Richard Wagner n’a, jusqu’alors, jamais fait partie des compositeurs de chevet de Daniel Harding. Quelques Vaisseau Fantôme à l’Opéra de Vienne, un deuxième acte de Tristan de temps à autre, un prélude de Parsifal en ouverture d’un concert symphonique, résument une relation qui prendra un nouveau tour le mois prochain, à Rome, lors de trois représentations de La Walkyrie lors desquelles le chef dirigera l’ Orchestre de l’Académie Nationale de Sainte-Cécile, dont il a pris les rênes l’an dernier. Cette semaine, c’est son précédent fief, l’Orchestre de Paris, qui lui offrait l’occasion d’un galop d’essai, avec un Acte I dont on oublie bien vite qu’il est en version de concert. Cursif, acéré, d’une ardeur noire, le prélude nous plonge d’emblée au cœur de cette tempête dont Siegmund s’extrait tant bien que mal, jaillissant des coulisses. Et le travail d’orfèvre réalisé par Daniel Harding, ces plans sonores sculptés avec style, ces leitmotive qui processionnent fièrement, n’a jamais le défaut d’étouffer sous le brillant la sève du théâtre. Il n’y a qu’à entendre le silence solennel qui accueille la première occurrence du thème de Wotan, l’énoncé au violoncelle de celui de l’amour, la fièvre qui empoigne la scène finale, impérieuse comme le sera bientôt l’étreinte des amants. Si les cuivres semblent, au tout début, en retrait par rapport aux cordes et aux percussions, l’ensemble s’harmonise très vite et l’on ne tarde pas à comprendre que nous sommes aujourd’hui en présence d’un Orchestre de Paris des grands soirs – et qu’un Orchestre de Paris des grands soirs, c’est tout simplement l’un des meilleurs orchestres qui soient ! Toute cette vie ne peut que profiter aux chanteurs qui se passent ce soir de partitions, du pupitres et de chaises pour mieux incarner leurs personnages. Voix immense et présence à l’avenant, Stephen Milling est bien, dès son entrée sur scène, ce Hunding aussi inquiétant que suffisant, sûr de son droit à disposer, qu’il s’agisse de ses vassaux, de ses ennemis et de sa femme. Le Siegmund de Jamez McCorkle n’a que le défaut de ne pas atteindre un tel niveau de caractérisation scénique et vocale. Quelques semaines après ses débuts dans le rôle, l’été dernier au Festival de Santa Fe, le ténor américain, très engagé sur scène, dévoile un timbre aux teintes barytonales et chaleureuses, mais accuse également quelques soucis d’intonation, et un allemand exotique ; il va cependant crescendo au fil de la soirée, se montrant plus à l’aise dans les élans amoureux que dans le récit de sa longue errance. Sa Sieglinde est donc l’une des nouvelles coqueluches du chant wagnérien, récente Ortrud à Bayreuth et future Brünnhilde de l’Opéra de Bavière. Miina-Lisa Värelä a une voix qui impressionne par son volume davantage qu’elle séduit par son timbre, plutôt métallique. Mais l’aisance avec laquelle cette Sieglinde tient tendu l’arc de son récit (« Der Männer Sippe »), les nuances qu’elles instillent dans ses répliques à son frère jumeau, le naturel enfin de l’émission, forcent l’admiration.
En ouverture de programme, Daniel Harding avait programmé des pièces fortement évocatrices de la nature, de ses couleurs et de ses lumières. Comme une annonce de l’éveil du printemps que décrit Siegmund ? Le lever de soleil de l’ouverture de Khovanchtchina se déploie bel et bien devant nous, grâce au dosage savant des bois et des cuivres que Daniel Harding organise subtilement, rendant justice à la poésie de Moussorgski davantage qu’à sa force tellurique. Dans cet espèce d’orage qui couve sans jamais éclater vraiment qu’est Tapiola, l’orchestre frappe d’emblée par son engagement, la vivacité de ses coups d’archet, l’impact foudroyant des percussions. Profondément théâtral, le Sibelius de Daniel Harding annonçait déjà son Wagner – et partant, le triomphe d’une soirée conclue sous les ovations.