A l’été 1824, Rossini, à peine arrivé à Paris, est nommé directeur artistique du Théâtre-Italien. Il y monte ses opéras mais n’entreprend rien de nouveau. Louis XVIII meurt peu après et son frère, le nouveau roi Charles X, manifeste rapidement, au contraire du défunt, son souhait d’organiser un couronnement digne de l’idée qu’il se fait de lui-même. Comme on l’a vu, il demande à Cherubini de composer la messe de son sacre.

De son côté, Rossini reçoit la commande d’une œuvre lyrique, une « cantate scénique » destinée à célébrer l’événement. Le livret de Luigi Balocchi imagine alors une riche troupe cosmopolite qui se retrouve coincée dans une auberge alors qu’elle se rend justement au sacre. S’ensuivent des séries d’airs, et d’ensembles tous plus virevoltants, cocasses et imaginatifs les uns que les autres, qui ont pour but ou pour effet selon l’humeur de faire passer le temps, jusqu’à l’hymne solennel tiré du chant à la gloire du bon roi Henri, qui laisse la place à un finale de circonstance. Mais personne n’arrivera jamais à Reims ! Et Rossini s’amusera à raconter qu’il a écrit tout ça entre… deux plats de tagliatelles.

Le sacre y a pourtant bien lieu le 29 mai et c’est trois semaines après que cet objet lyrique non identifié que constitue le « Voyage à Reims », cet « opéra sur rien » comme le nomme Jean-Michel Brèque dans le numéro de l’Avant-Scène opéra qui lui est consacré, est créé voici deux siècles avec des interprètes du Théâtre-Italien connus pour leur grande virtuosité, ce qui rend d’emblée l’oeuvre assez difficile à distribuer avec sa douzaine de rôles. Jugez plutôt : la Pasta, qui interprète deux rôles (Mme Cortese et la poétesse Corinna!), Manuel Garcia, père de la Malibran et de Pauline Viardot ; le fameux Tamburini, cher à Monsieur Choufleuri ; Giovanni David ; Donzelli ; Lablache…

La cantate remporte un succès écrasant. Mais Rossini doit considérer que la flatterie royale a ses limites et retire lui-même l’œuvre presqu’immédiatement. Il réutilisera, comme à son habitude, de nombreux numéros de sa partition dans son « Comte Ory » 3 ans plus tard. Et on oubliera la « cantate scénique » pendant de longues décennies, tant est si bien qu’on l’a cru perdu.
Au début des années 1980, les musicologues Janet Johnson et Philipp Gossett reconstituent l’œuvre grâce à des fragments retrouvés un peu partout en Europe et l’œuvre ressuscite triomphalement au festival de Pesaro sous la baguette de Claudio Abbado avec une pléiade de stars et dans une mise en scène de Luca Ronconi en 1984. Abbado reprendra cette production maintes fois, dont ici à Vienne 4 ans plus tard, avec une distribution un peu différente, mais pas moins prestigieuse. Voici le fameux finale, introduit par le doux air de Corinne –rôle tenu par la Pasta lors de la création et ici par Cecilia Gasdia- jusqu’à l’hymne conclusif.