Voilà un récital comme on les aime ! Un programme inattendu, intelligemment agencé, une jeune mezzo-soprano au talent fou qui captive le public et s’adresse à lui en l’invitant à la suivre dans son périple. Imaginer un récital avec des compositeurs aussi différents en gardant une belle unité d’inspiration et en ne cédant jamais à la facilité, c’est du grand art. Les spectateurs sont immédiatement conquis et l’ovationnent à la fin.
Lors du premier « Gala de la Voix » organisé le 14 janvier dernier par l’École Normale à la Salle Cortot, à la suite de la master-class de Véronique Gens, Anne-Lise Polchlopek avait obtenu un premier prix à l’unanimité décerné par un jury présidé par Alain Lanceron (son interprétation de l’air de Sapho de Gounod avait beaucoup impressionné). Et c’est à nouveau à la Salle Cortot, chef d’œuvre d’architecture à l’acoustique exceptionnelle et véritable écrin pour la voix et la musique de chambre, qu’elle vient de donner ce récital devant un public venu en grand nombre. Quel bonheur, d’ailleurs, de voir que les mélomanes ont retrouvé le chemin de cette salle mythique. Le dynamisme de la jeune équipe de l’École Normale, avec à sa tête Murielle Hurel, y est pour beaucoup.
Après des études très poussées en architecture et son apprentissage de la langue espagnole à Madrid, Anne-Lise Polchlopek se passionne vraiment pour le chant lyrique en étudiant avec la soprano Claudine le Coz, professeur au Conservatoire Berlioz dans le dixième arrondissement de Paris. Sa belle voix naturelle a trouvé là son meilleur guide et s’est développée par la suite tout naturellement auprès de grands chanteurs comme Sophie Koch et aussi à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique.
Son récital commence par « I am easily assimilated », le tango comique de la vieille duègne, au premier acte de Candide de Leonard Bernstein où l’anglais se mêle au yiddish et à quelques bribes d’espagnols (tout pour plaire à la cantatrice !). Puis commence une sorte de patchwork délicieux avec la célèbre Berceuse de Richard Strauss, un compositeur qui lui sied à merveille (à quand l’intégrale de cet opus 41 ?) suivie par un chant d’amour du catalan Eduard Toldrá et l’émouvante Première lettre de Cécile Chaminade. Fauré est ensuite présent plus d’une fois, associé aux mélodies de Messiaen composées en 1930, dans la lignée de Debussy et aux chansons de Polnareff et Jacques Brel que la cantatrice interprète avec une sobriété qui en rehausse la qualité musicale. À la habanera de Carmen de Bizet chantée avec élégance et raffinement et très applaudie, succèdent les Métamorphoses de Poulenc et la périlleuse Vocalise en forme de Habanera de Ravel qu’elle interprète admirablement, en dessinant les nombreux mélismes avec précision. L’excellent pianiste Federico Tibone (il est aussi un chef d’orchestre renommé) est le complice idéal de la mezzo-soprano et il a lui aussi un beau legato ! Tous deux savent créer une belle complicité avec le public, en s’adressant à lui pour annoncer brièvement les œuvres avec, parfois, quelques touches d’humour de bon aloi. Pour certaines œuvres hispaniques Anne-Lise Polchlopek est accompagnée par Pierre Laniau à la guitare à dix cordes. Elle excelle dans ce répertoire et son interprétation de la La Tarántula de la zarzuela La Tempranica de Jiménez (un des bis favoris de Teresa Berganza ) est un condensé de charme et d’espièglerie.
Son chant simple et naturel est basé sur un juste appui du souffle, un beau legato et une ligne vocale sans failles, des graves sonores aux aigus épanouis et brillants. Seul petit bémol : on peine parfois à comprendre le texte des chants, sans doute par un manque de définition nette et juste de chaque voyelle. En grande linguiste qu’elle est Anne-Lise Polchlopek saura vite y remédier. D’autant plus que l’étendue singulière de sa voix, sa présence en scène et son talent d’actrice la destine à l’opéra. On espère l’entendre bientôt dans Mozart ou dans certains opéras français. Son interprétation du lied de Strauss nous a même fait rêver au rôle d’Octavian du Chevalier à la Rose. La chanson bouleversante Gracias a la vida de la chilienne Violeta Parra qui clôt le programme du récital est aussi le titre du CD très réussi (encensé par Le Monde) qu’elle a enregistré pour le label Fuga Libera dans lequel on retrouve la plupart des œuvres de son récital à la Salle Cortot.