Notre année Mozart (I)

un dossier proposé par Sylvain FORT

SOMMAIRE

(I) Le manuscrit de Don Giovanni
(II) Gabriel Dussurget : le Magicien d'Aix
(III) Don Giovanni : surmonter le néant
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NOTRE ANNEE MOZART : COUP D’ENVOI


Forum Opéra ne saurait se soustraire entièrement à la vogue irritante des commémorations, fussent-elles entachées par la vulgarité du marketing et du tourisme de masse. Nous célébrerons donc Mozart, nous aussi. C’est qu’on l’aime beaucoup, Mozart. On nous dira : Et Marin Marais ? ses quatre-cent-cinquante ans ? Je répondrai : oui, il y a aussi mon ami Jean-Claude qui fêtera ses trente-sept ans cette année… Marin, c’est plus confidentiel. On serait plus entre soi. Mais Wolfgang, tout de même… Pour s’en convaincre, jetons un œil avide et acquérons d’urgence le trésor que nous livrent les éditions Textuel : le fac-similé du manuscrit de Don Giovanni, conservé à la Bibliothèque Nationale de France.



Certains savent sans doute que le manuscrit original du Don Giovanni de Mozart est conservé à la Bibliothèque Nationale, dite Bibliothèque Nationale de France (car il convient de ne pas oublier qu’il existe des Bibliothèques Nationales de l’Etranger). Cette bonne fortune nationale n’est pour une fois pas due au pillage ni à quelque hommage de l’Art à notre sainte patrie. Plus simplement, la gracieuse Constance Mozart avait en 1800 vendu ledit manuscrit à l’éditeur Johann André, de Francfort. Le gendre de celui-ci le remit en vente en 1854, par annonce dans le journal. Pauline Viardot s’en porta acquéreur pour 5000 Francs. Dès cette acquisition, elle fit fabriquer un coffret de thuya garni de solides ferrures en cuivre. Le manuscrit même fut relié dans un portefeuille de cuir couleur lilas. Elle put en offrir la contemplation au monde qu’elle recevait en ses salons et lors de ses tournées. C’est le 6 juillet 1892 que cette grande interprète décida de faire don de son trésor à la Bibliothèque du Conservatoire. Chaque page du manuscrit porte l’estampille rouge de cette bibliothèque, rattachée en 1895 à la Bibliothèque Nationale. Le manuscrit y est depuis déposé sous la référence Ms.1548. Il est de temps à autre tiré de son sommeil par les spécialistes désireux d’établir les éditions les plus fidèles. L’histoire ne dit pas si le coffret est ouvert aux pèlerins anonymes désireux de toucher une sainte relique, tel Rossini tombant à genoux devant l’objet et rendant les armes devant le génie de Mozart.

Le livre que présentent les éditions TEXTUEL a été mentionné dans nombre de publications comme une bonne idée de cadeau de Noël. Nous comptions pour notre part faire de même, et inciter nos lecteurs à inscrire cet ouvrage sur leur liste de cadeaux.

Nous nous sommes ravisé. Tout simplement parce qu’il nous a paru sacrilège, ou, pour le dire moins pompeusement, carrément ignoble, de ranger cet ouvrage parmi le tout-venant de la grande foire annuelle, entre le dernier Bernard Werber et le Babyliss dépilatoire pour maillot récalcitrant - et que dire de l’affolante mode des écrans plats, dont un chauffeur de taxi niçois me disait encore récemment qu’ils permettaient de « ne rien rater des feintes de pied de Ronaldinho » ?

Bref, l’immersion de cet ouvrage parmi la masse fétide des biens de consommation immédiate nous répugna.

Car c’est littéralement dans l’attitude précante de celui que visite l’Esprit que nous avons lu ce manuscrit, dans cet écrasement qui frappe le pèlerin lorsqu’il aperçoit la flèche de Chartres.

Nous ne redoutions pas peu, avouons-le, les notices explicatives de Madame Catherine Massip, et de Messieurs Gilles Cantagrel et Emmanuel Reibel. C’est que nous craignons les universitaires, et dona ferentes. Mais par bonheur, ces trois auteurs, esprits fins et de haute culture s’il en est, ont absolument respecté la haute dignité de leur objet. Leurs contributions sont historiquement intéressantes, et d’une pertinence sans arrogance. Surtout, elles pointent dans le manuscrit des traits saillants, des points névralgiques qui aiguisent la lecture du pauvre profane.

Le manuscrit lui-même ?

Avant toute religiosité empressée, mesurons le travail de l’artisan-artiste. Au non-initié à peine capable de tracer une clef de sol, le spectacle des partitions manuscrites offre toujours maint prétexte d’émerveillement. Mais dans ce cas précis, comment n’être pas frappé par la netteté même de l’écriture, sa nervosité extrême, témoin l’économie d’écriture de l’ouverture même, composée, selon la légende, dans la nuit précédant la première ? Partout cette graphie appuyée, projetée vers l’avant – notamment dans des récitatifs paraissant comme jetés à la diable, mais aussi dans la scène du banquet, où l’écriture fouette les sangs.

Certes, ne le nions pas : il y a quelque fétichisme dans le culte des manuscrits, et dans ce cas précis, il y a sans doute quelque idolâtrie. N’importe ! C’est à la loupe parfois qu’on se surprend à déchiffrer l’écriture de Mozart. C’est avec une fièvre sans pareille que l’on parcourt les pages parfois chargées, parfois étonnamment allégées de signes. C’est avec une émotion véritable que l’on capte le chef-d’œuvre dans son immédiateté la plus absolue : entre le moment où l’esprit le conçoit et où la main le consigne. L’on croit – et l’on sait que c’est une illusion digne de Monsieur Prudhomme – entrer dans les secrets de la création, dans l’atelier du génie. En même temps se conçoit la ténuité radicale de ce génie même, tout ce qu’il a d’insaisissable – et partant de désespérant.

En ce sens, le présent ouvrage ne sera objet que d’adoration et de contemplation, ne livrant aucun secret, ne trahissant aucun des mystères de la conception du chef-d’œuvre. Et pour cela même, il sera de ces rares témoignages dans lesquels on se confronte, yeux dans les yeux, avec une profondeur qui nous dépasse, et nous écrase, parce qu’elle est simple grandeur.



Sylvain Fort


Don Giovanni de Mozart, Le Manuscrit. Sous la direction de Gilles Cantagrel, Présenté et commenté par Catherine Massip et Emmanuel Reibel. Editions Textuel. 128 pages, 330x240mm. 50 Euros.

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