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Serge Prokofiev (1891-1953)

L'AMOUR DES TROIS ORANGES

Opéra en quatre actes et dix tableaux avec un prologue
Livret du compositeur et de Vera Janacopoulos d’après Carlo Gozzi

Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors & costumes : William Orlandi
Lumières : Joël Hourbeigt
Chorégraphie : Marta Ferri

Philippe Rouillon : le Roi de Trèfle
Charles Workman : le Prince
Hannah Esther Minutillo : la Princesse Clarice
Guillaume Antoine : Léandre
Barry Banks : Truffaldino
Jean-Luc Ballestra : Pantalon
José van Dam : Tchélio
Béatrice Uria-Monzon : Fata Morgana
Letitia Singleton : Linette
Natacha Constantin : Nicolette
Aleksandra Zamojska : Ninette
Victor von Halem : la Cuisinière
Jean-Sébastien Bou : Farfarello
Lucia Cirillo : Sméraldine
Nicolas Marie : le Maître de cérémonies
David Bizic : le Héraut

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris
Direction musicale : Sylvain Cambreling

Enregistré à l’Opéra National de Paris-Bastille en décembre 2005

Bonus documentaire :
« Comment tomber amoureux de trois oranges »

DVD TDK, 116 minutes




Un jus pas tout à fait pressé…


Presque en même temps que l’excellente version russe Sokhiev/Calvario, voici donc l’édition DVD des représentations de la version française Bastille 2005, la comparaison ayant des vertus pédagogiques certaines pour convaincre de la meilleure adéquation musique-texte en russe. Mais une fois posée cette évidence, on peut faire la balance positif-négatif de l’entreprise, et se reporter à l’excellente chronique de Placido Carrerotti écrite dans la foulée des représentations parisiennes.

Gilbert Deflo place sans surprises ses personnages dans un univers de cirque et leur demande un investissement scénique que tous endossent avec inégalité. A l’agilité du Prince ou de Truffaldino répond la passivité relative de Tchélio et la statique forcée de la Cuisinière, mais globalement, cela fonctionne plutôt bien. On apprécie notamment les interventions des chœurs masculins alignés en spectateurs devant la scène, et le prologue est une réussite. Les images scéniques sont belles, poétiques, costumes et couleurs sont une fête, mais on relève de ci de là des baisses de tension ou des enchaînements poussifs que le DVD aurait pu compenser. La réalisation de Thomas Grimm a pourtant l’avantage de bien suivre les détails de l’action scénique, sans abus de gros plans.

Sur cet univers comedia dell’arte somme toute conforme aux intentions de Prokofiev, mais justement un peu trop conforme, on rêve de plaquer les délires et l’humour déjanté de la version Calvario : ce serait parfait. Il faut rire et ne pas seulement rêver dans Les Trois Oranges, c’en est le sujet même ! Reste à voir ce que chaque chanteur en ferait : mentions spéciales pour le Prince idéal de Charles Workman, magnifique timbre de ténor en voix de tête avec une belle diction et une projection efficace, qui campe un Pierrot lunaire stylé, poétique et un peu niais, totalement dépressif puis transfiguré. A ses côtés, le Truffaldino de Barry Banks, aussi petit et rond que le Prince est élancé, est lui aussi une réussite tant vocale que scénique, agile ludion qui réussit souvent à relever le plateau - vocalement et physiquement - par sa seule présence. Le Roi de Trèfle de Philippe Rouillon envahit le plateau de son timbre et de sa personne, avec une efficacité totale et un solide bon sens. Notons encore le magnifique Farfarello de Jean-Sébastien Bou.

Côté plus négatif, on notera une Béatrice Uria-Monzon au vibrato encombrant qui devrait prendre des cours de diction auprès de Charles Workman ; un José van Dam hors tessiture et faisant de grands efforts pour y croire ; une Cuisinière (Victor von Halem) drôle mais bien encombrée - gestes et émission vocale – d’un costume énorme et d’un grand couteau que l’on peine à prendre pour une louche ; une Ninette anorexique aux aigus sans grand charme et au français hésitant (Aleksandra Zamojska) ; une princesse Clarice à la plastique plus parfaite que la voix.

Mais le problème principal de tout cela est la direction de Cambreling. La dépression initiale du prince lui convient bien mieux que son rire. Que diable, dirait Fata Morgana ! La partition de Prokofiev est avant tout faite de contrastes, de rythmes, d’énergie, d’humour ; on ne doit pas craindre, comme le fait Sokhiev, de ciseler tout cela avec audace, de provoquer, d’avancer sans cesse. Et surtout de rejoindre les chanteurs dans leur folie. Rien de tout cela ici, on fait dans l’appliqué et la joliesse, tout y est, mais tout manque… ou presque. Un an plus tard, pour la reprise de novembre 2006, Tchélio était campé par Alain Vernhes, et Alexander Lazarev était dans la fosse. Mais la caméra était déjà passée…



Sophie Roughol




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