C O N C E R T S 
 
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PARIS
03/12/04

© Eric Mahoudeau
IL TROVATORE

Opéra de Giuseppe Verdi

Livret de Salvatore Cammarano 
D'après le drame d'Antonio Garcia Gutiérrez

Mise en scène : réalisée par Isabelle Cardin
d'après une idée de Francesca Zambello
Décors : Maria Björnson et Adrian Linford
Costumes : Sue Willmington
Lumières : Gérard Mortier et Rui De Matos Machado
d'après Peter Mumford

Il Conte di Luna : Dmitri Hvorostovsky
Leonora : Marina Mescheriakova
Azucena : Elena Manistina
Manrico : Neil Shicoff
Ferrando : Kristinn Sigmundsson
Inès : Natacha Constantin
Ruiz : Xavier Mas
Un vecchio zingaro : David Bizic
Un messo : Fernando Velasquez

Choeurs et orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : Gustav Kuhn

Paris, Bastille, 3 décembre 2004



Pour reprendre la boutade d'Arturo Toscanini, il suffit pour bien monter Le Trouvère de réunir les quatre meilleurs chanteurs du monde.

C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le rôle de Manrico, tiraillé entre des exigences contradictoires : "A si ben moi" demande raffinement et legato ; le "Di quella pira" qui le suit réclame une puissance quasi martiale.

On trouvera donc ses interprètes positionnés entre deux extrêmes : Bergonzi ou Pavarotti hier, Alagna aujourd'hui, sont les défenseurs d'une approche belcantiste ; plus nombreux sont ceux qui choisissent un chant davantage "viril" : Tucker hier et Licitra aujourd'hui sont de bons exemples de réussite dans ce domaine, à côté, hélas, d'une invraisemblable quantité d'aboyeurs forcenés. Exceptionnellement, un artiste combine ces deux qualités, tel le miraculeux Corelli.

Si Shicoff a pu interpréter de manière convaincante des rôles stylistiquement exigeants, comme ceux de Werther ou d'Hoffmann, c'est avant tout grâce à sa sensibilité d'écorché vif qui lui permettait de compenser, par la qualité de l'interprétation, un chant un peu frustre. Encore récemment, son Eléazar pourtant vocalement contestable (et souvent dépassé par les exigences de la partition au point de multiplier coupures et transpositions) restait digne d'intérêt par un engagement scénique incomparable. Mais le rôle de Manrico n'atteint pas les mêmes sommets de psychologie ; ce serait même plutôt le contraire : on peut même s'étonner que Shicoff l'ait finalement mis à son répertoire (d'ailleurs très tardivement, à Zürich en 1996).

Dans une approche héroïque du rôle, Shicoff n'est pas davantage à l'aise : le volume reste limité, le souffle un peu court, l'aigu hasardeux, le timbre un peu usé... ce n'est pas le grand frisson. Ne parlons pas des approximations stylistiques : ports de voix et autres délicatesses avec la partition. Les nuances de "A si ben moi" se limitent à forte / mezzo forte ; la cabalette est transposée (comme toujours jusqu'à présent à Bastille) et amputée de sa reprise, ce qui n'empêche pas Shicoff de couaquer son premier si naturel, avant de conclure par un second aigu bien court ; enfin, dans les ensembles (en particulier au final de l'acte III), sa participation se limite au mime. C'est beaucoup pour une vedette de cette réputation.
 

A noter qu'il s'agissait de la première représentation, habituellement moyenne chez cet artiste ; en effet, Shicoff se refuse à chanter aux générales, arrivant ainsi peu préparé à la première.
Les soirées suivantes seront donc sans doute sensiblement meilleures.

Nous avions déjà évoqué Marina Mescheriakova lors de la reprise de mai (lien vers la critique). Cette nouvelle édition nous vaut une chanteuse en plus grande forme, mais bien loin de ce que l'on est en droit d'attendre d'une grande scène internationale : aigus poussifs, caractérisation inodore, trilles quasi inexistants (et Dieu sait s'il y a des trilles écrits dans "D'Amore Sull'Ali Rosee" !)... On est loin des recommandations toscaniniennes !

Dmitri Hvorostovsky est un Luna de belle allure : phrasé impeccable, legato élégant, timbre intact ; dommage qu'il soit un peu fâché avec la justesse. Côté incarnation, il faut plus compter sur la présence naturelle de l'artiste que sur un véritable engagement dramatique.

Elena Manistina a été révélée au public parisien en juin 2003 en remplaçant au pied levé Olga Borodina dans le rôle de Lioubacha de La Fiancée du Tsar du Châtelet. Plus alto que mezzo, les aigus sont un peu "à l'arraché", mais pour le reste, cette jeune chanteuse déploie avec talent une voix riche et puissante : c'est la vraie bonne surprise de la soirée.

Basse à tout faire de l'Opéra-Bastille, Kristinn Sigmundsson est ici un Ferrando sonore et stylé, un peu graillonnant au premier acte (peut-être un enrouement passager ?) et plus à l'aise par la suite.

La production de Francesca Zambello, une des pires horreurs qu'il nous ait été donné de voir sur cette scène, a été fort judicieusement passée au laminoir : un initiative courageuse de Gérard Mortier qu'il convient de saluer. 

En effet, les directeurs de théâtre préfèrent habituellement laisser courir que de risquer d'être accusé de censure. Il est vrai qu'il est plus confortable de se réfugier derrière le sacro-saint respect du travail artistique du metteur en scène (qui est, lui, dispensé de respect envers l'oeuvre et le public...).

Plus d'uniformes tombant du plafond ; plus de duel au ralenti entre Manrico et les sbires de Luna ; plus de Manrico habillé en Zorro et descendant des cintres ; et surtout, plus de numéro de cirque avec Azucena quittant la scène attachée à la roue d'un canon. Comme ce qui a été supprimé n'a été remplacé par rien de précis, les solistes évoluent la main sur le coeur, comme au bon vieux temps de l'opéra de papa ; un moindre mal sans doute, mais qui n'a rien de très excitant.

A noter également de nouveaux éclairages, dus cette fois à Gerard Mortier, assisté de Rui De Matos Machado : qui aurait cru que notre nouvel administrateur marcherait ainsi sur les traces de Karajan qui finît par régler lui-même certains de ses spectacles lorsqu'il dirigeait Salzbourg.

La direction de Gustav Kuhn ne casse pas trois pattes à un canard : tempi sans originalité, sonorités confuses et décalages fréquents avec les choeurs ; ceci n'empêchera pas une poignée d'inconditionnels de l'accueillir avec des bravos sonores et vibrants, mais peut-être un peu trop appuyés pour être totalement naturels.
 
 
 

Placido Carrerotti
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