO

Opera seria en trois actes HWV 18 (1724)

version de concert

Bejun Mehta : Tamerlano
Carlo Allemano : Bajazet
Carolyn Sampson : Asteria
Marina de Liso : Andronico
Karine Deshayes : Irene
Paul Gay : Leone

Le Concert d'Astrée
Direction Emmanuelle Haïm

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 14 Octobre 2004



Après l'épique Giulio Cesare, Haendel s'attache à un drame psychologique sombre et cruel. Ce sera Tamerlano. Du XVème siècle et des luttes des empires ottoman et turco-mongol, le librettiste Nicolas Francesco Haym n'a pratiquement rien retenu. Que ceux qui attendaient de grandioses scènes de batailles et des cuivres tonitruants passent leur chemin, car Tamerlano est avant tout une tragédie humaine, intemporelle, une histoire réduite à sa plus simple expression, presque une épure. Les cinq personnages principaux s'agitent autour du trône tartare : attribut royal de Tamerlano, symbole d'un pouvoir inique pour Bajazet, Asteria ou même Andronico, gage d'amour pour la fidèle Irène. Pour ce récit où plane la mort des premières mesures au suicide de Bajazet, Haendel a composé une musique sublime, aux airs abondants, alors que la scène finale de folie de Bajazet n'a d'égale par son audace formelle que celles d'Orlando ou de Déjanire. 

Le Théâtre des Champs-Élysées a décidé de donner l'oeuvre en version de concert. Toutefois, si cela favorise sans doute une attention accrue au chant, la dimension dramatique de l'histoire n'en sort pas indemne. Comment croire au désespoir d'Asteria, aux excès de rage de Tamerlano ou au douloureux trépas de Bajazet en contemplant nos solistes, impeccables dans leurs tenues de soirée, debout au garde-à-vous ? De plus, la rareté des surtitres ne permet guère au spectateur de suivre les récitatifs, expédiés en quelques phrases sibyllines. Ce Tamerlano-là est donc uniquement celui de jolis tableaux musicaux, d'une mosaïque d'airs sans grande cohérence. 

Disons-le d'emblée : le plateau vocal est remarquable. L'équipe de solistes qui entoure Emmanuelle Haïm est celle des représentations lilloises et les chanteurs connaissent visiblement leurs rôles respectifs sur le bout des doigts. Cependant, une version de concert rend naturellement le spectateur beaucoup plus exigeant... 

Carlo Allemano nous livre un Bajazet assez inégal pour un rôle taillé originellement sur mesure pour le ténor Francesco Borosini, tout droit venu de la lagune vénitienne. Si le timbre est agréable et le chant emporté, le "Forte e lieto a morte andrei" ou l'air de fureur "Ciel e terra armi di sdegno" du premier acte restent assez communs, voire confus dans les vocalises, alors que les graves manquent de profondeur. Dans le deuxième acte, le chanteur se laisse aller à un vibrato trop large dans son "A Suoi Piedi Padre Esangue", mais triomphe dans le délire de la grande scène finale, enlevée tout à la fois avec fureur et finesse. 

Asteria échoit à Carolyn Sampson. Confondante de vérité, stupéfiante dans le chant, la soprano n'est pas sans rappeler l'Alcina d'Arleen Augèr ou celle de Joan Sutherland. Son "Deh ; Lasciatemi il nemico", accompagné par le doux son de traversi obligés, est un pur moment de délice tant la chanteuse possède cet art de faire glisser délicatement les notes avant de les projeter soudain vers le public, admiratif.  Du "Non è piu tempo" - qui rappelle par sa fraîcheur les premières cantates italiennes de Haendel - au craintif "Cor di Padre, è cor d'amante", l'artiste se joue des difficultés techniques et habite pleinement son personnage d'amante trahie, obnubilée par sa rage contre le tyran Tamerlano.

Ce dernier se révèle finalement moins cruel que prévu. Bejun Mehta incarne à merveille ce monarque impulsif, torturé et avide de pouvoir mais aussi cet amant déçu et magnanime. C'est avec un plaisir non dissimulé qu'il attaque chacun de ses airs d'une voix claire et assurée. "Vo'dar Pace A Un Alma Altiera", "A dispetto d'un volto ingrato" et surtout "Bella gara, che faronno" sont éblouissants de virtuosité et d'inventivité dans leurs da capo.

On ne peut malheureusement pas en dire autant de l'Irene de Karine Deshayes. Certes, la voix est ronde et chaude, mais les aigus semblent un peu fêlés. La jeune mezzo aborde ses interventions avec une passion gourmande, à l'image d'un "Dal Crudel Che M'ha Tradita" trop précipité où la "princesse du royaume de Trébizonde" se perd elle-même dans une cadence erratique et d'un anachronisme outrancier. Plus de mesure et de maîtrise auraient été les bienvenus.

Enfin, n'oublions pas l'honnête Andronico de Marina De Liso qui manque toutefois un peu d'inspiration et le puissant Leone, fièrement campé par Paul Gay, avec toute la détermination et le mystère que l'on attend de cette éminence grise. Son "Nel mondo e nell'abisso io non pavento" fut d'ailleurs particulièrement apprécié.

Dans la fosse, après une ouverture un peu terne, le Concert d'Astrée se révèle en grande forme et le restera tout au long des trois heures. On saluera en particulier les attaques incisives des cordes, la beauté des timbres (bassons notamment), ainsi que l'équilibre général des formes. Les climats sont variés, les tempi contrastés, sans excès. Emmanuelle Haïm dirige sa phalange avec passion, n'hésitant pas à se jeter sur son clavecin pour ensuite bondir - en évitant de trébucher sur son tabouret - afin d'esquisser un geste complice et mystérieux à l'archiluth (Laura Monica Pustilnik) ou à son excellent premier violon (Stéphanie-Marie Degand). 

La grande absente de ce concert était donc l'intrigue et l'on ne peut qu'espérer voir prochainement cette oeuvre retrouver les scènes (1). En attendant, l'enregistrement  discographique de Trevor Pinnock (Avie) peut toujours aider à se remémorer cette soirée, bien qu'il soit incontestablement moins convaincant.
 
 

Viet-Linh NGUYEN
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(1) Production en tournée, en version scènique
(mise en scène Sandrine Anglade)

les 3 et 5 février 2005 au Théâtre de Caen 
(www.theatre.caen.fr),

les 15, 17 et 19 avril 2005 à l'Opéra National de Bordeaux 
(www.opera-bordeaux.com

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