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19 octobre 1845 : De Venusberg à Tannhäuser

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19 octobre 2025
Le chef d’oeuvre de Wagner célèbre ses 180 ans

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En ce début d’année 1842, Wagner et Minna s’apprêtent à quitter Paris, où il résident rue Jacob après avoir habité une petite maison à Meudon. Le couple continue de tirer le diable par la queue et le jeune compositeur (il n’a pas encore 29 ans) s’escrime à arranger des opéras pour l’éditeur Schlesinger. C’est en lisant une Histoire des Hohenstaufen de Friedrich von Raümer, que ce féru d’histoire allemande et de mythologie germanique tombe sur une légende populaire ou plutôt deux, puisqu’il se passionne d’abord pour Frédéric II de Hohenstaufen et projette une Sarrasine dont le cadre aurait eu lieu dans le sud de l’Italie et en Sicile, où se trouve aujourd’hui le tombeau de Frédéric II. Mais il abandonne cette idée pour l’autre légende et c’est lui qui la raconte dans son autobiographie « Ma vie » ici traduite par Martial Hulot : « Je fus très vivement séduit (…) par un thème qu’un livre populaire sur le Venusberg, tombé par hasard entre mes mains, m’avait fait connaître. J’eus soudain la révélation de ce qu’était l’esprit allemand, avec cette légende racontée en toute simplicité à partir du vieux chant familier de Tannhäuser (…). Je sentais qu’ici le vieux thème n’était parvenu au poète que très déformé ; je cherchais donc à retrouver la forme authentique de cette belle légende ». Wagner complète cette découverte avec celle des récits des joutes entre troubadours, ces fameux concours de chant, dans l’Allemagne de l’époque, qui lui ouvrent, comme il l’écrit lui-même « un monde entièrement nouveau », qu’il n’est pas le premier à explorer puisque les poètes romantiques allemands comme Heine (Der Tannhäuser) ou Novalis (Heinrich von Ofterdinger, qui était l’un des chanteurs de ce que l’on appellera la guerre des chanteurs de la Wartburg), comme le rappelle Lucie Kayas dans ses commentaires sur la genèse du futur opéra de Wagner. Ce dernier cite d’ailleurs lui-même E.T.A. Hoffmann et Ludwig Tieck, qui ont également puisé dans ces différentes sources.

Ludwig Tieck, l’un des inspirateurs de Wagner (parmi de nombreux autres)

Sans chercher à écrire une sorte de fresque décrivant tous les éléments constitutifs de ce monde nouveau, Wagner va donner à travers la nouvelle oeuvre qu’il s’apprête à écrire un coup de projecteur sur des caractéristiques de tous ces récits qui lui paraissent symptomatiques de l’esprit allemand, comme il l’appelle, ou de l’art allemand comme il le proclamera plus tard, dans ses Maîtres Chanteurs. Ainsi, il se concentre déjà sur un concours de chant au sein de la cour du Landgrave de Thüringe, emprunte la romance de l’étoile à l’oeuvre d’Hoffmann, Les contes des Frères Sérapion, dans lesquels cette joute de chanteurs est évoquée et où l’étoile est le symbole du bonheur et de la destinée. Il reprend le pèlerinage à Rome à Tieck et notamment son récit Le fidèle Eckhart et le Tannhäuser. Il se concentre aussi sur certains des grands personnages de ces concours de chant et en particulier sur deux d’entre eux : Heinrich von Ofterdingen, tout comme Novalis l’avait fait, et dont certains voient la source de l’inspiration du personnage de Tannhäuser ; ainsi que Wolfram von Eschenbach, dont il conserve le nom dans le livret qu’il commence à écrire lui-même, comme il l’avait fait pour ses précédents opéras. Enfin, Wagner convoque un autre géant de la littérature, Goethe, qui avait inséré dans son Faust plusieurs personnages de la mythologie grecque et romaine et que Wagner va reprendre, en particulier avec Venus.

Tannhäuser et Vénus

Fort de toutes ces références et avec son habituelle ébullition, Wagner se lance dans la rédaction de son livret et compose la partition parallèlement. Le tout est achevé au début de 1845 et aurait pu s’appeler Le Venusberg, nom que Wagner avait d’abord donné au livret, avant de conserver celui de Tannhäuser dès l’été 1843.

À ce moment là, Wagner a trouvé un refuge à Dresde, qui l’a embauché pour diriger l’orchestre de l’opéra. C’est donc assez naturellement que son Tannhäuser y est créé voici 180 ans. Comme à son habitude -elle ne fera que croître- le compositeur se montre intraitable sur tout, et en particulier sur les chanteurs, qui ne sont pas ménagés malgré un solide métier. La première est un échec qui laisse le public, qui s’attendait peut-être ) un grand opéra historique après Rienzi,  dérouté. Déçu et déstabilisé, Wagner va passer de longues années à retoucher sa partition, les modifications majeures intervenant à l’occasion de la création de l’opéra à Paris en 1861.

Toute sa vie, Wagner réfléchira à son oeuvre, jusqu’à la fin. Dans son journal, Cosima Wagner écrira quelques jours avant la mort soudaine de son mari : « Il dit qu’il n’a pas encore donné au monde le Tannhäuser qu’il lui doit ». Ça n’en est pas moins une partition fondatrice qui annonce tous les autres chefs d’oeuvre, davantage encore que Le Vaisseau fantôme qui en posait déjà les bases, Rienzi restant un peu à part.

Dans les joyaux de cette oeuvre ambitieuse, la Romance de l’Etoile, qui n’est pourtant pas dévolue au rôle-titre, brille au firmament. Et en cette année du centenaire de Dietrich Fischer-Dieskau, nous ne pouvions pas occulter celle qu’il chanta à Bayreuth en 1954 sous la baguette de Joseph Keilberth lors de soirées mémorables. Romance qui dit en substance ceci :

« Prémonition funèbre, le crépuscule couvre la lande,

enveloppant le val de sa cape de cendre,

et l’âme qui voudrait s’élancer vers les cieux
tremble d’ouvrir les ailes en cette nuit lugubre.
Mais tu parais alors, ô toi la plus charmante des étoiles,
tu nous envoies, de loin, le réconfort de ta lumière,
ton cher rayon perce le crépuscule et ses ténèbres
et tu nous montres, amie, où sortir du vallon.
Ô douce étoile du berger,
toi que j’aimais saluer,
du fond d’un coeur qu’elle n’a pas trahi,
salue, si elle passe près de toi,
celle qui va quitter les terres de ce val
pour devenir au ciel un ange bienheureux. »

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