C O N C E R T S
 
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PARIS
10 & 22/06/2007
 
© DR

Giuseppe VERDI (1813-1901)

UN BALLO IN MASCHERA

Opéra en trois actes
Livret d'Antonio Somma
(d'après Gustave III ou le Bal Masqué d'Eugène Scribe)

Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors et costumes : William Orlandi
Lumières : Joël Hourbeigt
Chorégraphie : Micha van Hoecke
Chef des Choeurs :Peter Burian

Riccardo:Ewan Bowers (10 juin) / Marcelo Alvarez (22 juin)
Renato : Ludovic Tézier
Amelia : Angela Brown
Ulrica : Elena Manistina
Oscar : Camilla Tilling
Silvano : Jean-Luc Ballestra
Sam : Michail Schelomianski
Tom : Scott Wilde
Giudice : Pascal Meslé
Servo d'Amelia : Nicolas Marie

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction Musicale : Semyon Bychkov

Paris, Opéra Bastille les 10 et 22 juin 2007

Bal sinistre à la bastille


Très attendue, cette nouvelle production du Ballo in maschera n'aura pas manqué de décevoir. La faute n'en incombe pas seulement à la défection de Marcelo Alvarez pour les cinq premières représentations mais bien à la réalisation de Gilbert Deflo, qu'on a connu plus inspiré, ainsi qu'à un plateau par trop inégal.

Comme à la création, Deflo conserve les Etats-Unis comme cadre de l'action qu'il transpose à l'époque de la composition de l'ouvrage (1). Décors et costumes oscillent entre le noir et le gris anthracite qui contrastent avec quelques éléments d'un blanc éclatant, comme l'hémicycle surmonté d'un aigle qui trône au milieu de la scène, au premier tableau ou la statue de Riccardo au début du trois. Blancs également, les masques du bal et les jupes des ballerines. Seule touche de couleur, la robe rouge d'Ulrica dont l'antre délimitée par trois têtes de dragons noires au centre desquelles se déroule une sorte de cérémonie vaudou constitue le tableau le plus réussi. Le bal en revanche, macabre à souhait, semble se dérouler à l'intérieur d'un gigantesque mausolée.

La mise en scène est extrêmement statique et la direction d'acteurs quasi inexistante: les chanteurs semblent livrés le plus souvent à eux-mêmes.

Dans un tel contexte visuel, seule une distribution vocale brillante pouvait combler nos attentes. Hélas, ce ne fut pas le cas, loin s'en faut, lors de la représentation du 10 juin.

Certes, Ewan Bowers possède un timbre agréable et des moyens adaptés aux exigences du rôle. On lui pardonnerait volontiers son jeu scénique limité, si dans sa voix passait la moindre émotion. Mais il n'en est rien. Le ténor semble incapable de traduire les affects variés de son personnage. Ainsi le grand duo avec Amelia au deuxième acte, privé d'élan amoureux, tombe complètement à plat d'autant qu'à ce moment-là les chanteurs sont à plusieurs mètres l'un de l'autre et ne semblent même pas se regarder. Son grand air du troisième acte ne touche pas davantage: où est la douleur contenue de l'amoureux qui renonce à son bonheur pour le bien de sa belle? En outre, sa tendance à prendre systématiquement les aigus par en dessous finit par agacer.

Angela Brown, dont c'étaient les débuts à l'Opéra de Paris, déçoit également. Cette cantatrice possède déjà à son répertoire plusieurs rôles verdiens tels Elisabeth de Don Carlos, Leonora du Trouvère et Aïda. Les moyens sont certes imposants mais la voix est affectée, dans le medium, d'un vibrato excessif, surprenant chez une chanteuse aussi jeune, et la justesse est parfois approximative. Son Amelia, pour touchante qu'elle soit, est dès lors bien loin de se hisser au niveau des grandes interprètes du rôle, ce qu'une partie du public n'a pas manqué de lui faire savoir au rideau final.

Elena Manistina et Camilla Tilling s'avèrent autrement captivantes. La première, lauréate du concours Opéralia en 2002, s'est déjà produite dans Le Coq d'or et Iolanta au Châtelet ainsi que dans Le Trouvère et Boris à l'Opéra de Paris. Son timbre, sombre et cuivré, homogène sur toute la tessiture fait merveille dans son air "Re dell'abisso" qu'elle conclut par un sol grave sonore tout à fait impressionnant. De bout en bout l'Ulrica de la cantatrice russe convainc et laisse augurer d'une belle carrière dans les emplois de mezzos verdiens qu'elle a d'ailleurs déjà presque tous abordés.

La seconde, qui fut une touchante Ilia à Garnier en début de saison, campe un Oscar espiègle et virevoltant. Très à l'aise scéniquement, la soprano suédoise possède une technique sans faille et un timbre lumineux, à l'opposé des voix acides que l'on entend quelquefois dans ce rôle. Le public lui réserve une ovation pleinement méritée.

Le grand triomphateur de la soirée est sans conteste Ludovic Tézier qui effectue une prise de rôle magistrale. La voix n'est certes pas immense mais elle sonne admirablement dans le grand vaisseau de la Bastille et n'est jamais couverte. Ami fidèle puis mari jaloux assoiffé de vengeance, le baryton français campe un Renato de haut vol, ombrageux et rigide à souhait. Son beau timbre d'airain et l'élégance de sa ligne de chant font le reste.

Des seconds rôles, dans l'ensemble bien tenus, se détache le Silvano de Jean-Luc Ballestra dont la voix capte immédiatement l'attention.

Semyon Bychkov, enfin, fait une entrée fracassante à l'Opéra de Paris et emporte tout le plateau dans un maelstrom sonore ébouriffant d'une grand efficacité théâtrale. Sa direction d'une implacable précision exacerbe la tension dramatique de scènes telles que l'entrée d'Amélia au deux ou le tirage au sort de Renato au trois mais souffre d'un manque de lyrisme voire de sensualité notamment lors du duo d'amour, décidément bien malmené dans cette production.
 
Marcelo met le feu au bal

Le soir du 22 juin, la présence de Marcelo Alvarez, finalement rétabli, semble avoir galvanisé le plateau. Angela Brown parvient à contrôler davantage son vibrato et fait de louables efforts de legato dans son air du trois, "Morro'". Ludovic Tézier s'est littéralement surpassé, quant à Alvarez, il a prouvé qu'il est sans nul doute l'un des meilleurs Riccardo du moment, sinon le meilleur. Son timbre chaleureux et ensoleillé exerce une séduction irrésistible, sa ligne de chant est finement nuancée et son engagement total: amoureux ardent et fougueux au second acte, sa déclaration passionnée ferait fondre la plus vertueuse des Amelia et au trois, son grand air où se mêlent nostalgie et grandeur d'âme, est tout simplement bouleversant. Bref, un grand moment de chant verdien (2). Notons enfin que le ténor argentin, aminci, se meut désormais sur la scène avec une aisance qu'on ne lui connaissait pas.

Christian PETER


(1) Nicolas Joël qui avait signé en 1992 la production précédente de l'ouvrage à l'Opéra Bastille avait opté pour la version initiale du livret qui situe le drame à la cour du roi Gustave III de Suède, assassiné lors d'un bal masqué. Verdi avait dû y renoncer et transposer l'action aux Etats-Unis car la censure refusait que l'on montrât un régicide sur scène.

(2) C'est d'ailleurs la prestation de Marcelo Alvarez qui vaut les trois étoiles attribuées à ce spectacle qui n'en aurait obtenu que deux pour la seule représentation du 10 juin.

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