C O N C E R T S 
 
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PARIS
15/07/03
 
LES VEPRES SICILIENNES

Opéra de Giuseppe VERDI
Livret d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier 
Version originale en français

Mise en scène : Andrei Serban
Décors : Richard Hudson
Costumes : Richard Hudson
Lumières : Matthew Richardson
Mouvements aléatoires : Laurence Fanon

Hélène : Sondra Radvanovsky
Henri : Luca Lombardo (en remplacement de Marcello Giordani)
Montfort : Anthony Michaels-Moore
Procida : Ferrucio Furlanetto
Danieli : Jean-Luc Maurette (en remplacement de Luca Lombardo)
Mainfroid : Francisco Simonet (en remplacement de Jean-Luc Maurette)
Ninetta : Louise Callinan
Robert : Christophe Fel
Béthune : Josep Miquel Ribot
Vaudémont : Nicolas Courjal
Thibault : Mihajlo Arsenski

Choeurs et orchestre de l'Opéra de Paris

Direction : James Conlon

Bastille, le 15 juillet 2003

lire aussi la critique de la représentation du 21/06/03, 
première distribution


LA FIN DES ARRIGO

Ou : vive les versions françaises originales !
 

Suite au désistement de Samuel Ramey, l'Opéra de Paris proposait deux basses en alternance : Vitalij Kowaljow pour les premières et Ferrucio Furlanetto pour les suivantes. Quelques problèmes de santé ayant conduit au remplacement de Marcello Giordani par Luca Lombardo (notamment dès le 25 juin pour la troisième représentation), la présente critique ne traite en profondeur que des artistes de cette seconde distribution, la première étant traitée dans la critique de Christian Peter : http://www.forumopera.com/concerts/vespres_bastille.htm.

Le cas Luca Lombardo reste pour moi une énigme...
Timbre ensoleillé, style impeccable, phrasé parfait, legato impeccablement contrôlé: on a du mal à comprendre pourquoi ce chanteur ne fait pas une carrière internationale.
Certes, la voix manque un peu de puissance : cela n'a pas empêché des chanteurs comme Giuseppe Sabbatini de faire carrière dans quelques unes des plus grandes salles d'opéra. De toute façon, tous les théâtres ne sont pas gigantesques et, même parmi les plus grands, certains ont des acoustiques très favorables aux voix : Vienne, la Scala, le Liceo, Covent Garden, voire le Metropolitan, ne poseraient a priori pas de problèmes à ce chanteur pour se faire entendre.
L'aigu n'est pas non plus le point fort de Luca (il transpose la courte phrase que Giordani conclut par un splendide contre ré) : mais comme Lombardo ne semble jamais en difficulté avec la tessiture, on ne connaît pas vraiment sa limite dans le registre de ténor (et puis un ténor ne se limite pas à un contre ut : dans son répertoire, Alain Vanzo a fait une carrière internationale honnête).
De plus, tout ceci n'a pas empêché Lombardo d'interpréter (mais toujours en tant que remplaçant) Don José ou Hoffmann à Bastille, sans parler de rôles autrement périlleux comme l'impossible Sigurd en Province.
En fait, tout le problème de Lombardo est là : il n'ose pas; il manque de charisme, de hargne, de volonté de gagner ... bref son ego n'est pas à la mesure de ses moyens.
Qu'est-ce qui empêche Luca Lombardo d'être Don José, Hoffmann, etc., sur toutes les petites (par la taille) scènes d'Italie, d'Allemagne ou d'Autriche : Parme, Turin, Rome, Bologne, Berlin, Vienne ? Absolument rien sinon la volonté de le faire. 
Comme disait (à peu près) Renata Scotto : "Quand on est jeune, mieux vaut chanter des grands rôles dans de petits théâtres que des petits rôles dans de grandes salles".
Souhaitons que Luca Lombardo suive ce conseil.

Sondra Radvanovsky est un autre mystère, mais dans un registre différent : "grosse" voix, tessiture étendue, engagement, etc., mais aussi une absence totale de variations dans la coloration, un type d'émission vocale figée (nulle surprise; une note = un son, prévisible en fonction de la hauteur de la note et de la voyelle, quelque soit la situation dramatique), une articulation déficiente (mais avec une très nette amélioration au fil des représentations, ce qui témoigne d'un certain manque de préparation); bref, la question est : avec de tels moyens et une aussi pauvre technique, cette chanteuse arrivera-t-elle à mener une carrière sur le long terme ?
 

Succédant à Vitalij Kowaljow, Ferrucio Furlanetto incarne un Procida fanatique et inquiétant, un Ben Laden à la sicilienne. On est bien loin de la basse slave, monolithique et bonhomme, bien chantante mais semblant ne comprendre goutte à la situation! Les tares vocales de Furlanetto n'ont pas changé, en particulier une voix complètement engorgée, émise en arrière; disons qu'avec les années (car cela doit bien faire près de 20 ans que j'entends ce chanteur sur scène), ces défauts passent au second plan tant j'y suis habitué. En revanche, il faut souligner l'absence de dégradation vocale (Ramey n'aurait malheureusement pu en dire autant) et surtout, une interprétation proprement hallucinée ayant véritablement gagné en profondeur par rapport à sa prestation dans la version italienne de la Scala en 1989 avec Muti.

J'aurais mauvaise grâce à émettre des réserves sur le Montfort d'Anthony Michaels-Moore tant je trouve cet artiste sous employé : là encore, la qualité du chant vient compenser un timbre un peu quelconque; pourtant, je trouve cet artiste plus à son aise dans les Verdi de jeunesse (Attila, La Battaglia di Legnano, Macbeth ...) que dans les oeuvres plus tardives.

Ajoutons qu'au soir du 15 juillet (et suite à une cascade de spectacles annulés pour cause de grèves des intermittents), nous avons droit à quelques trous de mémoire (rien en comparaison de la soirée du 11 juillet, où les duos avec Giordani devenaient trios avec souffleur obligato audible du premier balcon !).

Les seconds rôles sont TOUS excellents : je voudrais juste mentionner Christophe Fel qui lui aussi ne me semble pas mener la carrière qu'il mérite, tant il semble avoir intégré la tradition des basses françaises.

La direction de James Conlon a séduit la majorité des spectateurs et bon nombre de critiques; je l'ai moi-même été à la première écoute ; après trois représentations, je pense que le chef américain est ici simplement meilleur que d'habitude : les tempi sont vifs (mais c'est écrit comme ça) et l'orchestre peut facilement briller; en revanche, les passages élégiaques sont totalement sabotés (bref, pour comprendre ce que je peux reprocher à Radvanovsky et Conlon, procurez-vous l'enregistrement de la version italienne avec Renata Scotto et dirigée par Muti, écoutez "Arrigo ! Ah ! Parli a un core" et si vous ne voyez pas la différence, je vous suggère la réincarnation).

Un mot sur la mise en scène que j'ai trouvée finalement moins dramatique que ce à quoi je m'attendais après la lecture des réactions de quelques spectateurs.
Choeurs de militaires français en képis coloniaux, siciliens en tenue de ville ... le démarrage pouvait faire craindre une transposition en forme de pensum sur la guerre d'Algérie. 
Fort heureusement, les audaces de Serban s'évanouissent dès l'ouverture (du rideau) et en dépit de quelques costumes "dans le style" (notamment des robes blanches très "années 40"), il n'y a pas de quoi en faire un douar : bref, on appréhendait "Avoir 20 ans dans les Aurès", ce fut "Le Gendarme et les Conspirateurs". A noter le ratage intersidéral de la scène finale : un loupé intégral anthologique.
Le plus difficile à digérer reste encore les interviews accordées par Serban, dans lesquelles il exprime tout le mépris qu'il porte à cette oeuvre ? mais rassurez-vous, ça ne l'empêchera pas d'encaisser son chèque ! D'aucuns répliqueront qu'on a recours à un metteur en scène réputé justement parce qu'il s'agit d'une oeuvre un peu mineure (quant au livret, car mélodiquement, c'est une des plus riches), mais force est de rappeler que Monsieur Serban n'était pas obligé d'accepter ce contrat, cela s'appelle "cracher dans la soupe" : justifier, a posteriori, la médiocrité d'un travail par sa difficulté ne peut guère attirer notre estime. Mais nous perdons notre temps, tant la collaboration récente d'Andrei Serban avec l'Opéra de Paris aura été féconde... en spectacles quelconques ou vulgaires.

Enfin, que dire des "mouvements chorégraphiques" que nous devons à Laurence Fanon ? Sinon relever que c'est là sa troisième collaboration avec l'Opéra de Paris, après une triste Veuve Joyeuse et une grise Kovantchina, sans s'appesantir davantage, cela ne vaut pas la peine de s'acharner...
 
 
 

Placido Carrerotti
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