LES CONTES D'HOFFMANN

un dossier proposé par Christian Peter

 
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Discographie sélective


Cette discographie s'en tient aux enregistrements de studio et aux deux parutions en vidéo régulièrement disponibles sur le marché. Les intégrales en langue étrangère et les captations sur le vif, dont la diffusion est aléatoire et le son parfois précaire, ne seront pas chroniquées ici. Pour chaque version, l'édition retenue figure en regard du nom du chef d'orchestre. (*)

Les CD :


1948 : André Cluytens 1/ Choudens

Raoul Jobin (Hoffmann), André Pernet (Coppélius), Charles Soix (Dapertutto), Roger Bourdin (Miracle), Louis Musy (Lindorf), Renée Doria (Olympia), Vina Bovy (Giulietta), Géori Boué (Antonia), Fanely Revoil (Nicklausse), Simone Borghèse (La mère/Stella), André Philippe (Crespel), René Lapelletrie (Spalanzani), Charles Cambon (Schlemil), André Bourvil (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), Raymond Amade (Nathanaël), Camille Maurane (Hermann), André Vessière (Luther), Renée Faure (la Muse, rôle parlé).

Choeurs et orchestre de l'Opéra Comique
Un coffret de 2 CD EMI

(Ce coffret supprimé du catalogue EMI vient de ressortir aux Etats-Unis sous le label Naxos)

On écoute ces CD comme on feuilletterait un vieil album de photos aux teintes sépia : avec attendrissement et nostalgie. Nostalgie d'un temps à jamais révolu : celui où l'Opéra-Comique disposait d'une troupe solide et homogène. Et c'est bien l'homogénéité qui frappe à l'audition de ces plages, et plus encore la diction irréprochable de tous les interprètes dont chaque mot est parfaitement intelligible. Un exemple à méditer pour certains de nos chanteurs francophones d'aujourd'hui !

Raoul Jobin est un Hoffmann solide et bien chantant, sa caractérisation, un tantinet monolithique, est toujours efficace, et réserve de beaux moments : la chanson de Kleinzach, et les duos avec Giulietta et Antonia notamment.

Doria, Bovy et Boué, stars de l'époque, n'appellent aucune réserve majeure, même si leur prononciation est un peu datée et si d'autres, par la suite, offriront des portraits plus saisissants et aboutis de leurs personnages. Mention spéciale, cependant, à Géori Boué pour son Antonia fort émouvante. Fanely Revoil, enfin, est un Nickausse convaincant aux intonations irrésistibles de poulbot.

Les quatre personnages diaboliques, sardoniques et inquiétants à souhait, rivalisent de noirceur : aucun ne déparerait une distribution actuelle.

C'est toutefois l'inattendu Bourvil qui surprend le plus ; sa voix, reconnaissable entre toutes, offre des quatre valets une caractérisation atypique sans doute, anthologique assurément !

Tout ce beau monde est mené avec fougue et précision par Cluytens dont la direction électrisante fait ici merveille en dépit d'un orchestre quelque peu en retrait.

Une version qui mérite le détour.


1965 : André Cluytens 2/ Choudens

Nicolaï Gedda (Hoffmann), George London (Coppélius, Miracle), Ernest Blanc (Dapertutto), Nicola Ghiuselev (Lindorf), Gianna d'Angelo (Olympia), Elisabeth Schwarzkopf (Giulietta), Victoria de Los Angeles (Antonia), Jean-Christophe Benoît (Nicklausse), Christiane Gayraud (La mère), Robert Geay (Crespel), Michel Sénéchal (Spalanzani), Jean-Pierre Laffage (Luther/Schlemil), Jacques Loreau (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), André Mallabrera (Nathanaël), Jacques Pruvost (Hermann), Renée Faure (Stella et la Muse, rôles parlés).

Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. Choeurs René Duclos.
Un coffret de 2CD EMI (**)

Avec l'arrivée du microsillon, puis de la stéréo, Cluytens remet ses Contes sur le métier, comme il le fit également pour Faust. Signe des temps, la distribution s'internationalise, on a même l'impression qu'EMI a voulu nous présenter ici un florilège des plus grands noms de son écurie : Callas, elle-même, avait été un moment pressentie pour Olympia. Le résultat, hélas, ne tient pas ses promesses avec des chanteurs d'horizons et de répertoires trop divers, sans parler de leurs accents hétéroclites !

Nicola Ghiuselev et George London, en dépit de louables efforts de prononciation, semblent égarés dans un univers qui leur est étranger : leur interprétation au premier degré manque de séduction et d'ironie. Des "méchants" certes, mais pas ceux d'Offenbach. Seul l'admirable Ernest Blanc comprend véritablement ce qu'il chante. Il est toujours regrettable de confier ces rôles à des interprètes différents, surtout quand ceux-ci ne parviennent pas à cette homogénéité indispensable que leur conférait l'équipe de la version précédente.

Ces dames sont à peine mieux loties : Gianna d'Angelo est une Olympia passe-partout, privée d'éclat. Victoria de Los Angeles, pour touchante qu'elle soit, ne peut se départir d'un certain maniérisme récurrent chez elle et déplacé ici. Ses aigus, en outre, sont tendus et le contre-ré qui conclut le trio final, passablement strident. 

On a souvent lu que la Giulietta d'Elisabeth Schwartzkopf était exotique : pourtant on entendra bien pire dans ce rôle, et force est de reconnaître en la réécoutant que son incarnation et sa diction sont en tout point idoines ; on lui pardonne aisément un zeste d'affectation qui n'est pas forcément contradictoire avec l'esprit du personnage.

Est-ce par souci de réalisme que le rôle de Nicklausse a été confié à un baryton ? Il est vrai qu'en ces années 60 on attribuait parfois Siebel, Roméo (celui de Bellini), ou Jules César à des interprètes masculins. Il s'agit tout de même d'un contresens fâcheux ; les qualités de Jean-Christophe Benoît ne sont pas en cause, il se tire même plutôt bien de sa partie.
Les seconds rôles sont dans l'ensemble campés avec justesse et conviction.

Mais le grand triomphateur de cette version est sans conteste Nicolaï Gedda qui s'était fait une spécialité du répertoire français : ses enregistrements de Faust, Don José, Werther sont encore aujourd'hui des références. Son Hoffmann a tout : la fougue, l'élégance, le style et une diction absolument parfaite : un modèle absolu qui justifierait à lui seul l'acquisition de cette intégrale.

La direction de Cluytens, plus fouillée qu'en 48, n'a pas la même spontanéité. Elle bénéficie toutefois d'un orchestre meilleur et mieux enregistré.

(**) Cette version entièrement remastérisée est désormais disponible dans la collection "Great Recordings of the Century".


1972 : Richard Bonynge/ Bonynge

Placido Domingo (Hoffmann), Gabriel Bacquier (Coppélius, Dapertutto, Miracle, Lindorf), Joan Sutherland (Olympia, Giulietta, Antonia, Stella), Huguette Tourangeau (Nicklausse/ la Muse), Margarita Lilowa (la Mère), Paul Plishka (Crespel), Jacques Charron (Spalanzani), André Neury (Schlemil), Hugues Cuenod (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), Pedro Di Proenza (Nathanaël), Paul Guigue (Hermann), Roland Jacques (Luther).

Choeurs et orchestre de la Suisse Romande.
Un coffret de 2 CD Decca (***)

On ne soulignera jamais assez l'importance de la contribution de Richard Bonynge à la découverte et la diffusion de l'opéra français dont il a gravé nombre d'intégrales, parfois en première mondiale : Thomas, Adam, Meyerbeer, Massenet, en particulier lui doivent beaucoup.

Pour Les Contes d'Hoffmann, il s'est livré à un travail rigoureux sur la partition (*) et en propose la version "opéra-comique" comme à la création. Exit les récitatifs de Guiraud, remplacés par des dialogues. Le personnage de la Muse/Nicklausse retrouve sa double identité, clé fondamentale de l'oeuvre. Enfin, selon le voeu d'Offenbach et de son librettiste, il confie les quatre méchants au même baryton et les personnages féminins à une seule soprano. L'ouvrage y gagne en unité et cohésion et, pour une fois, la trame de l'acte de Giulietta entièrement reconstruit est cohérente. Dommage qu'il n'ait pas songé à restituer aux trois histoires leur ordre logique. 

Les interprètes sont à la hauteur de l'entreprise, à commencer par les seconds rôles presque tous francophones, qui rendent plausibles les dialogues parlés : le Spalanzani de Jacques Charron est absolument irrésistible de drôlerie, son incarnation est inimitable à l'instar de celle de Bourvil dans les quatre valets chez Cluytens1. Ceux-ci sont dévolus à Hugues Cuenod qui leur confère une caractérisation haute en couleurs avec un charisme et un humour jubilatoires.

Le Nicklausse d'Huguette Tourangeau est tout à fait satisfaisant et on lui sait gré de nous épargner certains graves par trop caverneux qui ont entaché sa participation à nombre d'intégrales du répertoire belcantiste.

Gabriel Bacquier signe l'une de ses plus remarquables prestations au disque : ses quatre personnages sont subtilement différenciés, jusque dans les scènes parlées d'une justesse confondante (Ah, le délicieux accent allemand de son Coppélius !). Tour à tour sarcastique et menaçant, il surprend à chaque mesure et sa présence est telle qu'on a l'impression de le voir jouer sous nos yeux : une grande leçon de théâtre !

Saluons également la performance de Dame Joan Sutherland éblouissante de santé vocale. Son Olympia exceptionnelle la situe d'emblée en tête de la discographie : le second couplet des "Oiseaux dans la charmille" est ornementé avec goût ; trilles, notes piquées, suraigus interpolés, tout est d'une facilité, d'une aisance absolument inouïes. Plus étonnant encore, elle parvient à donner de la courtisane Giulietta un portrait en tous points convaincant, y compris dans les dialogues. Enfin, elle campe une Antonia pudique et sensible, à laquelle il manquerait un soupçon de fragilité pour être totalement crédible. Mais quel trio final ébouriffant et quel contre-ré lumineux !

Son Hoffmann se hisse sur les mêmes sommets : Placido Domingo est un poète ardent, passionné et juvénile à la fois. Sa voix, en grande forme, se joue avec aisance de toutes les difficultés de sa partie et son timbre chaleureux fait ici merveille. Tout au plus pourrait-on lui reprocher un accent un peu trop prononcé, gênant surtout quand il parle. Mais il s'agit là de sa première intégrale dans une langue qu'il maîtrisera davantage par la suite. Ce rôle qu'il a chanté sur la plupart des grandes scènes internationales compte parmi ses meilleures incarnations.

Richard Bonynge galvanise ses troupes avec un enthousiasme communicatif. Sa direction est vigoureuse et nuancée. Tout y est : l'humour "Elle a de très beaux yeux", le lyrisme "O Dieu de quelle ivresse" et le mystère ; écoutez avec quelle subtilité et quelle économie de moyens il parvient à créer une atmosphère angoissante dans le trio "Pour conjurer le danger".

Une très grande version qui comporte notamment le meilleur acte d'Olympia jamais entendu.

(***) Coffret aujourd'hui disponible dans la collection économique "Rouge Opéra" (Decca)


1973 : Julius Rudel/ Choudens

Stuart Burrows (Hoffmann), Norman Treigle (Coppélius, Dapertutto, Miracle, Lindorf), Beverly Sills (Olympia, Giulietta, Antonia, Stella), Susanne Marsee (Nicklausse, la Muse), Nico Castel (Spalanzani, Andrès, Pitichinaccio, Frantz), Robert Lloyd (Crespel), Raimund Herincx (Hermann, Schlemil), Bernard Dickerson (Cochenille, Nathanaël), John Noble (Luther).

John Alldis Choir. London Symphony Orchestra
Un coffret de 2 CD Westminster

L'année suivante, celle que l'on présentait alors comme la rivale de Sutherland, décide à son tour de graver les trois rôles féminins. Point ici de recherche musicologique : nous avons droit à la version Choudens, plus complète cependant que chez Cluytens, certaines coupures traditionnelles ayant été rétablies. Saluons le souci d'homogénéité de l'éditeur qui confie également les quatre méchants au même chanteur.

La distribution ne comporte aucun interprète francophone. Cependant, tous ont une prononciation dans l'ensemble satisfaisante. Les seconds rôles sont campés avec honnêteté, à défaut de caractère marquant.

Que dire du Nicklausse de Susanne Marsee, sinon que le timbre est impersonnel et qu'elle fait les notes avec application et sans faute de goût ?

Norman Treigle est un diable sans surprise aux intentions convenues : nous sommes à des années-lumière de la subtilité d'un Bacquier. La voix - rocailleuse par instants - accuse quelque fatigue qui entache le trio final d'Antonia.

Ténor mozartien avant tout, Stuart Burrows semble égaré dans un emploi qui dépasse ses moyens : cela est perceptible notamment dans le duo avec Giulietta "O Dieu ! de quelle ivresse", et cette insuffisance n'est pas compensée, loin s'en faut, par une incarnation théâtrale convaincante. Une chanson de Kleinzach bien en situation et quelques nuances bienvenues dans "Amis ! l'amour tendre et rêveur" ne sauraient racheter l'absence d'investissement manifeste dans des pages telles que "Ah ! vivre deux" ou le duo avec Antonia, dépourvues de passion amoureuse. Il faut dire qu'il n'est guère aidé par le chef. Au total un Hoffmann sans flamme et aux couleurs bien ternes.

Reste Beverly Sills qui affronte crânement les difficultés de sa triple interprétation avec des moyens moins insolents que ceux de Sutherland, mais transcendés par un engagement dramatique saisissant. Son Olympia est comme on pouvait s'y attendre : étincelante, en dépit d'un léger vibrato, à peine perceptible dans le suraigu (une captation sur le vif réalisée à La Nouvelle Orléans huit ans plus tôt, que l'éditeur VAI vient de mettre sur le marché, nous la montre dans une forme vocale supérieure encore). En Giulietta, elle force l'admiration tant elle parvient, malgré une voix trop légère pourtant, à imposer un personnage crédible. Son Antonia, enfin, se situe au sommet : frêle, sensible, tiraillée entre sa passion amoureuse et ses ambitions artistiques, elle bouleverse de bout en bout. Un défi magistralement relevé !

Hélas, on ne saurait en dire autant de Julius Rudel qui nous distille le chaud (parfois) et le froid (souvent). Dès les premiers accords - pesants - du prélude, on frémit ; le choeur des étudiants dans la taverne frise la vulgarité tout comme celui des invités de Spalanzani. Quelques moments de bonheur (l'acte de Venise) ne peuvent sauver cette direction inégale et privée de conception d'ensemble.

Pour Sills, et seulement pour elle.


1988 : Sylvain Cambreling/ Oeser

Neil Shicoff (Hoffmann), José van Dam (Coppélius, Dapertutto, Miracle, Lindorf), Luciana Serra (Olympia), Jessye Norman (Giulietta), Rosalind Plowright (Antonia), Ann Murray (Nicklausse/la Muse), Jocelyne Taillon (la Mère), Kurt Rydl (Crespel/Luther), Alexander Oliver (Spalanzani), Dale Duesing (Schlemil), Robert Tear (Andrés, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Thierry Dran (Nathanaël), Marcel Vanaud (Hermann), Dinah Bryant (Stella).

Choeurs et Orchestre Symphonique de l'Opéra National du Théâtre Royal de La Monnaie, Bruxelles.
Un coffret de 3 CD EMI

Voilà un enregistrement qui fit grand bruit à sa sortie. Enfin, l'on allait entendre dans leur intégralité ces pages nouvelles, publiées quelques dix ans plus tôt par Fritz Oeser (*) et dont certains fragments nous étaient parvenus dès le début des années 80 à travers quelques captations radiophoniques, celle de Salzbourg notamment.

L'émerveillement fut à la hauteur de nos espérances : on découvrait avec ravissement des pans entiers de l'oeuvre, dont certains, d'une haute inspiration musicale, font désormais partie intégrante des versions représentées aujourd'hui, principalement l'indispensable apothéose finale qui manquait à l'ouvrage, "Des cendres de ton coeur". En outre, l'éditeur a eu la bonne idée d'enregistrer en appendice trois morceaux écartés par Oeser auxquels le public est attaché : "Une poupée aux yeux d'émail", "Scintille diamant" et le septuor apocryphe.

 D'autre part cette édition propose un acte de Venise d'une longueur inhabituelle, entièrement refait par le musicologue. Dans cet acte, on le sait, Offenbach a incorporé avec bonheur deux pages extraites de son opéra Die Rheinnixen : le choeur "aquatique" des elfes, reconverti en barcarolle et les couplets bachiques de Conrad, dévolus ici à Hoffmann (à l'origine baryton, rappelons-le). Les emprunts effectués par Oeser sont moins heureux et nous éloignent de l'univers des Contes ; la ballade d'Armgard, par exemple, ne s'accorde guère avec la personnalité de Giulietta, même avec des paroles adaptées. Le résultat, trop hétéroclite, ne convainc pas et n'est d'ailleurs jamais parvenu à s'imposer.

La distribution réunie pour cette circonstance juxtapose l'excellent et le médiocre.
Les seconds rôles sont tenus avec probité, mais est-ce suffisant quand on sait ce que de fortes personnalités théâtrales sont capables d'en faire ? C'est à peine si les quatre valets de Robert Tear émergent du lot.

Luciana Serra ne démérite pas en Olympia qu'elle chante avec facilité et un timbre agréable. En revanche, le choix de Rosalind Plowright pour le rôle d'Antonia est pour le moins contestable. Certes, sa voix est ici moins exposée que dans ses calamiteuses Leonora verdiennes, mais elle ne parvient pas pour autant à donner une image satisfaisante de cette héroïne maladive et exaltée. De plus, ce timbre à l'aigu éraillé n'évoque en rien une jeune fille, même souffrante. Une erreur de distribution manifeste.

Plus convaincante est la Giulietta de Jessye Norman dont la pâte vocale est somptueuse, et les intentions louables. Mais pourquoi tant de minauderies superflues? Ann Murray enfin est un splendide Nicklausse, au timbre racé. Cette chanteuse campe son double personnage avec intelligence et raffinement : c'est d'autant mieux venu que le rôle est infiniment plus important que dans les éditions précédentes.

Ce sont toutefois les hommes qui constituent l'intérêt majeur de cette intégrale.
Neil Shicoff grave Hoffmann au bon moment : riche d'une expérience scénique de quelques années et au sommet de ses moyens, il dessine un poète écorché vif, impuissant à lutter contre un destin contraire, une sorte de loser pathétique et attendrissant. Cette vision du personnage est totalement assumée et aboutie. Qu'il nous soit permis toutefois de préférer un Hoffmann plus pugnace, voire plus viril, tel Gedda ou Domingo.

José van Dam caracole sur les mêmes cimes que Bacquier chez Bonynge, en nous offrant une caractérisation prodigieuse et subtilement dosée des quatre méchants, servie par un timbre magnifique.

Pour pallier les quelques faiblesses de la distribution, il eût fallu une direction inventive et flamboyante. Hélas, on cherche en vain une idée directrice dans la battue quelquefois clinquante de Cambreling qui adopte des tempi pour le moins déroutants ; si le trio final d'Antonia est mené avec un train d'enfer fort à propos, que de ralentissements incompréhensibles par ailleurs, qui finissent par plonger l'auditeur dans un ennui profond. Bâiller pendant la chanson de Kleinzach, d'une lenteur désespérante, c'est tout de même un comble !

Une demi réussite.


1989 : Seiji Ozawa/Choudens "amélioré"

Placido Domingo (Hoffmann), Gabriel Bacquier (Coppélius), Justino Diaz (Dapertutto), James Morris (Miracle), Andreas Schmidt (Lindorf), Edita Gruberova (Olympia, Giulietta, Antonia), Claudia Eder (Nicklausse/la Muse), Christa Ludwig (la Mère), Harald Stamm (Crespel), Gérard Friedmann (Spalanzani), Richard van Allan (Schlemil), Robert Gambill (Andrès), Paul Crook (Cochenille, Pitichinaccio), Michel Sénéchal (Frantz), Robin Leggate (Nathanaël), Urban Malmberg (Hermann), Kurt Rydl (Luther).

Orchestre National de France, Choeurs de Radio France
Un coffret de 2 CD DGG

Cet enregistrement revient à la version Choudens. Seules concessions aux récentes découvertes : l'ordre des actes restitué, l'air de Nicklausse "Voyez-la sous son éventail" et l'apothéose finale, hélas tronquée.

Quand on a l'opportunité de disposer d'une cantatrice capable d'assurer les trois personnages féminins, pourquoi convoquer quatre interprètes différents pour les "méchants" ? De même, n'aurait-on pas pu confier tous les valets à Michel Sénéchal qui en propose encore aujourd'hui sur scène une incarnation désopilante ? De fait, il est le seul à se détacher d'une équipe de seconds rôles sans grand relief.

Christa Ludwig, n'est qu'un nom prestigieux sur la pochette : captée sans doute un jour de méforme elle réussit le triste exploit d'être la plus mauvaise mère d'Antonia de la discographie ! La prestation routinière de Claudia Eder en Nicklausse ne fait pas regretter que son rôle soit ici réduit.

Les méchants sont à peine moins décevants :Andreas Schmidt est un Lindorf falot, James Morris chante dans une langue indéterminée et Justino Diaz couronne son "Scintille diamant" d'un sol si calamiteux qu'on se demande encore comment l'éditeur a pu laisser passer une telle incongruité. Bacquier, en revanche, est à son affaire, qui compense l'usure de ses moyens par un investissement théâtral spectaculaire.

Après ses triomphes dans Mozart (La Reine de la nuit) et Strauss (Zerbinette), Edita Gruberova amorçait depuis quelques années un tournant dans sa carrière : elle abordait notamment le répertoire belcantiste, marchant ainsi sur les traces de Sills et Sutherland. Certes, les moyens sont bien là, mais la caractérisation dramatique demeure au ras des notes et les trois héroïnes ne sont pas suffisamment différenciées : "Trois femmes dans la même femme", soit, mais tout de même ! En fin de compte, elle fait surtout "du Gruberova" : c'est beau, ses admirateurs apprécieront, mais ce n'est pas réellement convaincant. De plus, si la diction est dans l'ensemble correcte, comment a-t-on pu la laisser répéter à l'envi des "Elle a foui la tourterelle" fort gênants pour des oreilles françaises.

Domingo réitère sans peine son exploit de la version Bonynge. Si son Hoffmann paraît plus mûr, le personnage a acquis davantage d'intériorité et de nuances et le français est en net progrès. C'est à peine si quelques aigus un rien serrés trahissent la fréquentation de rôles plus lourds tels qu'Otello ou Samson.

Osawa, sans vraiment démériter, propose une direction impersonnelle, sans contresens majeur mais également sans éclat particulier.

Pour fans de Gruberova essentiellement.


1992 : Jeffrey Tate/ Kaye

Francisco Araiza (Hoffmann), Samuel Ramey (Coppélius, Dapertutto, Miracle, Lindorf), Eva Lind (Olympia), Cheryl Studer (Giulietta), Jessye Norman (Antonia), Anne Sofie von Otter (Nicklausse/la Muse), Felicity Palmer (la Mère), Boris Martinovitch (Crespel), Riccardo Cassinelli (Spalanzani), Jean-Luc Chaignaud (Schlemil), Georges Gautier (Andrés, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), Peter Menzel (Nathanaël), Jürgen Hartfiel (Hermann), Rolf Tomaszewski (Luther).

Rundfunkchor Leipzig, Staatskapelle de Dresde.
Un coffret de 3 CD Philips

Michael Kaye n'aura pas attendu longtemps avant de voir son édition critique des Contes d'Hoffmann bénéficier d'un enregistrement ; en fait, celui-ci fut réalisé avant même que la partition soit publiée. Les différences avec celle d'Oeser concernent principalement l'acte de Venise. Les emprunts aux Rheinnixen disparaissent au profit des pages autographes retrouvées, notamment l'air dévolu à Giulietta (*) ; comme chez Bonynge, celle-ci meurt empoisonnée. Les dialogues sont rétablis, avec nettement moins de bonheur que dans la version Decca. Il eût fallu ici, en plus d'un répétiteur de français, un véritable metteur en scène pour l'intonation, vu le nombre d'interprètes non francophones de la distribution.

Certains frisent le ridicule ; Jessye Norman, elle, s'y noie, comme elle s'égare dans un rôle pour lequel elle n'a rien : elle a beau alléger artificiellement sa voix elle ne parvient à aucun moment à faire exister la jeune fille ardente et poitrinaire qu'elle est censée incarner, d'autant qu'il lui échappe quelques aigus forte d'une santé éclatante qui nous transportent soudain dans le jardin magique de Kundry. En outre, les amateurs de contre-notes guetteront en vain son ré à la fin du trio. Pour un peu elle rendrait presque Plowright acceptable !

Olympia est à peine mieux lotie avec la voix aigrelette d'Eva Lind. On reste perplexe devant des choix artistiques que même Jeffrey Tate semble déplorer dans la notice qui accompagne le livret ; à ce stade de sa carrière, Cheryl Studer était à même d'assumer les trois rôles, y compris les couplets d'Olympia dans la tonalité de sol majeur proposée ici, au lieu du la bémol habituel. N'avait-elle pas gravé à la même époque une Reine de la nuit remarquée ? Elle doit se contenter de Giulietta dont elle livre un portrait tout à fait concluant avec à la clé une superbe interprétation de l'air "L'amour lui dit : la belle" aux vocalises périlleuses parfaitement maîtrisées.

Pourtant, Anne Sofie von Otter lui ravit la vedette en nous offrant rien moins que le meilleur Nicklausse de la discographie : tour à tour grave ou mutine, avec une intelligence aiguë du texte et un chic qui n'appartient qu'à elle, elle revêt ce personnage ambigu de son timbre somptueux aux couleurs délicatement ambrées. Et quelle diction superlative ! Sa Muse est du même tonneau, si l'on ose dire !

Samuel Ramey accomplit un exploit équivalent : on sait la prédilection du chanteur pour les personnages diaboliques qu'il incarne avec délectation. Sa quadruple performance s'inscrit dans la lignée de ses Méphisto, ou de son Nick Shadow, devenus des références incontournables, sans oublier son fabuleux Bertram à Garnier en 1985. Ses héros sont caractérisés avec une maestria stupéfiante et le panache qu'on lui connaît.

Issu tout comme Burrows du répertoire mozartien, Francisco Araiza aborde Hoffmann avec des moyens infiniment plus adaptés au rôle, et une implication dramatique plus évidente. Son timbre lyrique finement nuancé réserve de beaux moments ; pourtant son interprétation reste en retrait et ne parvient guère à s'imposer totalement faute d'une conception globale pertinente. Sans doute a-t-il été gêné par l'étalement des prises sur trois ans (de 87 à 89) ?
En 1992, à l'Opéra Bastille, sa prestation sera autrement convaincante.

A la tête d'un orchestre de luxe, Jeffrey Tate se livre à un travail d'orfèvre, il cisèle le moindre détail, avec un raffinement inouï, et répartit les plans sonores avec soin. Tout cela est superbe, mais sommes-nous vraiment chez Offenbach ? Les tempi, souvent retenus, privent en partie l'oeuvre de sa composante humoristique. Tate a tendance à confondre la taverne de Nuremberg où débute l'action avec l'église Ste Catherine où se réunissent certains Maîtres-chanteurs dans un autre opéra.

Un enregistrement disqualifié par une Olympia insuffisante et surtout une Antonia hors de propos, la seule à déclencher le fou rire dans ce rôle (les dialogues !). 


1996 : Kent Nagano/ Kaye

Roberto Alagna (Hoffmann), José van Dam (Coppélius, Dapertutto, Miracle, Lindorf), Natalie Dessay (Olympia), Sumi Jo (Giulietta), Leontina Vaduva (Antonia), Juanita Lascarro (Stella), Catherine Dubosc (Nicklausse/la Muse), Doris Lamprecht (la Mère), Gabriel Bacquier (Crespel), Michel Sénéchal (Spalanzani), Ludovic Tezier (Schlemil), Gilles Ragon (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), Benoit Boutet (Nathanaël), Gérard Théruel (Hermann), Luther (Jean-Marie Frémeau).
Choeurs et Orchestre de l'Opéra National de Lyon
Un coffret de 3 CD Erato

Cette nouvelle gravure, la dernière en date, s'appuie sur l'édition définitive de Michael Kaye. On y trouve plusieurs nouveautés par rapport à la version précédente : la fin de l'acte de Venise est totalement reconstruite à l'aide de nouveaux emprunts aux Rheinnixen, discrets et appropriés. Giulietta ne meurt plus, en revanche : croyant la frapper, Hoffmann poignarde Pitichinaccio. Le dernier acte bénéficie d'un final plus développé dans lequel on entend chanter Stella, et l'oeuvre s'achève dans la chambre d'Hoffmann où le poète reste en tête-à-tête avec la Muse pendant l'apothéose.

De plus l'éditeur réintroduit le septuor apocryphe à l'acte quatre et opte pour les récitatifs de Guiraud : un choix qui eût mieux convenu à l'équipe dirigée par Tate. Ici, la distribution majoritairement francophone se serait sans doute acquittée des textes parlés avec brio si l'on en juge par les quelques répliques qui subsistent dans les pages restaurées du quatre.

L'un des grands mérites de cette intégrale est de renouveler en matière de diction le miracle de la première version Cluytens : pas un mot qui ne soit inintelligible, un régal.

Les seconds rôles, campés avec fantaisie et humour méritent tous d'être cités : Michel Sénéchal est un Spalanzani truculent, Gilles Ragon donne des quatre valets une caractérisation savoureuse, Bacquier est comme toujours le grand diseur que l'on sait et Ludovic Tézier, un Schlemil de luxe.

Le double rôle de la muse/Nicklausse est confié comme à la création à un soprano léger. Cette option peut déconcerter l'auditeur accoutumé à entendre ici un mezzo, d'autant que l'harmonie des voix s'en trouve quelque peu déséquilibrée, Giulietta étant elle aussi aiguë. Cela dit, le timbre frais et l'espièglerie de Catherine Dubosc sont parfaitement en situation et emportent somme toute l'adhésion.

Natalie Dessay a chanté Olympia sur toutes les grandes scènes et dans les conceptions les plus ahurissantes. Il est heureux que ces disques fixent pour la postérité une incarnation désormais anthologique. La voix est ici à son zénith, et virevolte sans peine jusqu'au contre-sol.
Antonia trouve en Leontina Vaduva une interprète admirable de pudeur et de sensibilité.
Sumi Jo, qui orne à l'extrême son air "L'amour lui dit : la belle", campe une courtisane inhabituelle et s'en tire plus qu'honorablement.

On a déjà dit tout le bien qu'on pensait des "Méchants" de van Dam, qui va plus loin encore dans leur caractérisation. Le timbre n'a rien perdu de son mordant, seul le haut médium, un rien blanchi, trahit le passage des ans.

On attendait Roberto Alagna dans le rôle-titre et l'on n'est pas déçu : incandescent, juvénile, sincère, son Hoffmann est tellement juste qu'on a peine à croire qu'il aborde ici le rôle sans expérience scénique préalable. Et quelle santé vocale ! Quel timbre éclatant ! Sans parler de sa diction désormais légendaire.

Toute l'équipe est dirigée de main de maître par un Nagano enfiévré qui a parfaitement saisi l'essence de cette musique. Les tempi sont toujours pertinents et la conception d'ensemble réunit dans un équilibre évident les affects si contrastés que comporte la partition.

Une très grande réussite !


Demain : Minkowski/ Keck ? (*)

Le 21 février 2003, à Lausanne, Marc Minkovski a créé une nouvelle mouture des Contes d'Hoffmann mise au point par Jean-Christophe Keck (****). L'événement a été salué par une presse enthousiaste. Cette coproduction qui sera reprise à Marseille et à Bordeaux, devrait faire l'objet d'un enregistrement. La distribution était dominée par Laurent Naouri, l'un des grands titulaires actuels des rôles diaboliques. Espérons que pour le disque, le chef français saura l'entourer de partenaires capables comme lui de rivaliser avec les interprètes les plus éminents de cette discographie. 

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(*) Pour plus de détails sur les diverses partitions, se reporter au chapitre "Les Contes d'Hoffmann, un opéra à géométrie variable" dans le même dossier.

(****) Voir l'entretien avec Jean-Christophe Keck dans le même dossier



Pour être complet

En 1958, la Guilde Internationale du Disque publiait une version des Contes d'Hoffmann sous la direction de P.-M. Le Comte avec Léopold Simoneau dans le rôle-titre. Nous n'avons pu entendre cet enregistrement difficile à trouver. Les inconditionnels du ténor canadien se plairont à le chercher ou se consoleront avec une captation sur le vif réalisée à la RAI de Milan l'année suivante où le chanteur est entouré de Pierrette Alarie, Susanne Danco, Renato Capecchi et George London (Melodram).

En 1979, EMI proposait à l'attention des mélomanes germaniques, une édition en allemand avec une distribution alléchante : Siegfried Jerusalem (Hoffmann), Dietrich Fischer-Dieskau (les quatre méchants) et Julia Varady (Antonia), entre autres. Le report en CD est disponible outre-Rhin, pour les curieux et les collectionneurs.

En 1991, enfin, une autre version a fait un brève apparition sur le marché : gravée à la suite de représentations données salle Gaveau, elle réunissait un équipe de chanteurs français, jeunes pour la plupart, sous la baguette de Luc Azoura. Quatre ténors se partageaient le rôle d'Hoffmann et les autres personnages principaux étaient confiés à des interprètes tous différents. Cette réalisation, pour sympathique qu'elle soit, frise par moments l'amateurisme.


Un regret 

Pour célébrer le centenaire de la création de l'oeuvre, le festival de Salzbourg a programmé, au début des années 80, une production mémorable mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle*. James Levine y dirigeait avec fougue une équipe de haute volée : Domingo et van Dam au zénith, le premier toujours plus volcanique sur une scène. Eda Moser, Christiane Eda-Pierre et Catherine Malfitano chantaient les trois "dames" en alternance. Un enregistrement était prévu qui n'a jamais vu le jour. Une firme telle qu'Orfeo ou DGG qui proposent régulièrement des captations du festival autrichien serait bien inspirée de publier cette bande qui enrichirait considérablement la discographie.
* Les parisiens ont pu applaudir cette réalisation salle Favart en 1982 avec Neil Shicoff, Jean-Pierre Laffont et Nelly Miricioiu dans les principaux rôles, sous la baguette d'Alain Lombard.


Le bilan 

Le choix est d'autant plus difficile qu'il faut tenir compte de la partition enregistrée en plus des qualités musicales et interprétatives de chaque version. L'intégrale la plus homogène est sans conteste celle de Bonynge, Il lui manque seulement pour être tout à fait recommandable quelques unes des pages redécouvertes par la suite, auxquelles nous sommes désormais habitués et qui font ici cruellement défaut, l'apothéose finale en particulier. 

Parmi les versions récentes et donc plus complètes, la seule qui soit amplement convaincante est celle de Nagano (Erato).

Peut-on cependant jeter aux oubliettes l'Hoffmann de Gedda, les "méchants" de Ramey, les "dames" de Sills et le Nicklausse de von Otter ?

Chacun pourra compléter ou modifier ces choix selon ses goûts.
 

Les vidéos

De nombreuses productions des Contes ont été filmées pour la télévision à travers le monde.
Pourtant, seules deux d'entre elles ont été commercialisées à ce jour, et aucune n'est totalement satisfaisante.


Covent Garden 1981/ Choudens

Placido Domingo (Hoffmann), Geraint Evans (Coppélius), Siegmund Nimsgern (Dapertutto), Nicola Ghiuselev (Miracle), Robert Lloyd (Lindorf), Luciana Serra (Olympia), Agnès Baltsa (Giulietta), Ileana Cotrubas (Antonia), Claire Powell (Nicklausse), Gwynne Howell (Crespel), Robert Tear (Spalanzani), Francis Egerton (Pitichinaccio), Paul Crook (Andrés/ Cochenille), Bernard Dickerson (Frantz), Phyllis Cannan (la Mère), Robin Leggate (Nathanaël).

Choeurs et Orchestre du Covent Garden
Direction : Georges Prêtre
Mise en scène : John Schlesinger. Décors : William Dudley. Costumes : Maria Björnson
(Une VHS NVC ARTS)

C'est avec faste que Covent Garden a célébré le centenaire des Contes d'Hoffmann en faisant appel pour la mise en scène au cinéaste John Schlesinger. La distribution comportait également beaucoup de noms connus, ce qui n'est pas toujours un gage de réussite, on l'a vu.

Placido Domingo domine aisément le plateau grâce à une interprétation bouillonnante et hallucinée, servie par une forme vocale impressionnante. Son Hoffmann est ici encore supérieur à ceux qu'il a gravés au studio.

Seule Ileana Cotrubas atteint un niveau comparable en incarnant une Antonia poignante, d'une justesse, d'une émotion à couper le souffle avec cette fêlure dans le timbre qui trahit la santé précaire de l'héroïne. Luciana Serra est une Olympia parfaite et bien chantante. Agnès Baltsa, Giulietta sculpturale au jeu outré, exhibe une voix qui flirte volontiers avec la vulgarité.

Claire Powell, enfin, endosse le travesti de Nicklausse de façon plausible et efficace.

Les quatre méchants, tout à fait crédibles scéniquement, n'ont pas toujours le style adéquat (Evans en fait des tonnes).

Les autres personnages, quelquefois empêtrés dans un français approximatif, n'appellent pas de reproches majeurs, d'autant qu'ils bénéficient d'une direction d'acteur rigoureuse.

Cette captation comble une lacune importante : Georges Prêtre, curieusement absent de la discographie officielle, imprime à l'ouvrage des tempi survoltés d'une précision ébouriffante. Une battue qui tient en haleine interprètes et spectateurs de bout en bout.

Dans des décors conventionnels, Schlesinger propose une mise en scène limpide, émaillée de quelques idées intéressantes telles ces machineries étranges qui meublent la maison de Spalanzani dont les serviteurs sont autant d'automates, Cochenille y compris ; ou encore l'orgie chez Giulietta, clin d'oeil au Satyricon de Fellini ; enfin, pour assurer une continuité dramatique pertinente, le Diable, au dénouement de chaque histoire, nargue Hoffmann en prenant l'apparence de Lindorf avant de disparaître.

L'édition choisie est celle de Choudens stricto sensu, alors qu'à la même époque, le Festival de Salzbourg osait y incorporer les meilleures pages proposées par Oeser.

Pour Domingo au sommet, Cotrubas et Prêtre.

(Signalons que cet enregistrement a déjà fait l'objet d'un report en DVD aux Etats-Unis)


Lyon 1993/ Kaye (raccourci)

Daniel Galvez-Vallejo (Hoffmann), José van Dam (Lindorf/Coppélius/Miracle/Dapertutto), Gabriel Bacquier (Crespel/Spalanzani,/Schlemil), Natalie Dessay (Olympia), Isabelle Vernet (Giulietta), Barbara Hendricks (Antonia), Brigitte Balleys (Nicklausse), Hélène Jossoud (la Mère), Jacques Verzier (Frantz), Lisette Malidor (Stella, rôle muet).

Choeurs et Orchestre de L'Opéra de Lyon
Direction : Kent Nagano
Mise en scène : Louis Erlo. Décors : Philippe Stark.
Costumes : Jacques Schmidt/ Emmanuel Peduzzi
(Un DVD Arthaus).

Cette production de l'Opéra de Lyon diffusée en direct sur France 3, a fait couler beaucoup d'encre à l'époque, tant les partis pris du metteur en scène ont paru déroutants, aussi bien du point de vue dramaturgique que musical. Le spectacle, d'ailleurs, s'intitulait : ... Des Contes d'Hoffmann afin de couper court, sans doute, à toute accusation de trahison envers l'oeuvre d'Offenbach.

La partition réduite à un acte unique d'une heure cinquante s'appuie sur l'édition Kaye sans les récitatifs de Guiraud. Malgré les nombreuses coupures, les principaux airs et ensembles sont préservés et reliés par des dialogues qui assurent la compréhension de l'histoire. Plus de taverne, plus d'étudiants, toute l'action se déroule dans un asile psychiatrique. Le décors est essentiellement constitué de murs grisâtres et souples qui s'enflent soudain en épousant des formes inquiétantes, comme dans le cauchemar d'un dément, notamment pendant le trio "Pour conjurer le danger". Les accessoires - chariot, seringue - évoquent le milieu hospitalier.

Un personnage maléfique unique auquel s'oppose en vain un vieillard paternel et débonnaire, provoque la mort d'Olympia, non plus poupée, mais jeune fille prostrée et hallucinée, et d'Antonia. Des quatre valets, seul subsiste Frantz, omniprésent, dont le costume et le maquillage rappellent le meneur de jeu du film Cabaret. Lisette Malidor, Stella sculpturale moulée dans une robe en lamé doré, promène sa silhouette longiligne dans cet univers angoissant privé de l'humour inhérent à l'ouvrage. 

La distribution réunit des artistes confirmés et de jeunes chanteurs dont le talent était prometteur. Dirigés de main de maître par Louis Herlo, tous sont remarquables du point de vue théâtral et leur dialogues sonnent juste. 

Daniel Galvez-Vallejo aborde Hoffmann avec conviction et une voix solide mise ici à rude épreuve : airs, duos ensembles s'enchaînent à une cadence effrénée et sans répit. Aussi lui pardonnera-t-on une fatigue compréhensible à la fin de l'ouvrage, dans le duo "O Dieu de quelle ivresse", trop tendu pour lui. Malgré un timbre qui n'a rien d'exceptionnel, il parvient à camper un personnage éperdu et naïf, en proie à ses démons. 

Les vétérans Gabriel Bacquier et José van Dam ont depuis longtemps cet opéra à leur répertoire. Ils prennent ici un plaisir évident à le jouer d'une manière si peu conformiste et à s'affronter dans une sorte de combat sans merci entre le Bien et le Mal.. Tous deux sont excellents, le second notamment, manipulateur diabolique et triomphant, en grande forme vocale.

Antonia trouve en Barbara Hendricks une interprète délicate et touchante, musicalement irréprochable, tandis qu'Isabelle Vernet est une Giulietta pulpeuse à souhait. Curieusement, cette élève de Régine Crespin n'a pas fait la carrière que l'on pouvait espérer. La révélation de cette soirée restera sans conteste Natalie Dessay, saisissante en jeune aliénée hagarde, d'une aisance vocale à toute épreuve. 

Citons enfin le Nicklausse caustique de Brigitte Balleys, et l'étonnante composition de Jacques Verzier dans le rôle ambigu de Frantz.

Au pupitre, Kent Nagano dirige avec vitalité et précision un orchestre de l'Opéra de Lyon exempt de tout reproche.

Cette conception hors normes intéressera ceux qui connaissent déjà bien l'ouvrage, mais n'en donnera qu'une idée parcellaire, voire erronée à ceux qui le découvrent. Quoi que l'on pense de cette réalisation, on peut déplorer qu'il s'agisse de la seule version des Contes disponible actuellement en DVD.
 
 

Christian Peter

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