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Cinq questions à Torsten Kerl

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Interview
2 mai 2016

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Depuis près de 15 ans, Torsten Kerl promène, sur toutes les grandes scènes du monde, un art du mot et de la coloration du timbre qui font trop souvent défaut à Wagner. A quelques jours de la première de Tristan et Isolde au Théâtre des Champs-Elysées, du 12 au 24 mai, il partage les réflexions que lui inspire un répertoire qu’il connaît comme presque personne… 


Vous avez chanté la plupart des rôles wagnériens pour ténor, et Tristan est parfois décrit comme le plus difficile de tous. Partagez-vous ce point de vue ?

Cette question est difficile car elle fait appel à des ressentis très personnels. Des chanteurs m’ont dit : « Ne chante jamais Tannhäuser, c’est trop problématique », d’autres m’ont dit : « Ne chante Siegfried sous aucun prétexte ». En vérité les difficultés ne sont les mêmes pour personne. Tristan est certainement une partie difficile, mais qui ne pose pas tant de difficultés techniques, car au moment de la composition, Wagner a beaucoup plus d’expérience des voix qu’au moment de l’écriture de Rienzi, où il exige du ténor énormément d’aigus.

La principale difficulté de Tristan est plus émotionnelle : on commence par de petites scènes et le rôle prend de l’ampleur jusqu’à l’acte III, qu’il faut occuper entièrement. Cette gradation crée une forme de tension qu’il faut maintenir, à la fin, par 50 minutes de chant ininterrompu. En fait, avec Tristan, les choses sont très compactes, à l’image de ce duo fantastique, mais infiniment long, du 2e acte. Ce qui est passionnant, c’est que ce développement se fait symétriquement à celui d’Isolde. Elle est omniprésente au I, les deux caractères se confondent au II, lui est omniprésent au III.

Je ne peux pas dire que la longueur du rôle n’est pas fatigante pour la voix. Mais je croix que certains instruments peuvent s’adapter plus facilement à cette longueur. Pour faire une comparaison sportive, il y a des rôles de sprinters et des rôles de marathoniens. Otello est un rôle très difficile, mais si on le chantait intégralement sans interruption, on se rendrait compte que sa durée ne dépasse pas l’acte I. Il y a des chanteurs que les vocalises et les suraigus ne fatiguent pas, d’autres qui ne s’épuisent pas trop sur la durée. C’est une donnée qu’on ne commande pas, un peu comme les couleurs de la voix. J’ai toujours aimé les couleurs de la voix de basse, et j’espérais être une basse. Après ma première leçon, où j’étudiais en tant que baryton, mon professeur m’a dit : « si une chose est sûre, c’est que vous n’êtes pas une basse ! » (Rires). C’était comme ça ! De même, il m’arrive de chanter des rôles un peu sprinters, comme celui de l’Empereur dans La Femme sans ombre, où le rôle est peu présent, mais avec des passages extrêmement délicats. Menelas dans Hélène d’Egypte est, à mon sens, encore plus complexe – Strauss avait à l’évidence eu des difficultés avec ses ténors, ce qui le rend très différent de Wagner ! Erik dans Le Vaisseau fantôme, est également un rôle court mais intense.

En tout cas, pour les rôles marathons, il faut toujours garder en tête que la durée est une donnée importante. C’est ce que j’explique toujours à des jeunes qui me chantent « In fernem Land » : « N’oublie jamais que cette partie arrive après quatre heures de représentations ! »

Pour chanter Wagner, le Théâtre des Champs-Elysées peut sembler une salle relativement petite…

La première fois que j’ai chanté Tristan, c’était à Glyndebourne. Ce qui était fantastique, c’est que nous étions une équipe de débutants : Vladimir Jurowski dirigeait l’œuvre pour la première fois, Anja Kampe faisait ses débuts en Isolde, Sarah Connolly en Brangäne aussi, je crois. Et que nous étions dans une salle atypique pour Wagner, inhabituellement petite. C’était un grand moment avec un fantastique orchestre. Pour cette production, avec l’Orchestre National d’une France, nous avons aussi une des meilleures phalanges européennes.

A côté de Glyndebourne, le Théâtre des Champs-Elysées est finalement une salle plutôt normale. On peut y placer environ 2000 personnes. C’est évidemment moins qu’à l’Opéra Bastille, qui est vraiment une salle très grande, trop grande même, à mon avis. Mais si l’on met de côté des salles un peu hors du commun, comme celle du Festival de Salzbourg, je pense qu’on est dans la norme des salles européennes.

Je trouve qu’il y a au Théâtre des Champs-Elysées une acoustique très favorable à l’opéra. Je sais que Wagner y a été peu représenté ces dernières années. C’est sans doute dû au fait qu’à Paris, vous avez beaucoup de salles d’opéra possibles. En tout cas je trouve le lieu vraiment adapté, avec un orchestre partiellement sous la scène, un peu dans l’esprit des théâtres allemands dont Wagner s’est inspiré quand il a conçu la fosse de sa salle de Bayreuth.

Daniele Gatti a dirigé beaucoup d’opéras de Wagner au cours des dernières saisons, à Salzbourg, à Zurich, à Bayreuth ou à New-York. Comment se passent les répétitions avec lui ?

Il a dirigé plusieurs opéras de Wagner mais il n’a encore jamais dirigé Tristan ! C’est toujours une chance d’avoir un chef familier à l’univers du compositeur, mais qui reste en même temps ouvert à beaucoup de points de vue et de propositions.

Cette ouverture d’esprit est primordiale pour moi. Elle permet de changer ses habitudes, de remettre en cause le travail fait précédemment, d’éviter la routine que l’on aurait si l’on travaillait toujours avec les mêmes personnes. Elle rend aussi les premières répétitions très importantes : on rencontre le chef d’orchestre dès la première semaine, pour des répétitions piano-voix. C’est là que l’on cadre les principes de base sur le tempo. Quand est-ce qu’on chante lento, et qu’entend-on exactement par lento ? Tout cela est évidemment amené à changer avec l’arrivée de l’orchestre dans les répétitions, puis avec les scène-orchestre, mais beaucoup de choses se jouent dans les premières semaines de répétition.

Le fait que nous ayons l’arrivée d’une nouvelle Isolde, avec Rachel Nicholls (voir brève du 22 avril dernier), a évidemment nécessité des aménagements ; son timbre et son physique sont différents de ceux d’Emily Magee, et une bonne partie de la semaine dernière a été consacrée à des aménagements pour que les choses se passent au mieux. Mais finalement, arriver à trois semaines de la première laisse plus de temps que celui que nous avons habituellement pour une reprise, je pense que ça n’affectera pas les représentations.

Pierre Audi a mis en scène un Ring très commenté à Amsterdam. Quelle est sa vision de Tristan et Isolde ?

Je crois qu’il propose une mise en scène très innovante, mais qui ne recherche absolument pas le scandale. Pour ce que j’en ai vu à ce stade, les décors sont très beaux, les lumières ont fait l’objet d’un travail important. C’est un spectacle avec un rythme lent revendiqué, qui est parfaitement assorti à cette œuvre, dont une grande partie de l’intrigue a déjà eu lieu au moment où l’acte I commence. L’utilisation de la vidéo, les costumes, intemporels, et la grande flexibilité des décors, qui peuvent se mouvoir pour figurer des éléments du livret, tout cela souligne la dimension symbolique et intemporelle de cet opéra.

Tristan et Isolde sont totalement des êtres humains mais, comme Wagner l’a toujours fait, leurs personnalités ont une signification et une portée qui les dépassent. Il y a une véritable histoire d’amour et de douleur, une dimension qui rappelle la mythologie asiatique, et que l’on peut aborder sous forme de cercles successifs : un cercle du temps, un cercle de la naissance, etc. L’histoire que vivent Tristan et Isolde va bien au-delà de l’amour physique, et renvoie toujours à un manque, à une douleur. Rien de ce qui est voulu n’est obtenu et, à l’origine, l’amour entre les deux protagonistes naît du combat de Tristan avec Morold, et de la mort de ce dernier.

Il y a comme une réminiscence du combat entre Tristan et Morold dans le combat entre Tristan et Melot, à la fin de l’acte II. Dans cette mise en scène, c’est Isolde qui arrête le bras de Tristan, et que Melot profite de cet instant pour frapper mortellement Tristan. Je ne sais pas si c’est totalement inédit, mais c’est intéressant, d’autant que Pierre Audi a voulu un Melot qui corresponde à la description faite au Moyen-Âge  par Gottfried von Strassburg, un nain, un handicapé que Tristan pourrait battre facilement. Ce flashback sur la mort de Morold me paraît en tout cas fascinant, pour conclure un acte où le rapport au temps est complètement brouillé. Est-ce que tout le duo d’amour ne se passe pas après l’acte III ? On a l’impression que Tristan et Isolde sont déjà morts, qu’ils ont déjà quitté la vie.

Vous avez chanté Rienzi, un rôle très proche du Grand Opéra à la française, ainsi qu’Enée dans Les Troyens. Des rôles de Meyerbeer ou de Halevy sont-ils prévus ?

Quand j’ai chanté Rienzi, il y avait des coupures, mais mon rôle était presque totalement intégral. Au final, cela fait un rôle très long et assez « méchant », avec beaucoup d’aigus. Enée également est difficile à négocier : beaucoup de passages pas forcément longs mais presque toujours très tendus. Pour tout vous dire, je trouve que Les Troyens, que j’ai chantés récemment à Hambourg, est un fantastique opéra de femmes : ce sont les rôles de Cassandre et de Didon qui sont les véritables pivots de l’œuvre. Peut-être s’agit-il d’ailleurs de deux œuvres bien distinctes, qu’il vaudrait mieux jouer séparément, parce que c’est assez éprouvant en une soirée. Je pense que Berlioz a vu trop grand, et je préfère presque Benvenuto Cellini.

Beaucoup d’autres rôles français, comme Don José, ou même Samson, sont assez confortables à jouer mais restent tout de même très lyriques. J’avais travaillé Eléazar dans La Juive à l’Opéra de Vienne, pour une reprise qui a finalement été retirée, mais je n’avais pas vraiment de feeling pour ce rôle alors, cela valait peut-être mieux… !

 

Propos recueillis à Paris, le 29 avril 2016. 

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