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24 avril 1874 : Tchaïkovski n’a pas envie.

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29 avril 2024
Il y a 150 ans, Tchaïkovski présentait son deuxième opéra achevé.

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À la toute fin de sa vie, la dramaturge Ivan Lajetchnikov présente une pièce, L’Opritchnik, créée en 1867, deux ans avant sa mort. Montée au théâtre pendant quelques années, il est probable que Tchaïkovski ait assisté à une représentation avant 1870. En tout cas, il se lance dans une adaptation lyrique dès le début de 1870, et en réalise lui-même le livret.

Le dramaturge Ivan Lajetchnikov

Mais d’emblée, le compositeur n’est pas à l’aise avec le sujet qu’il a pourtant choisi et dont il explique à son frère Anatole que c’est peut-être un bon thème, mais qu’il ne lui parle pas. Le voilà qui tourne, vire, hésite, compose d’autres partitions, mais ne se remet à son opéra que dans la seconde moitié de 1871. « Je me suis consacré de toute mon âme à la composition de L’Opritchnik », écrit-il à Balakirev. Mais la partition n’est achevée qu’au printemps suivant.

Qu’est-ce donc qu’un opritchnik ? C’est le membre d’une organisation créée par le tsar Ivan IV le Terrible pour effectuer de basses œuvres, sur un territoire qu’ils devaient régenter. Mélange de policiers politiques et de tueurs, ils étaient vêtus tels des moines orthodoxes et sillonnaient les campagnes à cheval ou à pied selon leur appartenance sociale, mais armés et tous avec le même symbole : une tête de chien (pour égorger les traîtres) et un balai pour nettoyer les lieux considérés comme subversifs et se débarrasser de quiconque ne leur revenait pas, boyard ou paysan.

L’argument tiré de la pièce de Lajetchnikov met en scène la jeune Natalia (soprano), fille du prince Jemtchoujny (basse). Ce dernier accepte de la donner pour épouse au très vieux, mais très riche, Moltchan Mitkov (basse). La jeune femme, à qui on ne demande pas son avis, s’en désespère. Son véritable amoureux, André Morozov (ténor), surgit alors avec quelques compagnons, dont Basmanov, jeune opritchnik, (rôle travesti confié à un contralto). Ce dernier lui vante la vie de ces derniers, faite de coups et de plaisirs. André aspire à les rejoindre, avant tout pour se venger du prince qui cherche à la priver de Natalia mais qui a surtout autrefois ruiné sa famille et provoqué la mort de son père. Natalia, seule, chante tristement son amour pour André avant d’être rejointe par sa nourrice et quelques dames de compagnie qui essaient de la dérider.

Wilhelmina Raab, première Natalia

André sollicite la bénédiction de sa mère, la Morozova (mezzo-soprano), vieille femme qui pourrait être une sorte de pendant de Pimène ou que l’on pourrait comparer à Marfa de la Khovantchtchina. Pieuse et digne, elle se méfie des fréquentations de son fils et de cet opritchnik Basmanov, qui lui semble un mauvais homme. André s’emploie à la rassurer en lui mentant mais elle devine que son fils va devenir lui aussi un opritchnik.

Ces derniers ripaillent et prient tout en même temps dans le tableau suivant. Leur chef, le prince Viazminski (baryton) leur fait rendre grâce au tsar Ivan. Basmanov vient plaider devant lui la cause d’André, pour qu’il intègre le groupe. Viazminski accepte, mais tait qu’il haïssait lui-même le père d’André. Il compte ainsi surveiller ce dernier de l’intérieur et André ignore quel ennemi mortel il s’apprête à rejoindre. Le jeune homme entre et doit prêter serment. Il faiblit à chaque intervention du chœur, défaille même, mais se ressaisit avec l’aide de Basmanov. Puis Viazminski l’enjoint de renier son père, ce qu’André refuse au nom du repos des morts. Alors, le prince lui ordonne de renier sa mère. Dans son dos, tel un Méphisto, Basmanov prononce l’affreux serment et tous se réjouissent de l’entrée de leur nouveau camarade, sonné.

Alexandra Kroutikova, première Morozova

A Moscou, où le peuple se lamente de son sort et se sent abandonné par son tsar, la Morozova se rend à l’église pour prier. Des enfants des rues la harcèlent en la traitant de vile mère d’opritchnik, avant d’être chassés par des passants. La vieille femme n’a pas le temps de s’interroger : Natalia se précipite vers elle, la suppliant de la délivrer de son père, qui arrive avec ses hommes. Natalia le supplie de la laisser épouser André et menace même de renier son père. Face au prince, furieux, la Morozova intervient avec une grande force pour tâcher de lui montrer l’évidence, mais le père de Natalia ne veut rien entendre. Les opritchniks arrivent, André parmi eux. Ils veulent s’en prendre à Jemtchoujny, terrifié.  André a beau expliquer à sa mère qu’il veut d’abord venger son père, les opritchniks lui rappellent qu’il la reniée. Alors la vieille maudit son propre fils. Au milieu d’une grande confusion, Basmanov recommande d’aller devant le Tsar pour qu’il puisse lui-même donner l’autorisation du mariage.

C’est bien ce qui se passe puisque le dernier acte s’ouvre sur la fête nuptiale  d’André et de Natalia. Les opritchniks dansent avec les femmes. André lève son verre à la santé du tsar, qui l’a levé de son serment fait au groupe. Basmanov lui rappelle qu’il reste opritchnik jusqu’à minuit. Natalia, inquiète, a un pressentiment. Survient Viazminski, qui annonce que le tsar ayant entendu parler de Natalia et sa beauté, souhaite la rencontrer. Évidemment, seule à seul. Tous comprennent ce que cela veut dire. On emmène Natalia, évanouie. André maudit alors les opritchniks et le tsar lui-même. Tant d’audace permet à l’infâme Basmanov de prononcer son arrêt de mort. « Raffinement » suprême, Viazminski fait amener la vieille Morozova pour qu’elle assiste à l’exécution, et, sitôt la tête de son fils tombée, elle s’effondre, morte à son tour.

Ivan Melnikov, créateur du Boris de 1874 mais aussi du prince Viazminski quelques semaines plus tard

Inégale, la partition reprend des thèmes d’un précédent opéra de Tchaïkovski, Le Voïevode. Il contient des pages d’une grande force que d’aucuns comparent à Boris Godounov, récrit par Moussorgski à peu près au même moment, mais d’autres très banales ou sans effet dramatique. Tchaïkovski lui-même s’en plaindra après la création, voici 150 ans au Théâtre Mariinski : « Il n’y a pas de mouvement, pas de style, pas d’inspiration ! ». Le redoutable César Cui (dont on ne sait plus très bien quelle œuvre a pu trouver grâce à ses yeux, à part les siennes, bien oubliées), descend en flammes une partition « terne et monotone ». L’opéra rencontre pourtant un certain succès et Tchaïkovski pensera souvent le remanier, sans le faire, et s’employant même à le dévaloriser, bien des années plus tard. À l’éditeur Bessel, qui veut siffuser la partition d’orchestre en 1891, le compositeur écrit rageusement : « Imprimer une partition d’opéra n’a de sens que lorsque cet opéra est joué sur plusieurs scènes et que l’on peut supposer que la partition sera demandée. L’Opritchnik n’est joué nulle part, et tant que je serai vivant, il ne le sera jamais en Russie sous sa forme actuelle. Du moins m’y opposerai-je par tous les moyens. Quant à publier un opéra qui n’est pas joué, dont la musique est faible et l’instrumentation parfaitement détestable, cela est pour le moins irrationnel. Vous n’ignorez pas que j’ai l’intention, dans un avenir plus ou moins proche, de remanier radicalement cet opéra ». Il n’en sera jamais rien et la partition de Tchaïkovski reste presque totalement méconnue, à part peut-être la Danse des Opritchniks de l’acte IV.

Voici l’air de Natalia, au premier acte, par Kristina Opolais à l’opéra national de Lettonie.

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