Comme il était souligné dans le compte rendu du Freischütz donné à Bregenz en 2024, la présente production constitue une magnifique soirée de théâtre lyrique, même si elle présente le défaut d’être réalisée pour un public non averti « d’après l’œuvre de Weber » : Samiel est ici chargé tout au long de l’opéra de raconter l’histoire à ceux qui ne l’auraient pas lue avant, quitte à entrecouper de textes des airs (le premier d’Agathe), à mettre des « musiques additionnelles », à couper dans les airs (le second d’Agathe) et dans l’ouverture, tronquée de sa partie la plus connue. Le texte parlé a été entièrement réécrit, avec des changements de certains éléments de l’histoire sous le prétexte de « modernisation ». Ainsi par exemple, Agathe est enceinte, et en même temps amoureuse d’Ännchen et réciproquement, et elles envisagent de s’enfuir en Suisse. Mais cela n’a pas grande importance, puisqu’à la fin, Agathe se réveille : elle a tout rêvé, et finalement épouse Max, ils vécurent heureux et eurent plein de petits diablotins… Quant à la musique, elle est coupée ici et là, car il faut que l’ensemble ne dépasse pas une durée de 2 heures. Mais alors pourquoi ne pas avoir plutôt coupé dans les textes ?
La captation qui nous est proposée dans ce DVD a été effectuée le soir de la première et deux jours après, les 17 et 19 juillet 2024. Bien sûr, elle ne peut apporter aucune amélioration à la production proprement dite. En revanche, comme toujours en pareil cas, la multiplication des gros plans et la mobilité des caméras apportent une lecture toute différente. L’ensemble y gagne énormément, car là où une vision globale de l’immense scène noie en représentation tous les détails, le film permet d’en apprécier un grand nombre. Le côté fantastique y est plutôt bien rendu, et les nombreuses performances plus visibles que de loin, comme Ännchen chantant son air sur un morceau de glace flottant sur un espace inondé, au milieu de nageuses synchronisées à la Esther Williams. Il est toutefois dommage que la réalisation d’Henning Kasten offre des images d’une qualité fort variable, parfois trop sombres, avec des manques de netteté. Mais cela aussi est la rançon du direct, avec des contingences de prises de vues dans un environnement souvent sous-éclairé, avec en plus parfois des fumées, voire de la brume.
Cette vidéo permet aussi de profiter pleinement du jeu des acteurs, même dans les moments où la partie chantée leur demande des efforts particuliers, et le résultat est pleinement convaincant. Pour ce qui est du chant en lui-même, la qualité de l’enregistrement permet de mieux percevoir des nuances et des détails d’interprétation de très bonne facture, qui avaient tendance à être mal perçus lors de l’audition directe par les haut-parleurs. Le ténor Mauro Peter, à la voix barytonnante et musicale, chante un Max très convaincant, à la fois velléitaire et soumis aux évènements. Nikola Hillebrand joue une Agathe bien dans la tradition, avec une voix dont on ne peut pas juger de l’ampleur, mais qui passe très bien à l’enregistrement. Katharina Ruckgaber est une Ännchen bien dans notre époque, plus femme libre et libérée que soubrette d’autrefois. Un Kaspar inquiétant à souhait est campé d’une voix très assurée par Christof Fischesser, et un Ottokar bien présent par le chant et le jeu par Liviu Holender, tandis que Franz Hawlata est Kuno, très plausible père d’Agathe. Andreas Wolf est un ermite de bonne tenue, et Maximilian Krummen chante avec cœur le rôle de Kilian. Enfin, l’acteur à succès Moritz von Treuenfels est un Samiel tout à fait conforme à ce que l’on peut souhaiter à partir du moment où l’on a accepté qu’il soit le narrateur-acteur.
Ce DVD est le 7e de la série consacrée par le festival de Bregenz aux productions de la scène sur le lac. Il satisfera tous ceux qui souhaitent conserver un souvenir de ces grands spectacles, ou ceux qui veulent les découvrir dans leur fauteuil. Mais en revanche, du fait des modifications apportées à la partition et à la structure de l’ouvrage, il ne saurait satisfaire les mélomanes. À noter qu’il est dommage que les sous-titres de la représentation n’existent qu’en allemand et, pour les parties chantées, en anglais, coréen et japonais. Pas plus de français pour le documentaire en bonus, qui ne propose que l’anglais. Enfin, pas mieux pour la brochure de 28 pages jointe au DVD, essentiellement en allemand, avec une partie en anglais. Vraiment très dommage.
Un bonus propose donc un intéressant documentaire de 25 minutes « A Winter’s Tale : Inside Der Freischütz at Bregenzer Festspiele », réalisé par Nikolaus Küng. L’essentiel s’y trouve, aussi bien pour le néophyte que pour l’habitué qui aimera y retrouver le cadre du festival. À commencer par la reconstruction de la scène qu’une curieuse traduction qualifie souvent de « flottante » mais qui bien sûr devrait s’appeler « sur l’eau ». Des tonnes de béton ont été récemment utilisées pour assurer la stabilité et la sécurité d’un ensemble qui avait beaucoup vieilli. On assiste également à la mise en place du spectacle, et il est intéressant de découvrir que toutes les répétitions se font dans l’espace où il sera joué. C’est particulièrement important, comme le souligne l’une des cantatrices, car beaucoup de scènes se déroulent dans l’eau, et les costumes mouillés s’alourdissent d’autant, ce qui est à prendre en compte pour pouvoir ne pas en donner l’impression. Cinq semaines de répétitions précèdent la première, avec la mise au point et l’ajustement des costumes, et les répétitions en scène, avec bien sûr toutes les incessantes modifications qui interviennent journellement. Les questions techniques, et notamment celles du son, sont largement expliquées. La plus importante étant que les micros et transmetteurs ne fonctionnent pas sous l’eau, or il y a de nombreuses scènes qui interviennent dans le milieu aquatique… Dans le même temps, plusieurs sources sonores doivent être équilibrées, l’orchestre, les musiciens d’accompagnement des textes parlés, et les multiples bruits qui viennent enrichir le paysage sonore de la représentation, retransmis par près de 80 haut-parleurs disséminés. Enfin, on circule dans les coulisses : quelque 1500 personnes travaillent au festival chaque année.