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L'édito...
Sylvain C. Fort
mars 2008
 

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O tempora, O mores !



Je lisais récemment avant de m’endormir du sommeil serein de l’honnête bourgeois qui a payé rubis sur l’ongle ses impôts scandaleusement élevés un ouvrage consacré à l’opéra et datant de 1974 : Vivre l’opéra avec les chanteurs.

L’auteur, un Monsieur Gourret, se rend successivement chez des chanteurs, des professeurs, des journalistes pour prendre le pouls de l’opéra en cette belle époque du giscardisme triomphant.

On se dit : c’était il y a plus de trente ans, quand l’opéra possédait encore les atours de son mystère sacré. Quand les grands anciens étaient encore là pour parler aux petits nouveaux. Quand la télé n’avait pas tout gâché. Quand on pouvait encore sortir de chez soi sans fermer à clef, et sans se retrouver détroussé au retour. Quand le pétrole n’était pas cher, quand les salaires augmentaient rapidement, quand on allait encore par nos belles campagnes de France juché sur un vélo de lourd métal en scrutant malicieusement les chevilles dénudées de la cousine Léonie. Ah oui ! 1974 ! Epoque bénie ! Pompidou venait de mourir ! Raymond Barre était un génie ! Ma mère était une jeune femme attendant tout de la vie !

Hé bien, je n’ai jamais rien lu d’aussi déprimant que le petit livre de Monsieur Gourret, à part peut-être un des derniers opus de Camille de Rijck dans la collection « Chats et Chattes en amour » (éditions Grand’Place).

D’abord, il se rend chez des gens qu’il couvre de compliments, et que plus personne ne connaît. Il y en a un qui ne se prend pas pour n’importe qui, c’est Ugo Ugaro. Il ne doute de rien ce gaillard. Et le Gourret lui remet des pelletées de flagorneries sur l’occiput. Il plastronne, le bougre. Mais quand on le googlise, on tombe sur la biographie d’un des dignitaires du Parti Breton, qui semble avoir pris avec lui des leçons de chant - jadis. Et Gourret se pâme comme une violette au soleil de midi. Bon. Il y en a un autre : Mario Podesta. Lui, c’est le professeur de Mado Robin. Il sait tout, il a tout vu, il connaît les moindres secrets de l’art du bel canto. En plus, il a un humour décapant, une pêche pas possible. Bref, une bonne tête à claques. Comme Ugaro. Et il partage avec lui cette particularité : je ne sais pas qui c’est.

Après, on interroge des professeurs comme Ré Koster, qui compte parmi ses élèves le fameux Kevin Koster, ou Maria Branèze, qui est très gentille aussi. Il interroge même Isabel Garcisanz, qui était, en ce temps-là, une fière espagnole et qui a fait la carrière qu’on sait, c’est-à-dire aucune. Et puis, il interroge des directeurs de théâtre disparus qui se glorifient de compter dans leur casting Mila Starapovac, Ernest Bouchut, Jean Rubatoïd, Marta Fierrabras, sans parler de la fameuse mezzo Elena Yong. Il y a aussi un entretien avec Pierre Petit, qui se vante de bien aimer Wagner mais « seulement en morceaux choisis, pas à l’opéra ». Pierre Petit, je le connais, je l’ai vu dormir au concert dans les années quatre-vingt-dix.

Tous ces gens devaient être de bien braves personnes. Des artistes intègres et pénétrés de leur mission. Et puis voilà : il n’en reste rien, sinon quelques échos lointains sous la plus de M’sieur Gourret, le p’tit à la dame Gourret.

Mais c’est qu’ils râlent, en plus ! Que l’opéra c’est fini, que les belles voix, c’est terminé, que la tradition fiche le camp ! C’est qu’on s’indigne, chez Gourret et ses amis ! On s’indigne, et puis demain on sera mort, et puis on sera oublié, et on aurait mieux fait de reprendre des moules plutôt que perdre son temps à se plaindre.

Après cette lecture, les débats sur les mérites comparés de la Dessay et de la Massis, du Villazon et du Alvarez, du Pelly et du Chéreau, du Minko et du Rattle – tout cela apparaît fumée, poussière, vent, nada. Soi-même on se sent léger comme le sable qui recouvre les tombeaux. Insignifiant comme un pneu crevé.

Sans le savoir, Monsieur Gourret a écrit un des plus importants traités de nihilisme de toute la culture occidentale.

Sylvain C. Fort
Éditorialiste

 
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