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Marie-Nicole Lemieux : « Je n’imagine pas un metteur en scène montant une Carmen ayant mon physique »

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Interview
26 janvier 2017
Marie-Nicole Lemieux : « Je n’imagine pas un metteur en scène montant une Carmen ayant mon physique »

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Dès ses débuts, dans Orlando Furioso, sa voix lumineuse et vibrante a capté l’attention. Fin 2004, elle nous accorde une interview à Bruxelles. Puis, invitée par Mehdi Madhavi, elle enregistre deux longs podcasts ponctués d’éclats de rire. En 2014, entretien avec Laurent Bury. Parcours, répertoire, typologie vocale ont été analysés et décortiqués. On trouve sur notre moteur de recherche pas moins de 45 brèves et critiques de spectacles la concernant. C’est entre deux Bertarido de Rodelinda et un troisième le surlendemain à Paris, que nous avons rencontré Marie-Nicole Lemieux. En cette période cruciale pour une artiste ­— celle où proche du sommet de son art, il lui reste beaucoup de temps devant elle — nous avons voulu nous concentrer sur ses sensations, ses motivations, ses désirs.

Nous sommes confortablement installées côte-à-côte dans un grand canapé. À ma première question en guise d’entrée en matière : Aujourd’hui, comment vous sentez-vous ? Marie-Nicole Lemieux répond en riant : « Aujourd’hui ça va ! » Y a-t-il  des jours où ça ne va pas ? « Évidemment ! Ce serait ennuyeux si ça allait toujours bien. Ça fait partie de la vie. 2017 est une année de prises de rôles, alors il y a des tournants d’angoisse. Il n’existe pas d’artiste qui ne soit pas stressé, même sur les choses déjà faites. Quand on aborde un nouveau rôle, il y a une fierté et toujours une petite inquiétude. Aujourd’hui, je dirais : Ça va bien. » Mais ces interviews qu’on vous demande partout, c’est quoi pour vous : un devoir, une corvée, un plaisir ? « Ça dépend de l’interviewer… » Elle rit malicieusement en me regardant de biais, mais répond sur un ton sérieux : « Pour moi, c’est un devoir. Ça fait partie du métier. Qu’on s’intéresse à moi … c’est un privilège, pas donné à tout le monde. Je ne vais pas m’en plaindre, même si certaines questions reviennent souvent. Je me rappelle un jour avec une journaliste québécoise, d’origine française, avec qui j’étais en confiance, j’avais vraiment le moral dans les talons… Et bien une fois sortie, c’est elle qui m’avait fait du bien !  Donc on ne sait jamais. Voilà. Moi j’aime les questions qui font réfléchir. »

Au cours de l’un de nos podcasts où votre « univers sonore » avait été longuement évoqué, vous avez dit vouloir apporter une « touche Marie-Nicole Lemieux ». « Une touche Marie-Nicole Lemieux…? Ah, oui, oui, je me souviens, il s’agissait des enregistrements et des récitals. À l’opéra, il y a des modes, on doit être l’instrument du metteur en scène ou du chef —  idéalement des deux ! Mais, au concert et au disque, là ça part du chanteur. Ce que j’appelais la “touche Marie-Nicole Lemieux“, c’est comment je vois la chose, comment je ressens cette musique-là. En 2015, j’ai fait une tournée de mélodies françaises en Europe avec le pianiste Roger Vignoles. On est allé à Vienne, à Amsterdam, à Stuttgart ; un jour, en Espagne, tout à coup, j’ai éclaté de rire sur scène... » Cette touche, ne la trouve-on pas aussi dans votre rire ? « Peut-être. Au Québec, je fais beaucoup de radio. Souvent quand je ris dans une boutique, les gens se retournent et me font “  Ah ! Vous êtes la chanteuse qu’on a entendue… ! “ Ils reconnaissent mon rire ; c’est drôle » .

À propos des langues que vous préférez chanter, normal que le français passe en premier, mais que l’italien vienne après l’allemand et le russe, c’est surprenant « J’ai dit ça il y a longtemps. Depuis j’ai fait des progrès et l’italien a repris du galon, surtout grâce au prochain disque qui sortira bientôt (NDLR : des airs de Rossini). Le plus important c’est la liberté de la voyelle qui permettra de faire entendre la consonne. Bien chanter l’italien est très difficile ; même les chanteurs italiens ont du mal à se faire comprendre. Je suis très exigeante. Il ne faut pas que ce soit du caramel mou inaudible. On doit prononcer les doubles consonnes, placer correctement l’accent tonique tout en gardant le legato. L’allemand c’est gainé ; j’aime surtout à cause des consonnes. Pour l’instant je n’ai chanté que Wesendonck Lieder. Dans trois ans je serai sans doute prête à chanter Brangäne ou à commencer par Waltraute, plus court. Ce que je voudrais si on ne me propose pas tout le rôle – comme il est fort probable – c’est au moins chanter un jour La mort d’Isolde. Pour le russe quand j’ai fait les mélodies de Rachmaninov, j’ai eu un bon coach pour apprendre la prononciation. J’ai adoré les sonorités de cette langue ».

Et, travailler avec un compositeur vivant ? « Oui bien-sûr, je l’ai fait, par exemple avec Penderecki quand il est venu diriger son Credo à Toronto. Il m’aimait bien ; il disait que je comprenais la musique. J’ai quelques projets de création, mais c’est tellement compliqué de les monter. Chanter Dusapin ou Fénelon j’adorerais ! »

Venons-en à votre prise rôle de Carmen. Orchestre et Chœur de Radio France sous la baguette de Simone Young, Maîtrise dirigée par Sofi Jeannin, un Don José inattendu, le fougeux Michaël Spyres… Coup d’éclat ou tremplin vers d’autres engagements ? « Franchement, je prends ce concert comme une occasion unique. Je n’imagine pas qu’aujourd’hui, un metteur en scène veuille monter une Carmen ayant mon physique. Alors je le prends comme une espèce de cadeau que me font le Théâtre des Champs-Élysées et l’Orchestre de Radio France. Je n’ai jamais, jamais, chanté ce rôle. Vocalement, je sais pouvoir l’assurer. Musicalement, c’est sublimissime. Comme j’ai dit, pour moi c’est toujours la crainte d’être un “cliché sur deux pattes“. J’ai une espèce de pudeur à parler de ce rôle énorme, fait et refait. Je suis certaine qu’il y aura plein de gens qui ne seront pas d’accord avec ce que je vais faire, et aussi plein d’autres qui seront d’accord. Je vais donc essayer d’être fidèle à ce que moi je ressens. Et puis on verra, on verra… » Immense éclat de rire.

Parlons un peu de ce CD Rossini qui va sortir le 3 mars. « C’était enregistré en public. Le programme était divisé en deux concerts, avec auparavant une générale. Après il y a eu très peu de retouches. Ce que voulait le directeur artistique c’était la Marie-Nicole en live. Ça m’a demandé un grand effort de concentration avec toutes ces vocalises précises… Quand le public est là, je prends des risques pour lui raconter quelque-chose et que ce soit vivant. Sans me vanter, je suis “une bête de scène“, ça demande de l’humilité et de la confiance. J’ai donné tout ce que je pouvais. Un disque fait toujours évoluer, mais de celui-là, je suis fière. Je sais qu’avec le belcanto et avec Rossini, il y a toujours des discussions : “Ça se chante comme ci. Non, comme ça !“. C’est ma version. J’ai essayé d’être généreuse avec ma voix et généreuse dans l’émotion. J’espère avoir rendu hommage à Rossini en chantant Rosine pour la première fois. J’espère aussi à travers ces airs magnifiques avoir été capable de transmettre le soleil que Rossini apporte dans la joie comme dans la douleur. La beauté du chant, c’est le phrasé, la conscience d’aller d’un point à un autre. Wagner c’est un roc, mais on ne peut pas chanter la musique fragile de Berlioz sans savoir où on va sinon ça tombe. Tous les chanteurs devraient écouter les grands violonistes. Le chant, c’est de l’air en mouvement. C’est du boulot. Le belcanto ça prend du temps. »

Votre rôle préféré, c’est quoi ? « Dalila — Voilà vraiment un rôle pour moi ! Subtil, grave, opulent… écrit pour contralto lyrique. J’adore, j’adore, j’adore… Peut-être après Carmen, je dirai la même chose. » Elle ajoute sur un ton plus grave : « Pour le moment, j’attends, je le prends comme un cadeau. On verra ».

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