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BORDEAUX
10/06/05

Opéra de Bordeaux © Frédéric Desmesure
La Veuve Joyeuse

Opérette en 3 actes 

Créé le 30 décembre 1905 au Theater an der Wien, Vienne
Version française créée le 28 avril 1909 au Théâtre Apollo, Paris

Musique de Franz Lehar (1870-1948)
Livret de Viktor Léon et Leo Stein, d'après L'attaché d'ambassade d'Henri Meilhac
Adaptation française de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet

Direction musicale : Jacques Blanc
Mise en scène : Charles Roubaud
Décors : Emmanuelle Favre
Costumes : Katia Duflot
Lumières : Vladimir Lukasevitch
Chorégraphie : Laurence Fanon

Missia Palmieri : Anne-Marguerite Werster
Le prince Danilo : Jean-François Lapointe
Nadia : Valérie Debize
Camille de Coutançon : Luca Lombardo
Le baron Popoff : Jean-François Vinciguerra
Figg : François Langlois
D'Estillac : David Grousset
Lérida : Jacques Lemaire
Manon : Sophie Hervé

Orchestre de l'Opéra National de Bordeaux
Chef de choeur : Jacques Blanc

Grand-Théâtre
10 juin 2005, 20h00

La revanche de la valse

Il ne faut pas dire du mal de la valse... Parce qu'elle peut se venger (1). Ainsi prévenu par Missia Palmieri, on se gardera d'être trop critique à l'endroit de cette Veuve joyeuse proposée par l'Opéra de Bordeaux après une série de représentation à marseille en février dernier.

On se réjouira d'abord du choix de la version française qui, tout en restituant à l'oeuvre de Franz Lehar ses origines, allège la chantilly et lui confère ce chic parisien, cet esprit Guermantes délicieusement insufflé par les seigneurs du rire (2), Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet.

On admirera le luxe des décors : le salon années 30 du premier acte et la vue plongeante sur Paris la nuit, le jardin d'hiver du deuxième acte, très belle époque, avec son pavillon devenu serre, la grande salle de Maxim's enfin, dissimulée d'abord par un rideau en forme de menu, puis enrichie d'un gigantesque seau à champagne d'où jaillira une pluie de paillettes quand l'intrigue se dénouera.


Opéra de Bordeaux © Frédéric Desmesure

On appréciera le conformisme respectueux de la mise en scène. La pièce ne vise qu'à distraire et ne se prête pas à des relectures compliquées ou des interprétations abstraites. On applaudira le naturel des gestes, le réglage des mouvements de foule, les grandes scènes de bal et surtout le formidable cancan final où deux danseurs s'appliquent à ranimer la flamme allumée jadis par Valentin le Désossé.

Parcourant la distribution, on se félicitera du format des chanteurs ici réunis. L'opérette pour une fois n'est pas traitée en parent pauvre de l'art lyrique. Jusqu'à d'Estillac, interprété crânement par David Grousset qui chantait Figaro dans Il Barbiere di Siviglia sur cette scène il y a moins d'un mois ; c'est dire que les seconds rôles même ne sont pas négligés.

On regrettera alors que la direction de Jacques Blanc ne tienne pas mieux compte des interprètes et de l'acoustique du théâtre. Quelques huées viendront d'ailleurs au final le sanctionner car sous sa baguette, l'orchestre, lorgnant du côté des années 20, swingue avec brio mais hélas trop bruyamment. Seuls Luca Lombardo et Jean-François Lapointe passent la rampe sans encombre.

Anne-Marguerite Werster en est la première punie. De Missia, elle possède le glamour, la franche coquetterie, la rondeur de la voix aussi, sensuelle et pleine mais la plupart de ses phrases se perdent dans le tumulte sonore. Elle a pourtant pris soin de se débarrasser du traditionnel accent américain qui aurait pu entraver davantage encore sa diction (3). Peine perdue, on ne la comprend pas. Autre défaut, l'aigu trouve vite ses limites, dans les ensembles surtout où la note, pour briller, doit être tenue. Il faut du cristal pour que le champagne pétille. 

Valérie Debize se débat avec les mêmes problèmes de volume et d'articulation mais la tessiture est mieux maîtrisée. Elle nimbe de plus sa Nadia d'une nostalgie qui sied bien à l'épouse malheureuse de l'inconséquent Baron Popoff.


Opéra de Bordeaux © Frédéric Desmesure

Les deux premiers rôles masculins appellent moins de réserve. Déjà parce qu'ils restent toujours intelligibles. Camille de Coutançon bénéficie de l'élégance vocale de Luca Lombardo. Il habille son personnage d'un charme qui, dans le phrasé, la clarté et la justesse de l'intonation n'est pas sans évoquer Alain Vanzo ; le compliment est de taille. Seuls les élans wagnériens de l'introduction du duo du pavillon le dépassent un peu. Ce n'est pas un hasard si le rôle fut chanté en allemand par Siegfried Jerusalem, grand habitué du Festival de Bayreuth. Pour posséder le même pouvoir de séduction, Jean-François Lapointe devrait user de plus de subtilité. Son prince, assurément sonore, manque de noblesse. Il y a peut-être de la gouaille chez Danilo, Maurice Chevalier en d'autre temps le prouva, de la virilité, mais il y a aussi de la distinction.

La verve et l'énergie comique des autres interprètes finissent par emporter le morceau et la bonne humeur de cette veuve bordelaise devient rapidement contagieuse. Le public, pour terminer, accompagne le cancan en frappant dans ses mains. Aurait-on cependant, malgré l'avertissement de Missia, abusé de la médisance ? Le lendemain et les jours qui suivent, des pans entiers de mélodie, balancés sur un rythme à trois temps, viennent et reviennent inlassablement, harcèlent et lancinent, obsèdent la mémoire jusqu'à l'agacer. La valse s'est vengée.
 
 

Christophe RIZOUD
Notes

(1) Missia : Il ne faut pas dire du mal de la valse
Danilo : Pourquoi ?
Missia : Parce qu'elle peut se venger... Rôder autour de vous, vous prendre par la main, vous envelopper... et tout d'un coup... Vous emporter. (Acte II, Scène 10)

(2) Pour en savoir plus sur les deux librettistes ainsi que sur leur troisième compère, Francis de Croisset, on pourra lire Les seigneurs du rire de Pierre Barillet, publié chez Fayard en 1999.

(3) Cette tradition trouve son origine chez la première titulaire du rôle en France, Constance Dever, qui était anglaise. Cet accent tombe à point nommé puisque la veuve joyeuse revue et corrigée par Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet est américaine ; Hanna Glawari, chez Viktor Léon et Leo Stein, est slave.
 

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