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Laurent Petitgirard (né en 1950)

Joseph Merrick,
the Elephant Man

opéra en quatre actes sur un livret d'Eric Nonn

Jana Sykorova (Elephant Man)
Nicolas Rivenq (Docteur Treves)
Robert Breault (Tom Norman)
Valérie Condolucci (Mary)
Elsa Maurus (Eva Luckes)
Nicolas Courjal (Carr Gomm)
Magali Léger (La Colorature)
Mari Laurila-Lili (Jimmy)

Orchestre Philharmonique de Nice
Choeur de l'Opéra de Nice
Direction musicale : Laurent Petitgirard

1 DVD Marco Polo 2.220001
(Filmé à l'Opéra de Nice le 29 novembre 2002


Eclatante confirmation

Composé entre 1995 et 1998, l'opéra de Laurent Petitgirard avait connu les studios d'enregistrement avant même sa création scénique. Nous avions dit alors tout le bien qu'il fallait penser de cet admirable plaidoyer humaniste, remarquablement écrit pour les voix, et nous avions souligné son incontestable potentiel dramatique et émotionnel. L'ouvrage semblait posséder toutes les qualités pour s'imposer au répertoire, ce que le présent DVD, enregistré en 2002 à l'Opéra de Nice, vient confirmer de manière éclatante. Je n'hésiterai pas, en ce qui me concerne, à placer Joseph Merrick au sommet de la production lyrique française des quinze dernières années, à côté notamment du Château des Carpates de Philippe Hersant. Le renouvellement du répertoire opératique me semble en effet devoir reposer sur de tels ouvrages, qui mettent une inspiration mélodique et un traitement de la voix hérités de la meilleure tradition au service d'une écriture moderne, et pas seulement sur des recherches formelles radicales.

La réalisation de Daniel Mesguich a fait l'objet, à sa création, de commentaires divergents. Présentant le drame dans une impitoyable crudité, elle a pu déranger, voire choquer certains spectateurs, car l'on sait que notre société bien-pensante répugne à regarder ses travers et ses bassesses, et préfère écouter, à l'image des bourgeois de Nuremberg, la voix rassurante du veilleur de nuit. La vision proposée me semble pourtant en plein accord avec l'esprit et la thématique de l'oeuvre, plus complexe et bien moins manichéenne que le film homonyme de David Lynch, et je lui reconnais personnellement de nombreux atouts. En s'appuyant sur les décors habiles de Frédéric Pineau et les superbes éclairages de Patrick Méeüs, le metteur en scène nous entraîne avec une grande intelligence dans un univers captivant, à mi chemin entre réalisme sordide et onirisme poétique. L'atmosphère oppressante du premier acte est parfaitement rendue, la tension résultant particulièrement de la présence centrale d'un Merrick enfermé dans sa caravane mais dont on perçoit chaque mouvement par transparence. Cette entrée en matière est dominée par le Tom Norman de Robert Breault, excellent comédien dont le personnage gagne à la scène une crédibilité nouvelle. Son face-à-face avec un Treves autoritaire mais parfois troublé (l'impeccable Nicolas Rivenq, autre "rescapé" de l'enregistrement en studio) constitue incontestablement l'un des temps forts de la représentation.

Le deuxième acte nous enseigne que la cruauté régnant à l'hôpital n'est pas moindre que celle que l'on a observée à l'extérieur. L'atmosphère y est aussi étouffante et la superbe prière des malades, l'une des plus belles pages de la partition que nous avions grandement appréciée en tant que pièce de concert, prend dans cette impitoyable présentation une nouvelle tonalité et une force accrue. Nathalie Stutzmann avait enregistré le rôle-titre ; la tchèque Jana Sykorova lui a succédé à Prague puis à Nice, et il faut saluer sa prestation très convaincante, sur le plan scénique comme sur le plan vocal. Son timbre profond souligne l'étrangeté et la souffrance du personnage, que Laurent Petitgirard a eu la remarquable idée de confier à un contralto. Dans cet univers pesant, la fraîcheur vient uniquement du personnage de Mary, remarquablement interprété par la lumineuse Valérie Condolucci. Toute en blondeur et en blancheur, cette jeune et séduisante artiste campe avec grâce et talent l'infirmière compatissante.

Les temps forts s'enchaînent dans cette oeuvre remarquablement construite par le compositeur et son librettiste, Eric Nonn. Ainsi, au troisième acte, à l'insoutenable exhibition de Joseph Merrick devant le corps médical qui nous inspire les mêmes sentiments qu'à une Mary prostrée à l'avant-scène, succèdent les couplets consolateurs d'Eva, chantés par Elsa Maurus avec de belles couleurs mais une diction perfectible, puis deux face-à-face qui, grâce au talent de Jana Sykorova, expriment superbement l'humanité et la dignité de Merrick derrière ses malformations. A force de virtuosité et de panache, la charmeuse Magali Léger parvient à faire du périlleux air de la colorature au dernier acte autre chose qu'une simple exhibition vocale à la Fiakermilli. Daniel Mesguich utilise alors avec tact la thématique du théâtre dans le théâtre, avant d'aborder le finale avec une remarquable sensibilité. L'humanité peut enfin triompher, et l'ouvrage s'achève dans un climat de profonde émotion.

A la tête de l'Orchestre Philharmonique de Nice, Laurent Petitgirard est naturellement le mieux placé pour souligner la modernité de sa partition, mais aussi son lyrisme élégant qui l'apparente à la meilleure tradition française. La qualité de la prestation des choeurs de l'Opéra de Nice, sollicités de manière tout à fait traditionnelle dans cet ouvrage, mérite également d'être soulignée. Remercions donc le label Marco Polo qui diffuse le témoignage de ces représentations, et nous offre ainsi la confirmation des rares vertus lyriques et dramatiques d'un ouvrage qui mérite incontestablement de s'installer de façon durable au répertoire des maisons d'opéra. La réaction enthousiaste du public niçois, qui ne passe pas pour l'un des plus aventureux de l'Hexagone, en est la meilleure preuve.
  


Vincent Deloge


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En savoir plus sur Laurent Petitgirard : voir son site

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