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ROSSINI, Mosè in Egitto — Pesaro

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Spectacle
20 août 2011
Celui par qui le scandale arrive

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3

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Détails

Gioachino ROSSINI (1792-1868) Mosè in Egitto Azione tragico-sacra en trois actes créé au Teatro San Carlo de Naples, le 5 mars 1818 Livret d’Andrea Leone Tottola Mise en scène, Graham Vick Décors et costumes, Stuart Nunn Lumières, Giuseppe Di Iorio Pharaon, Alex Esposito Amaltea, Olga Senderskaya Osiride, Dmitry Korchak Elcia, Sonia Ganassi Mambre, Enea Scala Mosè, Riccardo Zanellato Aronne, Yijie Shi Amenofi, Chiara Amarù Orchestre et Chœur du Teatro Comunale di Bologna Chef de chœur, Lorenzo Fratini Direction, Daniele Abbado Pesaro, Adriatic Arena, le 20 août 2011

Un parfum de scandale entourait cette nouvelle production de Mosè in Egitto (voir la brève du 16 août dernier). De fait, le spectacle a été accueilli par une bordée de huées, pourtant vite couverte par les applaudissements. Un tel tapage était-il mérité ?

L’action est transposée de nos jours, dans le palais en ruine d’un émirat quelconque : les Juifs sont hommes à tout faire ou femmes de ménage (en blouse de travail), esclaves modernes des souverains locaux. Le dispositif scénique est plutôt astucieux, escaliers et passerelles composant un paysage post apocalyptique, avec en haut les appartements des seigneurs des lieux, ravagés mais laissant encore deviner leur luxe tapageur et en sous-sol le royaume des opprimés. On reprochera seulement à ce décor son éclatement sur toute la largeur de la salle : pour peu que l’on soit situé un peu de côté dans la salle, les protagonistes situés à l’extrême opposé de la scène deviennent vite inaudibles.

On apprécie également le soin porté par le metteur en scène aux jeux d’acteurs. Les duos du fils du pharaon, Osiride, avec son amante juive, Elcia, sont à ce titre particulièrement poignants, les corps se touchent, se tordent, se fuient, se retrouvent… illustrant avec bonheur leur amour contrarié. A l’inverse, l’agitation permanente entretenue sur scène et dans la salle – figurants ensanglantés errant dans les rangs au début du premier acte ou miliciens en treillis menaçant le public avec des mitraillettes au troisième acte – parasite l’attention et finit par agacer. Mais le scandale provient de la vision que donne Graham Vick de Moïse, ersatz de Ben Laden, enturbanné, éructant sans cesse contre les Egyptiens : il transforme ses interventions en autant de vidéos de propagande filmées camera au poing par son frère Aron. Les Juifs sont en conséquence un peuple qui résiste par le terrorisme : la pluie de grêle et de feu se mue ici en attaque de bombes humaines. Enfin, au final, la Mer Rouge ne se referme plus sur les Égyptiens, mais l’armée du pharaon est décimée par un char de Tsahal…

L’idée d’un Moïse vengeur, même si elle transgresse quelque peu le récit biblique, colle plutôt bien au personnage un peu monolithique du livret, et le propos sur la violence pourrait intéresser. Pourtant, en dotant le patriarche juif des attributs qui l’assimilent à un taliban, Graham Vick attise des blessures et des rancœurs qui dépassent de loin le cadre d’un spectacle d’opéra : ce rapprochement ne pouvait qu’être accueilli par force scandale et révulser certains spectateurs. L’approche volontairement provocatrice du metteur en scène a surtout comme défaut d’occulter la réussite éclatante musicale et vocale du spectacle.

Il faut dire que le sujet biblique semble avoir particulièrement inspiré le maître de Pesaro. En l’absence d’ouverture, nous sommes immédiatement dans le drame : après quelques accords menaçants, un grand choral réunissant chœur et solistes rend instantanément palpable l’angoisse des Egyptiens privés de lumière par la malédiction de Dieu. Rarement mélodie rossinienne aura aussi bien dessiné une atmosphère. De même, le troisième acte, très court, se concentre autour de la majestueuse prière de Moïse, reprise par les différents personnages, et se clôt sur un final atypique, purement instrumental, évoquant l’engloutissement de l’armée du pharaon dans la Mer Rouge, puis le retour au calme des flots. La partition est défendue avec fougue par Daniele Abbado, à la tête des forces du Teatro Comunale di Bologna : en osmose avec les chanteurs, il maintient la tension dramatique tout au long de l’œuvre.

Aucune fausse note n’est à déplorer dans la distribution, de haut vol jusqu’au plus petit rôle. Ainsi, en Amenofi, le jeune soprano italien Chiara Amarù marque par sa voix pleine et admirablement projetée, tandis que le troisième ténor, Enea Scala (Mambre), parvient à ne pas blêmir face à ses confrères, pourtant exemplaires. Dmitry Korchak, en particulier, fait forte impression en Osiride, fils du pharaon. Lui qui avait démontré ses affinités rossiniennes avec un Rodrigo d’Otello de belle tenue au Théâtre des Champs Elysées (cf. le compte-rendu de Placido Carrerotti) semble avoir encore progressé. La voix est puissante, d’un velouté séduisant. Si l’on sent parfois un raidissement dans l’extrême aigu, il n’en assume pas moins crânement l’écriture virtuose du rôle. Yijie Shi, lui, semble presque sous distribué en Aron : le timbre est moins caressant que celui du ténor russe, mais la projection est surprenante, le faisant ressortir dans les ensembles.  

Alex Esposito (Pharaon), n’est pas en reste : basse plutôt claire à la vocalisation mordante, il met en relief par son chant expressif et son engagement scénique les contradictions du souverain d’Egypte, à la fois combattif et velléitaire. Dommage que la coupure de son unique air réduise la participation de son épouse (Olga Senderskaya) à la portion congrue. Car ses quelques interventions laissent entendre une voix prometteuse, d’une belle rondeur et d’une agilité certaine.

Encore plus incompréhensible dans la Mecque du chant rossinien est la suppression de l’air du rôle titre au deuxième acte, « Tu di ceppi m’aggravi la mano ? » ». Certes, le Moïse de Riccardo Zanellato est peut être l’élément le moins enthousiasmant de la distribution, la faute à un timbre plutôt charbonneux. Pourtant l’autorité qu’il insuffle à sa prière du troisième acte emporte finalement l’adhésion.

 

Reste l’héroïne de la soirée, Sonia Ganassi en Elcia, jeune juive déchirée entre sa patrie et son amour secret pour le fils du pharaon. Dans ce rôle créé par la Colbran elle semble d’abord un peu en retrait, séduisant davantage par la sensibilité de son chant que par son arrogance vocale. Le personnage, dessiné avec délicatesse dans son duo avec Osiride puis dans le final du premier acte (duo avec Amenofi), n’en paraît que plus vulnérable et émouvant. Mais ce serait oublier la bête de scène qu’est la mezzo italienne : sa scena du second acte est un véritable feu d’artifice. On en reste pantelant.

  Quelque discutable que puisse être le parti pris scénique, nous tenons bien là le meilleur spectacle de l’édition 2011 du Festival Rossini.

 

 

 

 

 

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